La question du harcèlement entre élèves, Violaine Mengin, Infirmière scolaire dans un lycée avec internat en Bretagne, la connaît bien. Elle se souvient «d'une jeune fille» qui était venue la voir parce qu’elle avait été «exclue des groupes de conversation WhatsApp de la classe», après plusieurs semaines «d’insultes répétées sur elle et sur son physique». Un cas loin d'être isolé. «Ce type de situation arrive fréquemment dans les écoles, à travers les groupes de conversation Snapchat ou sur des comptes Instagram, avec des photos ou des commentaires désobligeants», résume-t-elle. Une histoire fréquente dans les cours d'école, qui se termine parfois très mal.
700 000 enfants victimes de harcèlement scolaire chaque année
En milieu scolaire, le harcèlement est le fait, pour un élève ou un groupe d'élèves, de faire subir de manière répétée à un camarade des propos ou des comportements négatifs voire violents*. En France, 700 000 enfants seraient ainsi victimes de harcèlement scolaire chaque année selon les chiffres du ministère de l'Education (cf notre encadré ci-dessous). Dans les établissements, c'est donc là l'une des missions des infirmiers scolaires : repérer ces violences au plus tôt pour éviter des conséquences dramatiques : la dépression de l'enfant persécuté, voire même, dans certains cas médiatisés, un suicide.
Des plaintes somatiques : "j’ai mal au ventre", "mal à la tête"… peuvent être révélatrices d’une cause plus profonde
«A l’Education Nationale, on est formés à ce repérage : je suis attentive aux enfants qui quittent la classe, plusieurs fois, sans raison, pour venir à l’infirmerie», explique Violaine Mengin. La «bobologie» met aussi parfois sur la piste «d'une souffrance psychologique» chez les élèves. «Ce sont ceux qui vont venir avec des plaintes somatiques : j’ai mal au ventre, mal à la tête… plein de petites choses qui, cumulées, vont être révélatrices d’une cause plus profonde. On peut encore constater le renfermement sur soi d'un élève, de l’absentéisme, la chute des résultats scolaires et il arrive enfin qu’un camarade vienne nous parler. C’est même assez fréquent, au-delà du harcèlement scolaire d’ailleurs, qu'un élève vienne évoquer les difficultés d'un camarade».
Environ 15% des élèves sont harcelés au niveau des établissements, soit 5 à 6 élèves par classe
Sandie Cariat travaille dans un collègue du sud de la France, près de Montpellier, un établissement qui compte 800 élèves. Elle partage son temps entre ce collège (à 70%) et une dizaine d'écoles du secteur (à 30%), en fonction des rendez-vous et des consultations infirmières. Le harcèlement scolaire, Sandie Cariat dit en rencontrer «pratiquement tous les jours» avec «environ 15% des élèves qui sont harcelés au niveau des établissements, soit 5 à 6 élèves par classe» et ce, même s'il faut faire le tri dans les discours car les élèves ont rapidement ce mot à la bouche.
Formée, comme ses pairs, à l'écoute, à la détection et à l'orientation des élèves en souffrance, elle souligne le «rôle primordial des infirmiers, chargés d’une première évaluation. Si on se rend compte qu'il y a effectivement un problème de harcèlement, on met en place une procédure : on reçoit les familles, on essaye d'identifier le harceleur, en lien avec l'ensemble de l'équipe éducative, la CPE et le chef d'établissement. C'est un travail d'équipe, une prise en charge d'équipe et on essaye de trouver des solutions». Des solutions à l'échelle de l'établissement ou au-delà, en fonction de la gravité des faits.
Derrière les écrans
Le harcèlement scolaire commence souvent derrière les écrans, explique Sandie Carriat. Sur internet, les insultes pleuvent, «sans émotion, et sans filtre... Souvent ça commence par du cyberharcèlement et puis ça bascule à l'école». Les conséquences sont multiples : isolement, perte de l’estime de soi, baisse des résultats scolaires voire décrochage, profond mal-être, troubles du comportement alimentaire, conduites suicidaires, etc. Les séquelles du harcèlement se font parfois sentir des années après, explique Violaine Mengin, qui voit plusieurs fois par an des élèves traumatisés par d'anciennes histoires de harcèlement qui les hantent.
