Farida Boumedjane, infirmière depuis 7 ans au sein du Réseau Intermed dans le Nord Isère (Auvergne-Rhône-Alpes), intervient auprès de demandeurs d'asile et de personnes en situation de précarité qui vivent en résidence sociale, sans limite d'âge. Le point commun de ses patients : ils sont logés, mais isolés. Et donc vulnérables. Cette infirmière ne réalise aucun soin technique, ni piqûre, ni pansement, mais «exclusivement du soin relationnel, de l'accompagnement, de la coordination et de la médiation», énumère-t-elle. «C'est à dire qu'on va vers les gens. Quand on ne voit plus quelqu'un depuis quelques temps, on va toquer aux portes». La mission de ces infirmiers-médiateurs santé, comme on les appelle : s'assurer que les gens aient bien accès à tous les soins de santé auxquels ils ont droit.
Sur signalement des intervenants sociaux
Sur signalement des intervenants sociaux, ou parce qu'ils ont repéré une personne isolée, les infirmiers-médiateurs santé prennent en charge les situations de santé complexes : maladies graves, troubles psychiatriques ou encore maladies chroniques non diagnostiquées ou non soignées. Récemment, Farida Boumedjane a été appelée auprès d'une famille : un couple venu du Bengladesh, dont la femme est enceinte de huit mois, avec une petite fille de deux ans. «Le médecin du Clat (centre de lutte anti-tuberculeuse) a une suspicion de tuberculose pour le père. Il faut donc réaliser des examens (un scanner notamment) et soigner la maladie si elle est détectée. Dans ce cas précis, je me suis occupée de la coordination», explique Farida Boumedjane, qui s'est chargée «de faire le lien avec la Permanence d'Accès aux Soins de Santé (PASS)», comme ce couple n'est pas couvert par l'Assurance Maladie et qu'il ne parle pas le français.
Il faut que les acteurs du soin puissent intervenir. Nous, on met de l'huile dans les rouages.
«J'explique aux gens comment ça va se passer (avec l'aide d'un interprète) et je m'assure qu'ils soient d'accord avec la démarche. Je leur indique comment se rendre à l'hôpital et je leur rappelle les rendez-vous. Parfois aussi, je me déplace si nécessaire, quand je sens qu'ils ne vont pas s'en sortir seuls». L'infirmière donne d'ailleurs toujours ses coordonnées en cas de problème et assure également le suivi quand il y a lieu, grâce aux partenaires d'Intermed, en ville. «Il faut que les acteurs du soin puissent intervenir. Nous, on est chargés de mettre de l'huile dans les rouages», résume Farida Boumedjane.
Dans l'Allier, où elle partage son temps entre trois structures, à Vichy, Cusset et Montluçon, Nathalie Pissotte, infirmière à Intermed depuis deux ans et demi, accompagne uniquement un public demandeur d'asile et tout comme Farida Boumedjane, fait en sorte de pérenniser le parcours de soins. Récemment, elle a pris en charge un couple avec un enfant : «la femme était tombée enceinte sur son parcours migratoire, donc il n'y avait pas eu de suivi de grossesse et quand elle a accouché, on s'est aperçu que sa petite fille n'avait qu'un seul rein et en plus, en mauvais état». L'enfant, née depuis, a besoin de soins lourds, au quotidien. Elle est régulièrement hospitalisée. «C'est un exemple de situation que je suis de près», confie l'infirmière, qui gère en moyenne environ 45 situations en même temps.
Soutenue par les différentes Agences Régionales de Santé dans l’ensemble de ses missions, l’association a pu développer massivement son intervention auprès du public en demande d’asile grâce au soutien financier de l’Union Européenne, via le Fond Asile Migration Intégration (FAMI) qui accompagne certaines structures œuvrant à répondre aux besoins d’accompagnement identifiés.
Etablir un partenariat avec le planning familial ou des associations utiles
Or, donner accès aux soins n'est pas toujours chose facile pour les infirmières, confrontées à de multiples difficultés. Il leur faut notamment pouvoir s'appuyer sur des partenaires sur le territoire, qui ne sont pas toujours accessibles.
