«Les personnes qui me sont adressées le sont la plupart du temps par des associations, des médecins, des avocats qui ont besoin de certificats pour une demande d'asile, ou encore par le bouche-à-oreille», explique Maryline Berthaud, médiatrice en santé à l'hôpital Bichat-Claude-Bernard de l'AP-HP, et lauréate du prix de la fondation MNH* . «Quand je reçois ces personnes pour la toute première fois, je prends le temps de les écouter, de voir leur cheminement, de comprendre où elles en sont et surtout, de cerner quelle est leur priorité aujourd'hui, c'est à dire ce qu'elles souhaitent pour l'avenir».
Une interface entre ceux éloignés du soin et le système de santé
Médiateurs en santé, pair médiateur/trice, agent de santé communautaire ou encore navigateur/trice, nombreuses sont les dénominations pour les postes exerçant des missions de médiation en santé. Celles-ci désignent une fonction d'interface assurée dans la proximité entre les personnes en situation de vulnérabilités, éloignées du système de santé et les professionnels intervenant dans leurs parcours de santé (infirmiers, médecins, kinésithérapeutes...) Les médiateurs en santé accompagnent donc les patients «de façon, d'une part, à faciliter l'accès aux droits, à la prévention et aux soins des personnes exposées à une ou plusieurs vulnérabilités et, d'autre part, à sensibiliser les professionnels concernés par leurs besoins et leurs problématiques sur les obstacles rencontrés».
Rendre les patients autonomes
«J'essaye d'informer les personnes que je reçois sur leurs droits, sur la prévention, sur leur santé et j'essaye aussi de créer un lien de confiance, pour qu'elles sachent qu'elles disposent d'un lieu ressource où elles pourront poser leurs questions et être accompagnées», complète Maryline Berthaud devant une large audience venue assister à une conférence sur le thème «Comment l'hôpital va vers les plus éloignés du soin» dans l'un des amphithéâtres de l'UFR Bichat. Ensuite, comme il y a besoin aussi de sécuriser ce lien, je vais leur proposer de devenir leur interlocuteur privilégié à l'hôpital et essayer d'instaurer un lien de confiance avec elles, de les accompagner, au fur et à mesure de leur ressenti afin qu'elles puissent devenir elles-mêmes autonomes dans leurs parcours de santé».
La médiation en santé est indispensable aujourd'hui dans notre système de santé, d'abord pour redonner du temps à ceux qui en ont besoin.
La confiance, justement, n'est pas un vain mot. «C'est même une notion primordiale», assure Olivier Bouchaud, chef de service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Avicenne (AP-HP), situé à Bobigny, lauréat du Prix d’honneur de la Fondation MNH*, «C'est vrai pour tous les patients mais c'est encore plus vrai pour toutes les personnes éloignées du soin, dont beaucoup ont tellement perdu confiance en notre système de santé, et pire, en elles-mêmes, qu'elles ont besoin, d'abord, que l'on restaure cette confiance». Le médecin rappelle au passage que les parcours migratoires de certains patients, et notamment, de certaines femmes migrantes, sont «tellement violents que la personne s'en trouve détruite. Pour l'aider, il faut donc déjà identifier ses vulnérabilités». Et chaque professionnel a son rôle à jouer.
Créer du lien entre ces patients et les professionnels de santé
«Tout cela prend beaucoup de temps, et c'est en cela que la médiation en santé est indispensable aujourd'hui dans notre système de santé, d'abord pour redonner du temps à ceux qui en ont besoin», tranche Olivier Bouchaud, pour qui le métier n'a pas vocation à se substituer aux autres professionnels de santé ou de l'intervention sociale, mais bien à intervenir en complémentarité avec ces professions. Sur le terrain, Bernadette Rwegera, directrice et fondatrice de l'association Ikambere, lieu d'accueil des femmes vivant avec le VIH à Saint-Denis, intervient avec ses équipes au sein des hôpitaux, où elle est «bien accueillie» et s'efforce de «lever les obstacles et les freins qui empêchent l'accompagnement», sans jamais devoir se substituer aux autres professionnels mais bien, en complément de leurs activités respectives. Ikambere anime aussi des permanences hospitalières pour améliorer l’accueil et la prise en charge des malades chroniques en situation de précarité et créer du lien entre eux et les professionnels de santé.
C'est une profession passerelle qui agit pour aider à décloisonner les parcours, les pratiques entre professionnels, pour aider à faire circuler l'information.
