La question préoccupe aussi bien la classe politique que les acteurs et institutions du secteur eux-mêmes : comment prendre soin des professionnels de santé, dans un contexte post-crise qui les a essorés et cruellement mis en exergue les défaillances de notre système ? La Fédération hospitalière de France, notamment, s’est saisie du sujet en lançant une grande enquête auprès de ses agents. Et les résultats, publiés en février dernier, sont sans appel : entre stress, manque de moyens et tensions entre collègues ou avec la hiérarchie, les conditions de travail sont largement dégradées. Près de 70% des infirmiers hospitaliers ont déclaré ainsi ne pas vouloir conseiller d’exercer leur métier. Accompagnant les résultats de cette enquête, un avis du Comité d’éthique de la Fédération dresse un constat sévère. « Les problèmes d’attractivité et de stress au travail sont récurrents », observe-t-il, entre les attentes relatives à la qualité et sécurité des soins face à un manque de ressources, et entre l’exigence des professionnels de santé et l’impossibilité de bien pratiquer les soins. « La situation actuelle résulte de 20 années de politiques publiques davantage centrées sur la politique budgétaire et pas assez de politique de santé, où l’on a privilégié une vision comptable plutôt qu’une vision du soin », déplore-t-il.
Il identifie toutefois 3 types de leviers pour tenter de redresser la situation, soit au niveau des établissements, de nature systémique, et à l’échelle politique, et formule un certain nombre de recommandations.
Revoir l'organisation et remettre les professionnels au centre
D’un point de vue organisationnel, et de manière systémique, le Comité d’éthique réclame notamment de ses vœux une meilleure promotion de la Validation des acquis de l’expérience (VAE) « afin de permettre des évolutions de carrières pour donner autant d’importance à l’expérience qu’aux diplômes », ainsi qu’une plus grande valorisation de tous les secteurs et de toutes les catégories professionnelles de l’hôpital et du médico-social.
Côté établissements, le Comité d’éthique les encourage à tirer les leçons de la crise de Covid-19, qui est venue secouer des modes de fonctionnement jusque-là en silo : décloisonnement, travail en équipe, coopération… « Il faut nous appuyer sur cette expérience pour prolonger ce qui a fonctionné et dans laquelle chacun a trouvé du sens », plaide-t-il. Encourager le travail en équipe peut passer notamment par l’instauration de temps d’échange inter-disciplinaires ou l’analyse des pratiques professionnelles pour tendre à leur amélioration. Dans un contexte où un tiers des étudiants infirmiers abandonne ses études en cours de route, il préconise aussi de renforcer leur accueil au sein des équipes (réunions et livret d’accueil, parcours individualisés dans le cadre du tutorat…) et de créer un sentiment d’appartenance au groupe. Il s’agit également de « promouvoir des nouveaux métiers » (dont les infirmiers en pratique avancée) et « de nouvelles organisations du travail plus autonomes (délégations de tâches, de gestion) ». Il faut de plus « réévaluer les référentiels d’organisation des soins par lit ouvert selon les activités avec des référentiels partagés », estiment ses auteurs. Enfin, ils mettent l’accent sur la nécessité de généraliser un management « participatif » pour, entre autres, mieux sécuriser l’adhésion aux projets de soins définis dans les équipes. Ce type d’encadrement doit pouvoir parallèlement se recentrer « davantage sur le terrain, dans le soin, moins dans l’administration/la gestion/le reporting » tout en laissant plus d’autonomie au terrain et à ses initiatives.
L'humain comme valeur essentielle à promouvoir
L’essentiel est en réalité de remettre de « l’humain » dans le système de santé. Au sein des équipes et des établissements, c’est par l’intégration de plus de temps d’échanges entre les professionnels, par le fait de redonner de la place à « une écoute bienveillante » ou encore de « refaire une place au dialogue régulier sur le travail de tous les jours (réunions de services, transmissions orales et pas seulement informatiques...) » que cette approche peut se développer. Le Comité d’éthique insiste par ailleurs sur la nécessité de porter une attention aux jeunes professionnels, soit entre 25 et 35 ans. Plus mobile que les plus anciennes, cette génération « revendique une priorité à une qualité de vie personnelle, parfois difficilement compatible avec les règles de permanence et continuité des soins » et privilégie « la relation humaine » et les « émotions », prévient-il.
Impossible par ailleurs de retrouver de l’humain sans replacer l’usager au centre du soin. Il faut donc « encourager la communication entre le patient, son entourage et l’équipe soignante » ou encore « impliquer les résident(e)s d’EHPAD dans les choix d’organisation », donne-t-il en exemple. Autres pistes à explorer dans ce champ : valoriser l’expérience patient et l’expertise des patients experts ou faire de la responsabilité populationnelle la « nouvelle approche politique au niveau du projet médico-soignant partagé » sur les territoires. Dans les établissements, enfin, le Comité d’éthique souhaite l’instauration de temps et d’espaces de réflexion éthique, dont des réunions d’équipe pour évoquer des situations cliniques particulières.
Les soignants culpabilisent tous les jours de céder sur leur désir d’un travail cohérent, c’est-à-dire d’un travail bien pensé, bien fait et bien partagé au sein d’une bonne cohésion d’équipe.
La T2A toujours dans le viseur
D’humain, il est toujours question à l’échelle plus macro du politique. La Fédération plaide ainsi pour une sortie du tout T2A (Tarification à l’acte), qui induit depuis sa mise en place une « logique comptable » délétère pour l’hôpital. D’ailleurs, note-t-elle, « l’hôpital public est le lieu où la part des recettes reposant sur la T2A est la plus faible (environ 50%). » Ce système privilégie « davantage les actes techniques et pas assez les actes relationnels, ni la réflexion éthique », regrette le Comité d’éthique, négligeant ainsi tous les autres aspects du soin (dont suivi de maladie chronique, éducation thérapeutique…). Et le Comité d’éthique de rappeler dans son avis, à juste titre, les engagements d’Emmanuel Macron lors de ses vœux aux soignants prononcés début janvier à ce sujet et salués par la FHF. « Le discours du Président de la République devant les hospitaliers du centre hospitalier Sud Francilien à Corbeil-Essonnes ouvre, nous l’espérons, des perspectives à venir », veut-il croire.
L’ensemble de ces recommandations, qu’elles concernent les structures ou qu’elles soient de nature plus systémique, contribueraient à la richesse professionnelle mais, surtout, permettraient de redonner une vraie cohérence et du sens à l’activité soignante. « Les soignants culpabilisent tous les jours de céder sur leur désir d’un travail cohérent, c’est-à-dire d’un travail bien pensé, bien fait et bien partagé au sein d’une bonne cohésion d’équipe. » Or un soignant ne peut bien soigner que s’il est bien dans son travail, conclut-il.
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