Baptiste Beaulieu, médecin, blogueur sur un espace intitulé « Alors voilà. Journal de soignés/soignants réconciliés » raconte aujourd'hui l'histoire que JL, un de ses collègues infirmiers, lui a confié ! Merci pour ce partage plutôt réjouissant malgré les circonstances et qui devrait parler à nombre d'entre vous…
Alors voilà... Mme L., une vieille dame adorable, est morte. Avec une infirmière et un collègue élève infirmier nous sommes chargés de faire sa toilette mortuaire ; à 20 ans et sans grande expérience du corps humain, de la mort, et du "corps humain mort", ce n'est vraiment pas facile à assumer, autant dire que nous étions tous les trois pour le moins "tendus" (si tu changes quelques lettres à tendus tu obtiens "complètement désemparés").
Devant la porte de la chambre, une dizaine de personnes, sombres et graves, la famille qui, voisine de l'hôpital, est déjà là... Une pression supplémentaire dont nous nous serions bien passés. Nous nous enfermons donc avec ce corps froid et blanc, TERRIBLEMENT froid et blanc, et commençons en silence à exécuter notre triste besogne dans un silence morne et solennel. Tout à coup, lors d'une manipulation difficile (la dame pesait vraiment, mais alors vraiment très lourd), le corps émet "un vent" aussi bruyant que malodorant ! Un énorme, énorme pet ! Et là, tout s'accélère… Nous sommes pris d'un effroyable et inextinguible fou rire, à la hauteur de la tension qui pesait sur nos jeunes épaules et accentué par la présence de la famille derrière la porte, à moins de 5m de nous, ce genre de rire salvateur, qui préserve un peu de l'absurde, tragique et effroyable condition humaine. Très vite, l'infirmière, les deux mains crispée sur le bas-ventre, sent que sa vessie va lâchement l'abandonner. Vite, vite! Elle doit sortir, les mains plaquées sur le visage et le corps secoué de spasmes! Et se précipiter vers les toilettes devant la famille interloquée ! Après de longues minutes de récupération, nous terminons enfin notre travail et faisons entrer la famille, qui remarque nos yeux rougis et larmoyants mais ne fait pas de commentaire.
Deux jours plus tard, nous sommes tous les trois convoqués chez l'infirmière générale qui, à l'époque et pour nous, était une sorte de "Dieu le père" en blouse blanche. Nous nous doutons bien qu'il y a un rapport avec cet incident et c'est avec anxiété que nous pénétrons dans son bureau. Avec cérémonie, elle entreprend de nous lire une longue lettre de la fille de cette patiente décédée: une véritable déclaration d'amour et de reconnaissance à notre égard, intarissable sur nos qualités d'empathie et de compassion ; ...combien nous avons tous été particulièrement émus par les sanglots de l'infirmière et les larmes voilées des infirmiers! Pour ça, merci. Merci infiniment.
signait la fille de Mme L. Lorsque, après les félicitations d'usage de la part de "Dieu le Père", nous sortons de ce bureau, le même fou rire nous reprend et, cette fois-ci, je crois que l'infirmière n'a pas le temps d'arriver aux toilettes…
Cet article a été publié le 21 avril 2016 sur alorsvoila.com.
Baptiste BEAULIEU http://www.alorsvoila.com