Le métier s'inscrit en tout cas parfaitement dans le mouvement de prise en compte globale des patients, note également Marie-Cécile Poncet, ancienne infirmière et aujourd'hui directrice de l'hôpital Avicenne. «Cette pratique apporte un soutien incontestable. Il y a indéniablement une grosse demande, mais il reste une complexité à définir les besoins mais aussi le 'qui fait quoi', c'est à dire qui fait en première intention et qui peut être un vrai relais de continuité. (...) Le métier vient en complémentarité de différents métiers comme infirmière ou assistante sociale. «Un exemple très clair : une patiente peut ne pas honorer une fois, deux fois, même trois fois un rendez-vous et se voir fermer la porte par l'assistante sociale (administrativement cela peut s'entendre), mais de fait, la patiente reste sans aide. Cette continuité peut donc être assurée par un médiateur en santé. Je pense donc que c'est une ressource, un vrai relais pour faire le lien avec le territoire, avec deux prérogatives essentielles : connaître le territoire mais surtout avoir une approche sur mesure». La médiatrice en santé a donc différents atouts. «Elle est une profession passerelle qui agit pour aider à décloisonner les parcours, les pratiques entre professionnels, pour aider à faire circuler l'information. Enfin, ces professionnelles peuvent faire bénéficier les équipes d'une double vision : celle de l'hôpital et du territoire».
Garantir le droit à la santé aux plus vulnérables
La médiation en santé, métier pivot du système de santé pour garantir le droit à la santé des personnes en situation de vulnérabilité, reste toutefois aujourd'hui en attente d'un cadre statutaire clair, comme l'explique le Collectif pour la promotion de la médiation en santé : «Si la médiation en santé a bien été reconnue au niveau institutionnel (inscription dans la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016 et dans le Code de la Santé publique ; élaboration d’un référentiel de compétences, de formation et de bonnes pratiques par la Haute Autorité de Santé (HAS) en 2017), force est de constater que le cadre d’emploi des médiateur.rice.s en santé n’est pas encore officiellement reconnu par les pouvoirs publics. En effet, si la fonction existe, le métier n’est toujours pas inscrit dans le Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois (ROME) ni dans le Code de la Santé Publique, et il n’a pas de place opérationnelle définie dans le système de santé. L’emploi est insécure, mal rémunéré avec peu, voire pas, de visibilité de carrière».
Les lauréats du prix de la Fondation MNH - édition 2024
Le prix de la Fondation MNH* 2024 est attribué à Maryline Berthaux, médiatrice en santé à l’Hôpital Bichat-Claude Bernard (Paris). Cette distinction récompense son engagement quotidien et de longue date en faveur d’un meilleur accès à la santé des plus vulnérables.
Maryline Berthaux exerce au sein du Service des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat, dans le cadre du dispositif Parcours qui accueille des femmes migrantes ayant vécu des violences sexuelles, dans leur pays d’origine ou au cours de leur parcours migratoire, et qui sont éloignées du soin et du droit. Elle est aussi engagée dans l’association Mille Parcours, qui agit pour le bien-être et l’émancipation des personnes exilées ayant vécu des violences sexuelles, dans le prolongement du dispositif Parcours à l’hôpital.
En tant que médiatrice en santé, Maryline Berthaux joue un rôle de pivot, à la fois dans l’articulation de l’accompagnement pluridisciplinaire de ces femmes, et en prévenant les risques de rupture de soins liés aux difficultés qu’elles rencontrent au quotidien (système administratif complexe, barrière de la langue, psycho-traumatismes…).
Prix d’honneur de la Fondation MNH : Pr Olivier Bouchaud, en tant que pionnier de la médiation en santé en France
En remettant le Prix d’honneur au Pr Olivier Bouchaud, le jury du Prix de la Fondation MNH a voulu récompenser son engagement depuis plus de trente ans en faveur d’un meilleur accès à la santé pour tous. Fervent défenseur d’une approche globale du soin et conscient des nombreuses barrières que rencontrent les personnes migrantes dans leur parcours, il a été l’un des pionniers de la médiation en santé. Le Pr Olivier Bouchaud a également été membre du groupe d’expert de la Haute Autorité de Santé en charge de la définition du référentiel de compétence de la médiation en santé, dont les conclusions ont été rendues publiques en 2017. Sa candidature a été portée par le Pr Nicolas Vignier, médecin infectiologue à l’Hôpital Avicenne, qui a voulu ainsi rendre hommage à un parcours exceptionnel bâti sur de fortes convictions.
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