Trouver des partenaires en santé, c'est justement le travail de Nathalie Martinez, qui coordonne pour Intermed des équipes infirmières dans quatre départements de la région PACA (Alpes-Maritimes, Alpes de Haute Provence, Var et Vaucluse). Elle se met en quête de partenaires selon les besoins qui se présentent, «le planning familial, des associations utiles qui prennent en charge le handicap, les addictions, les Centre médicaux psychologiques, les PMI...», liste la coordinatrice territoriale. «Comme on intervient auprès d'un public demandeur d'asile, la migration est parfois liée aux orientations sexuelles des personnes», explique Nathalie Martinez qui a par exemple récemment noué un partenariat avec l'association ENIPSE, qui lutte contre les discriminations à l'encontre des personnes LGBT.
La coordinatrice a aussi un rôle de soutien des infirmières, parfois en difficulté. «J'essaye de fédérer les équipes pour qu'elles soient ressources les unes pour les autres et qu'elles puissent échanger à propos des situations complexes». Les infirmières sont confrontées au problème des déserts médicaux. Trouver des médecins traitants, des kinésithérapeutes ou encore des orthodontistes pour les populations concernées relève du défi, notamment autour de Marseille et de Nice, souligne la coordinatrice Nathalie Martinez. «Les médecins traitants, c'est une catastrophe : soit il n'y en a pas assez, soit ils ne prennent pas de nouveaux patients», tranche-t-elle. Même chose pour les dermatologues alors même que les besoins sont très importants, «avec de nombreuses manifestations somatiques et psychologiques» parmi les exilés. Les infirmières trouvent malgré tout des solutions : en PACA, elles ont par exemple réussi à contractualiser avec des maisons de santé qui consacrent une matinée tous les 15 jours au public d'Intermed. «Il faut donc que les rendez-vous soient honorés : c'est vraiment une relation de confiance et les infirmières sont très conscientes de l'enjeu si elles perdent un partenaire».
Parfois, le système n'est pas du tout en adéquation avec la pathologie de la personne
La psychiatrie, "le gros sujet pour Intermed"
Parmi les difficultés également : arriver à répondre aux problèmes d'addictions, et encore pire : aux troubles psychiatriques. «Pour les addictions, il existe de multiples solutions et c'est plutôt l'adhésion de la personne qui est difficile à obtenir ; pour la santé mentale en revanche, c'est catastrophique», assure Nathalie Martinez. Les infirmières se heurtent au manque de moyens, de personnel, aux difficultés des démarches (faire hospitaliser quelqu'un reste très compliqué)... «Lors de décompensations, les gens sont souvent envoyés aux urgences et quelques heures après, ressortent. Quant au suivi en ville : il est quasi inexistant. Les critères sont excluants : il faut que les personnes adhèrent, soient demandeuses, qu'elles prennent le rendez-vous elles-mêmes... Parfois, le système n'est pas du tout en adéquation avec la pathologie de la personne», se désole Nathalie Martinez. Là encore, l'équipe soignante se montre ingénieuse. «Le socle de notre mission c'est l'aller-vers, donc en cas de problème psychologique, on va par exemple tenter d'établir une relation de confiance à partir du suivi dentaire, de l'alimentation : on va trouver d'autres portes d'entrée pour entrer en relation avec ces personnes». La patience et la persévérance ne paient pourtant pas toujours. «On a connu deux ou trois situations sur les deux dernières années où les personnes ont été incarcérées après des violences. La psychiatrie reste le gros sujet pour Intermed, avec de vraies difficultés de prises en charge», résume Nathalie Martinez.
Beaucoup de gens ne se soignent pas par manque de médecin traitant, parce qu'ils n'identifient pas qu'ils sont malades, qu'ils n'ont pas envie ou ne sont pas demandeurs
«Les infirmières qui travaillent ici, je les admire», sourit la coordinatrice. «Elles font preuve de beaucoup de patience, de beaucoup d'abnégation, de courage aussi : parfois elles vont dans des logements à la rencontre de personnes vraiment en difficulté. Elles ont une vraie qualité d'écoute et de soin relationnel, elles vont toquer aux portes. L'une d'entre elles est encore récemment allée dans la rue auprès d'une personne qui faisait la manche. S'il faut aller au marché pour rencontrer quelqu'un, elles y vont. Elles sont tout le temps sur le terrain, n'ont d'ailleurs pas de bureau.» L'équipe se démène. «Beaucoup de gens ne se soignent pas par manque de médecin traitant, parce qu'ils n'identifient pas qu'ils sont malades, parce qu'ils n'ont pas envie ou qu'ils ne sont pas demandeurs et les infirmières leur donnent accès au soin et à la santé. Elles ne seraient pas là, les gens ne se soigneraient pas...»
