Comment vivez-vous l'attribution de ce «prix du chercheur confirmé» ?
Recevoir un prix en recherche quand ça fait de nombreuses années que l'on prend beaucoup de temps, d'énergie pour mener ce type de travaux, c'est toujours une belle reconnaissance. C'est aussi un plaisir de pouvoir faire connaitre ses travaux et la possibilité de ce type de carrière à nos jeunes collègues infirmiers. Je suis très fière quand j'arrive à donner l'impression qu'on peut à la fois relier l'ancrage clinique très fort avec la recherche. Je suis convaincue que cela donne du sens à nos métiers, que cela pousse à se sentir légitime, à conceptualiser son travail, à prendre un peu de recul pour élaborer, tout en étant extrêmement attaché aux éléments de la clinique.
Comment en êtes-vous arrivée à la recherche ?
Pour moi, la recherche a d'abord été un questionnement. Pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas faire ça, et est-ce qu'il faut faire comme ça ?... Pourtant, au début de ma carrière d'infirmière, je n'avais aucune méthode. J'ai eu beaucoup de chance en arrivant dans l'équipe du Centre d'étude et de traitement de la douleur à l'hôpital Trousseau, c'est vraiment là où j'ai appris à faire de la revue de la littérature, c'était une véritable culture dans le service.J'ai aussi assez vite intégré l'association Pédiadol, un groupe d'experts de la douleur de l'enfant qui diffuse depuis 30 ans des informations autour de la prise en charge de la douleur de l'enfant, des connaissances qui sont toujours fondées sur des preuves.
Rigueur, méthode, reproductibilité : ces mots clés ont fait le socle de ma culture
L'intégration dans cette unité «douleur» a donc vraiment été inaugurale pour moi d'un certain état d'esprit, d'une démarche scientifique. Il fallait mesurer le réel. Rigueur, méthode, reproductibilité : ces mots clés ont fait le socle de ma culture. Enfin, j'ai eu la chance de faire des rencontres déterminantes. Une de mes collègues, infirmière de recherche clinique au Centre National de Référence et de Lutte contre la Douleur (CNRD), Patricia Cimerman, m'a vraiment mis le pied à l'étrier. Elle me harcelait de petites phrases comme «Quelle est ta question ?», pour m'obliger à n'en formuler qu'une.
Vos travaux portent sur l'usage de la contention dans les soins pédiatriques. Pourquoi cet objet de recherche ?
La prise en charge de la douleur de l'enfant est le fil conducteur de ma carrière. Ce focus-là m'a amenée avec l'équipe à me poser notamment la question du recours à la contention physique pour réaliser les soins. Dès 2009, nous nous sommes interrogés sur la fréquence de la contrainte physique chez l'enfant et pour cela, nous avons dû créer une échelle de mesure de la contention physique, l'échelle PRIC (Procedural Restraint Intensity in Children).
Nous avons réalisé deux études, l'une en 2009 et l'autre en 2011, pour mesurer la fréquence de la contention forte en pédiatrie pendant les soins. Les équipes de soignants devaient remplir différents critères : quel âge a l'enfant, quel médicament il a reçu, qui l'accompagne etc. Puis côter l'échelle de contention. Nous avons enregistré plus d'un millier de gestes, dans ce qui a constitué les éléments de base d'un travail inaugural. C'est à ce moment là que j'ai commencé un master en philosophie, en éthique parce qu'en parallèle, il y avait des éléments qui m'interrogeaient dans ma pratique clinique : j'étais même dans une tension morale vis-à-vis de certaines situations, entre la nécessité d'être attentive à la réalité des équipes et en même temps, et mon devoir à l'égard de l'enfant d'assurer une qualité de la prise en soins qui soit suffisamment bonne.
Comment la philosophie a-t-elle influencé vos travaux ?
Pendant ma carrière j'ai fait des rencontres extrêmement marquantes. J'ai d'abord été infirmière en hématologie pédiatrique avant d'intégrer l'unité douleur et je m'étais déjà formée à des méthodes psychocorporelles avant de me former à l'hypnose médicale. J'ai eu la chance de rencontrer François Roustang, un grand hypnothérapeute qui a été l'un de mes premiers mentors dans la réflexivité vis-à-vis de la pratique clinique et dans la réflexion sur la douleur. Puis j'ai eu un second mentor, mon directeur de thèse, Eric Fiat, professeur de philosophie, qui m'a fait confiance, qui m'a guidée et a redonné tout son sens au terme "élève". Logiquement, je suis venue tricoter une réflexion philosophique autour de mes raisonnements cliniques et pratiques d'infirmière.