Ecoute et action
Les élèves ont avant tout besoin «d’être entendus» et d’avoir quelqu’un de confiance à qui se confier parce qu'ils ont souvent peur» (des représailles surtout). Première étape : écouter l'élève, essayer de l'amener à verbaliser, avant «d'informer la vie scolaire, pour qu’il soit pris en charge, pour que des sanctions soient mises en place s’il y a lieu, des changements de classes...», précise Violaine Mengin. Les infirmières travaillent aussi avec les parents. «En général, au début les élèves refusent qu’on le dise à la famille, mais à force de discussions, ils finissent par accepter. Notre position consiste à faire la démarche avec eux. On leur explique les choses et la majorité du temps, ils acceptent nos propositions, parce qu’ils en comprennent l’intérêt. Après, on les oriente : vers un psychologue, un Centre Médico Psychologique, une maison des ados… des structures qui peuvent prendre en soin lorsqu’il y a un besoin de suivi psychologique».
Une réunion conjointe permet parallèlement de mener l'enquête, de croiser les données et d'identifier les élèves vraiment harcelés. Les solutions sont graduées en fonction de la gravité de la situation. «On propose une médiation dans le cas d'un harcèlement qui commence et peu grave, ou bien on signale et les familles peuvent porter plainte dans le cas d'un harcèlement qui dure depuis plus longtemps, explique Sandie Cariat. Les enfants identifiés comme harceleurs font aussi l'objet d'un suivi, à la fois parce qu'ils sont parfois eux-mêmes victimes de violences intra-familiales, mais aussi pour qu'ils comprennent les sanctions. Il faut enfin assurer le suivi de la situation et vérifier que le harcèlement a cessé. «Parfois les élèves n'arrivent pas à venir nous parler lorsque les agressions continuent», confient les infirmières, qui n'ont pas toujours la possibilité d'assurer un suivi au plus près de l'élève. «Je suis censée me rendre disponible pour 800 enfants et j'assure 40 consultations par jour. Les trois quart du temps je n'ai pas le temps de reconvoquer mes élèves», regrette Sandie Cariat.
Un infirmier scolaire pour 1600 élèves
En France, un infirmier scolaire s'occupe de 1600 élèves en moyenne selon le décompte du syndicat national des infirmières conseillères en santé, qui évalue les besoins à un infirmier pour 500 élèves et milite pour la création de 15 000 postes infirmiers pour arriver à cette moyenne. Le pays compte 8000 infirmiers scolaires sur toute la France pour 23 000 établissements. «On sait repérer et prendre en charge les élèves dans les établissements, mais il n'y a pas les moyens humains pour le faire», tranche Violaine Mengin. «Le harcèlement fait partie de nos points de vigilance, autant que les violences sexuelles, l'inceste et toutes les souffrances psychologiques. Ce qui nous importe, c'est la santé de nos élèves».
«On ne se sent pas du tout soutenus dans cette lutte», s'indigne Sandie Cariat : «On annonce des plans, des formations, on relance la problématique, on relance des questionnaires pour évaluer s'il y a des élèves harcelés... mais on ne créé pas de postes pour pouvoir écouter ces élèves sur le terrain. C'est bien gentil de mettre à disposition des élèves des numéros d'urgence sur la question mais si derrière il n'y a pas les soins et l'accompagnement mis en place, c'est un leurre».
Pour résumer, il faudrait plus d'infirmiers, plus de psychologues, plus d'assistantes sociales, plus de CPE, plus d'adultes pour écouter et agir. «Au niveau de l'établissement, en 10 ans, je suis passée de 600 à 800 élèves et je suis toujours seule... Un élève qui a enfin décidé de parler et qui trouve porte close, ce n'est pas normal. Pour moi, les élèves devraient avoir accès à nous en permanence, pour quelque motif que ce soit. Voilà ce qui contribue parfois à donner des situations dramatiques avec des passages à l'acte : ne pas être entendu ou que la situation perdure, par manque de suivi. Derrière une situation de harcèlement, je dois trouver un relais à l'extérieur, au minimum un pédopsychiatre ou un psychologue qui puisse évaluer dans quel état est cet élève». Et le problème va bien au-delà de l'école alors «qu'il faut au minimum 6 mois pour obtenir un rdv chez un psychologue ou un pédopsychiatre», s'indigne Sandie Cariat. «Une élève qui fait une tentative de suicide, je l'oriente vers le 15, elle est hospitalisée une demi-journée aux urgences et le lendemain elle est de nouveau dans l'établissement... Le résultat d'un manque de moyens également à l'extérieur. C'est l'hôpital qui va mal, c'est la pénurie de professionnels sur le territoire».
