« Cette décision du gouvernement va à l’encontre de la qualité des soins et entraine une perte de chance pour les patients. » La « décision » que dénonce Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), en introduction d’une conférence de presse réunissant 6 organisations représentatives de la profession* prévoit en effet un parcours spécifique de formation pour les aides-soignants (AS) en exercice qui souhaiteraient devenir infirmiers. Tel qu’il est présenté, l’arrêté qui le cadre stipule ainsi que les aides-soignants qui justifieront d’une expérience professionnelle de 3 ans pourront en effet intégrer directement la deuxième année de formation infirmière. Ils auront à suivre au préalable un parcours spécifique composé de 7 semaines de formation, et 5 de stage. Or pour les représentants de la profession infirmière, ce texte est non seulement inadapté aux exigences du métier, mais pire, il est dangereux. De quoi les pousser à établir un recours auprès du Conseil d’État pour en demander l’annulation.
Une équivalence qui entraînerait un déficit de compétences
En premier lieu, il y a cette équivalence qui n’en est pas une entre les années d’expérience et le parcours spécifique des AS, et la première année de formation infirmière. « La formation complémentaire ne semble pas suffisante pour répondre aux exigences de la formation infirmière », a ainsi commencé Charles Eury, vice-président de l’ANPDE. Avec un risque de « non-acquisition des fondements de la formation », tels que la pharmacologie ou le raisonnement clinique, par les AS qui s’inscriraient dans ce dispositif, a poursuivi Michèle Appelshaeuser, la présidente du CEFIEC. Le parcours spécifique ne prévoit « qu'un seul stage pour qu’un AS acquiert une posture d’infirmier. Mais c’est impossible de changer de métier en 5 semaines », a-t-elle également dénoncé.
Les AS devenus infirmiers eux-mêmes estiment que la première année de formation infirmière est indispensable pour changer de métier, a abondé Ghislaine Sicre, la présidente de Convergence infirmière, qui a rappelé que cette question de l’acquisition des compétences était encore plus critique pour les infirmiers libéraux : exerçant souvent seuls aux domiciles des patients, ils doivent être en capacité de déceler les situations de soin complexes. « Réduire la formation d’un tiers est dangereux », a-t-elle martelé. « Nous ne voulons pas qu’il y ait deux classes d’infirmiers demain. » À l’arrivée, ont jugé les intervenants, ce sont les patients qui seront pénalisés par ce déficit de compétences.
Ce dispositif est totalement contraire à la logique de l’universitarisation.
L’universitarisation remise en cause
La décision du gouvernement est d’autant plus incohérente que le texte s’impose dans un contexte et une temporalité déjà critique pour les infirmiers : ceux des travaux de refondation non seulement du métier, promise par François Braun, l’ancien ministre de la Santé, mais aussi de la formation elle-même, via l’universitarisation, et de son référentiel. Des travaux qui doivent justement mener à une extension des compétences de ces professionnels et à une plus grande autonomie. Le projet de parcours spécifique viendrait donc un peu plus brouiller une situation qui, à l’heure actuelle, se caractérise déjà par son manque de visibilité. Il s’agirait d’abord de fixer le nouveau référentiel de la formation infirmière avant d’envisager de nouvelles passerelles entre cette profession et celle des AS. « En septembre vont débuter les groupes de travail sur la réingénierie de la formation socle, et le parcours spécifique des AS », dont la mise en place est prévue pour février 2024, « va s’appuyer sur des contenus qui vont être revus dans les 6 mois suivants », s’est ainsi agacée Manon Morel, présidente de la FNESI. « Il y a une problématique évidente de temporalité. »
Autre point d’inquiétude : le parcours spécifique ne sera validé par aucun examen, ce qui contrevient aux exigences des parcours universitaires de type Licence-Master-Doctorat, dans lesquels s’inscrit désormais la formation infirmière. « Si demain, on a des infirmiers qui sortent de formation avec une licence qui n’en est pas une, on ne pourra pas prétendre qu’on rentre dans le dispositif LMD », a réagi Émilie Chollet, vice-présidente du CEEPAME. « Ce dispositif est totalement contraire à la logique de l’universitarisation », a abondé Michèle Appelshaeuser. Et l’inquiétude est d’autant plus grande qu’il manquerait déjà pas moins de 400 heures à la formation infirmière pour correspondre aux standards fixés par l’Union européenne.