Prévention et éducation à la santé
Les infirmières-médiatrices de santé organisent des actions collectives auprès des résidents pour faire de la prévention, de l'éducation et de la promotion de santé. Nathalie Pissotte a ainsi proposé un temps d'échange autour de l'utilisation des écrans chez les enfants. «J'ai choisi d'aborder cette thématique parce que les personnes qui sont dans des résidences d'accueil pour demandeurs d'asile sont dans des logements très exigus et les enfants se retrouvent souvent face à des écrans. Ces enfants n'ont pas une vie sociale normale. J'essaye donc de sensibiliser les parents : de leur expliquer que même si on n'a pas d'argent, on peut faire plein de choses avec les enfants, en dehors des écrans».
Même à l'hôpital, je n'ai jamais eu autant l'impression de soigner les gens qu'à Intermed
Dans un foyer qui compte 300 personnes, une grande résidence sociale à Pont-de-Chéruy (Isère), Farida Boumedjane elle aussi se creuse la tête pour proposer des ateliers. Alors qu'elle constate que les femmes sortent peu, elle décide avec des collègues de créer un atelier pour elles, autour de la santé. Elles organisent un premier rendez-vous d'information autour de la santé féminine, auquel une dizaine de femmes acceptent d'assister. «On parle de la santé des enfants, comme elles sont toutes mamans ou presque, puis on parle des règles. On leur demande ce qu'elles aimeraient faire et on en vient à décider de créer nous-mêmes, de coudre, des culottes menstruelles. Même à l'hôpital, je n'ai jamais eu autant l'impression de soigner les gens qu'à Intermed».
Une démarche "d'aller vers"
Dans les résidences sociales - à la différence des Cada (centre d’accueil pour demandeurs d’asile) il n’y a pas de travailleurs sociaux pour interpeller les infirmières. «Dans ce cadre-là, je suis davantage dans une démarche d'aller vers», précise Farida Boumedjane, car l'une des difficultés est déjà de convaincre les gens de se faire soigner. «C'est un travail qui peut prendre beaucoup de temps, avec des gens qui sont en rupture sociale, généralement pas couverts et qui n'ont pas l'habitude de prendre soin d'eux». Farida Boumedjane remarque depuis quelques temps un public plus nombreux qu'auparavant : des jeunes avec des problèmes psychiques, des jeunes qui ont eu des parcours de rue, qui sont en rupture avec leur famille, qui n'ont jamais été diagnostiqués pour des troubles psychiatriques.
Tout notre travail c'est de mettre en place une stratégie qui va faire que le soin va prendre et tenir. Et de ne pas lâcher.
«Ma mission avec ces personnes va être de les ramener dans le soin. Cette fois, c'est de la médiation». Si ce public est rassuré par la présence familière de l'infirmière, «leur faire passer le pas de se tourner vers des institutions organisées reste malgré tout un défi», souligne Farida Boumedjane. «Tout notre travail c'est de mettre en place une stratégie qui va faire que le soin va prendre et tenir. Et de ne pas lâcher». Elle se souvient d'un homme d'une cinquantaine d'années, anciennement à la rue, finalement logé en résidence sociale. Pour créer du lien entre les gens, et surveiller l'état de santé de chacun, l'infirmière organise des cafés dans la résidence sociale. «Ce monsieur avait visiblement un problème de vue. J'ai réussi à le convaincre d'aller voir un ophtalmo. On s'aperçoit qu'il a une cataracte très avancée et très handicapante. Je lui explique qu'il va devoir se faire opérer. Comme il ne se sentait pas capable de se rendre seul au rendez-vous, je l'ai accompagné». L'attente s'avère très longue mais l'infirmière le pousse à rester. Finalement, il réussit à aller se faire opérer tout seul, à se rendre à sa consultation post-opératoire, peu à peu, il prend confiance. «Après tout ce parcours de soins, il est venu me remercier : "grâce à vous, maintenant, quand je regarde un match de foot, je vois le ballon"». Aujourd'hui, ce monsieur ne manque pas un café organisé dans la résidence. «Il vient et convainc les autres d'aller se faire soigner», se réjouit l'infirmière.
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