On sait repérer et prendre en charge les élèves dans les établissements, mais il n'y a pas les moyens humains pour le faire.
Garantir une consultation infirmière aux élèves
«Les élèves nous repèrent parce qu’ils nous voient dans les couloirs, dans leur lieu de vie. Pour nous c’est extrêmement important d’être visibles», affirme Violaine Mengin qui assure une permanence jusqu'à 21h dans son internat, des moments privilégiés pendant lesquels il arrive que les élèves viennent se confier à elle. «On leur explique qu'on est professionnels de santé, qu'on est donc soumis au secret professionnel et qu'ils peuvent nous parler. On ne parle jamais sans leur accord, sauf lorsque nous y sommes légalement obligés (en cas de maltraitance, ou si l'enfant est en danger...), mais pour le reste, c'est entre nous et on avise en fonction de la situation», précise Violaine Mengin.
Le Snics-FSU défend la consultation infirmière libre, gratuite et confidentielle sans condition d'accès pour tous les élèves. «On demande seulement qu'à aucun moment les élèves ne trouvent porte close, qu'on crée des postes pour permettre ce droit là qu'a l'enfant à la consultation infirmière sur son lieu de vie», rappelle Sandie Cariat. Une présence des infirmières dans l'établissement qu'elles savent menacée «notamment par la loi 3DS qui prévoit une décentralisation et donc de sortir les infirmières de l'Education Nationale des établissements scolaires», s'inquiète Violaine Mengin. «Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'un élève vient, s'assoit et déballe tout. Ce n'est pas sur rendez-vous mais bien quand lui le veut».
Les infirmiers de l'Education Nationale se forment seuls, parce qu'ils n'ont pas accès à la formation continue qu'il faudrait. C'est pour cette raison que le Snics-FSU défend encore «la création d'un Master scientifique Education Nationale, infirmier(ère) conseiller(ère) en santé, pour pouvoir former tout le monde sur toutes ces questions». Violaine Mengin insiste : «On est vraiment le premier recours pour les élèves».
Le harcèlement scolaire en chiffres
700 000 enfants seraient victimes de harcèlement scolaire chaque année. Plus de la moitié (53 %) des élèves harcelés disent avoir subi ces violences au collège, 28 % en primaire, 6 % au lycée et 13 % à plusieurs moments de la scolarité. Le phénomène touche autant les filles que les garçons, mais les premières subissent plus de remarques sur leur tenue et sont davantage la cible de rumeurs. 35 % des élèves handicapés ont subi du harcèlement, contre 14 % chez ceux qui n’ont pas de handicap. La proportion est de 30 % parmi les adolescents qui vivent en internat, contre 15 % chez les autres. 22 % des élèves se qualifiant de timides en sont victimes, contre 8 % parmi les autres, et 28 % des roux contre 13 % des bruns.
Le harcèlement se manifeste principalement par des moqueries (91 % des jeunes harcelés), des insultes (89 %) et le fait d’être ignoré, mis de côté (86 %). Il est le fait d’un groupe d’élèves dans 81 % des cas, d’un seul élève dans 25 % des situations. Les faits se déroulent principalement hors des salles de classe : 94 % dans la cour de récréation, 83 % dans les couloirs, d’où l’importance de former les assistants d’éducation et conseillers principaux d’éducation. Et dans 44 % des cas sur les réseaux sociaux.
(1) Etude pour l’association Marion la main tendue et Head & Shoulders menée par l’Ifop, via une triple enquête : une première menée auprès d’un échantillon représentatif de 1 001 collégiens et lycéens, par questionnaire auto-administré en ligne du 14 au 20 septembre ; la deuxième sur 1 001 parents d’enfants scolarisés au collège et lycée, entre le 13 et le 22 septembre ; la troisième auprès de 200 enseignants du second degré entre le 13 et le 18 septembre.
* Source : ministère de l'Education Nationale et de la Jeunesse.
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