De probables « situations d’échec » à venir chez ces étudiants
Surgit enfin une préoccupation autour des étudiants AS qui risqueraient de se mettre en situation d’échec en deuxième année de formation en raison d’un manque de connaissances. « La deuxième année, c’est là où on a le plus d’abandon pour les AS car l’exigence y est la plus importante », a observé la présidente du CEFIEC. « Ils risquent d’être dans une situation d’échec, dans une formation qu’ils auront investie très fortement ; et c’est très difficile à surmonter. » Et rien n’assure par ailleurs qu’ils pourront bénéficier d’un accompagnement solide de la part des instituts de formation, à l’heure actuelle déjà impossible à mettre en place, a pointé Manon Morel. « La problématique, c’est l’absence de moyens. La DGOS a préconisé un renforcement de l’accompagnement pédagogique de ces étudiants, alors que c’est déjà compliqué en raison d’un manque de ressources. »
Si les infirmiers se dressent contre ce nouveau dispositif, il ne s’agit pour autant pas d’empêcher toute évolution professionnelle pour les AS, se sont défendus les intervenants. Le plus pertinent serait ainsi de repenser d’abord la formation infirmière puis de faciliter les passerelles entre les deux métiers. Mais qui « s’appuient sur des acquis académiques », a insisté la présidente de la FNESI. « Les AS qui veulent devenir infirmier suivent l’ensemble de la formation, ce qui est enrichissant à la fois pour eux et pour les étudiants qui arrivent via Parcoursup », a par ailleurs avancé Thierry Amouroux. « Ce mélange fait aussi la richesse de notre profession. »
Une décision qui doit être annulée
Plus globalement, ils dénoncent un texte s’inscrivant dans une logique purement comptable, qui permettrait aux employeurs d’économiser les coûts d’une année de formation. « La raison de ce parcours, c’est de former plus et plus rapidement au détriment des compétences », a ajouté Manon Morel. Plusieurs mois pourraient être nécessaires avant que le contentieux ne trouve une résolution devant le Conseil d’État. « Nous espérons que la décision de François Braun puisse être revue par le nouveau ministre de la Santé dans l’intérêt des patients, premières victimes d’une telle réforme », a conclu Thierry Amouroux.
Pour justifier sa demande d’annulation du texte, le cabinet d’avocat choisi par les 6 organisations entend notamment pointer une possible violation de la loi. En effet, selon les codes de la santé publique et de l’éducation, pour être validées, les études en santé doivent être sanctionnées par l’acquisition d’un certain nombre d’ECTS via le contrôle continu, mais aussi des examens. Or le parcours spécifique ne prévoit pas l’organisation d’un tel examen, a expliqué Maître Jean-Christophe Boyer ; seulement la remise d'une attestation de validation des semaines de formation. « Certains ECTS seront considérés comme acquis sans évaluation. On peut avoir un risque de baisse de niveau dont les écoles ne pourront pas se rendre compte puisqu’on ne leur permettra pas d’évaluer » les connaissances des étudiants. De quoi alors hypothéquer « la reconnaissance du diplôme français sur le plan européen », craint l'avocat.
* L’Association Nationale des Puéricultrices (ANPDE), le Comité d’Entente des Ecoles Préparant aux Métiers de l’Enfance (CEEPAME), le CEFIEC (Comité d’Entente des Formations Infirmières et Cadres), Convergence Infirmière, la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (FNESI), et le SNPI.
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