On avait le sentiment que temporairement, le soignant mettait entre parenthèses son empathie à l'égard de l'enfant pour produire le soin technique
J'ai donc réfléchi à l'usage de la contention mais d'un point de vue beaucoup plus philosophique. J'ai entrepris une thèse en philosophie et pour nourrir cette thèse, j'ai réalisé une étude qualitative cette fois, auprès de soignants de pédiatrie. De ces travaux a émergé un concept pour expliquer le phénomène de la contention physique lors des soins qui était un peu comme le triangle des Bermudes : on avait le sentiment que temporairement, le soignant mettait entre parenthèses son empathie à l'égard de l'enfant pour produire le soin technique. Le soignant devait absolument répondre à cette injonction de la technique. On a fait ce constat que l'enfant devenait l'objet du soin, mais que finalement le soignant lui-même était objectivé par l'injonction technique biomédicale, qu'il avait peu de marges de manoeuvre pour s'extraire de cela, qu'il se sentait obligé de faire le soin technique y compris lorsqu'il devait user de la contrainte physique et pour cela, qu'il mettait entre parenthèses sa capacité à voir la détresse de l'enfant. C'est ce qui est ressorti de notre étude qualitative et j'ai proposé le concept de «cécité empathique transitoire» pour essayer d'éclairer ce qui se produit lors d'une contention forte en pédiatrie. Ce concept est maintenant rentré dans le dictionnaire des concepts en soins infirmiers, il a surtout vocation à faire circuler la parole sur un phénomène qui était il y a 15 ans extrêmement tabou et qui n'était littéralement pas exploré en France. La question éthique se pose de façon un peu criante en particulier lorsque le phénomène est tu et qu'il n'y a pas de parole autour d'une pratique professionnelle qui met tout le monde dans l'embarras, soignants et patients.
Au lieu d'arrêter le mouvement des enfants, il faut chercher à le laisser bouger.
Ce qui est assez paradoxal, quand on va du côté de la pratique, c'est que lorsqu'un enfant commence à s'agiter, la réaction spontanée, c'est de l'immobiliser, de retenir le mouvement. Or, ce que l'on a découvert a d'abord été amené par la philosophie, notamment dans un texte de Platon qui dit que lorsque les mères cherchent à endormir leurs enfants, ce n'est pas du calme qu'elles leur donnent mais du mouvement. Aller trouver dans un texte de Platon une résonance à nos pratiques cliniques, ça a été pour moi quelque chose de très émouvant parce qu'en réalité, au lieu d'arrêter le mouvement des enfants, il faut chercher à le laisser bouger. On va même solliciter le mouvement en contre-latéral pour mieux obtenir l'immobilité. C'est à dire que si vous piquez à droite, vous allez proposer un mouvement avec le bras gauche de l'enfant pour laisser bouger l'enfant du point de vue moteur et vous obtiendrez ainsi l'immobilité en contre-latéral.
Cela rappelle le détournement de l'attention propre à l'hypnose...
Oui, sur le même principe, la mise en mouvement, c'est envoyer la tête de l'enfant en vacances. On va faire ainsi au maximum en sorte que le corps de l'enfant soit disponible pour le soin ; et sa tête est ailleurs. Mais en réalité, ce que j'explique au niveau de la sollicitation physique va un peu plus loin encore : pour éviter que l'enfant ne s'agite et qu'on soit amener à trop contrôler ses mouvements, il faut aller vers quelque chose de contre-intuitif c'est à dire laisser l'enfant bouger, voire même, solliciter du mouvement, évidemment en contre-latéral, de façon à ne pas être gêné pour la réalisation du soin.
Avez-vous sensibilisé les équipes soignantes de votre hôpital à ce concept ?
Oui on a énormément travaillé à ce sujet, on fait beaucoup de conférences, des ateliers de formation au sein des hôpitaux et par exemple, cette étude qualitative que nous avons menée sur la contention, j'ai eu la chance de pouvoir la soumettre et elle a été acceptée par une revue internationale, «Nursing Ethics». Notre article est paru, des collègues à l'étranger m'ont contactée et tout cela a donné lieu à un reportage en anglais sur la contention, sur le concept de «cécité empathique transitoire» et de ce qu'on peut mettre en place pour l'éviter.
Envisagez-vous une suite à ces travaux ?
Oui absolument, j'ai terminé une étude où je m'intéressais à la place de la musique vivante en médiation de la relation avec cette question de départ : de quelle manière la musique vivante peut aider, le soignant, l'infirmière, à rester centré sur l'enfant ? Dans mon travail, je mets justement en évidence qu'il n'est pas si facile de rester centré sur l'enfant. A partir de 30 situations de soin et d'observation, pendant plusieurs semaines, des soins en consultation chirurgicale auprès d'enfants avec des plaies très graves Par ailleurs, j'aimerais interroger quelque chose de très précis, de très concret : est-ce que chez l'enfant de 1 à 3 ans, faire faire un mouvement en contre-latéral réduit la douleur ? Toujours dans le sens de cette intuition profonde chez moi que j'aimerais aujourd'hui pouvoir prouver. Cette conviction profonde que quelque chose s'organise autour du mouvement et que cette mise en mouvement concerne bien sûr l'enfant mais aussi le soignant qui doit se mettre en mouvement vers l'enfant.
Prix du « Chercheur confirmé » : Bénédicte Lombart
Infirmière, cadre supérieur de santé , coordinatrice paramédicale de la recherche en soins GHU Sorbonne Université (AP-HP), Bénédicte Lombart est très engagée dans la lutte contre la douleur des enfants. Elle a notamment participé à l’élaboration de l’échelle PRIC, un outil pour mesurer la contention utilisée lors des soins en pédiatrie.
C’est d’ailleurs pour avoir publié sur l’éthique pédiatrique dans la revue Nursing Ethics en rapport avec la contention qu’elle a été récompensée dans le cadre du prix de la Recherche en Sciences Infirmières. S’y ajoutent sa nomination en tant que chercheur associé au Laboratoire Interdisciplinaire d'étude du Politique Hannah Arendt (LIPHA), de l’Université Paris-Est Créteil, ainsi que ses études sur l’impact de la musique vivante et l’utilisation des mouvements guidés pour réduire la douleur lors de procédures médicales chez les jeunes enfants.
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