Partout dans le monde, des équipes de recherche publiques et des industriels, travaillent à la mise au point d’un vaccin contre la Covid-19. Pour faire le point, nous interrogeons Marie-Paule Kieny, virologue, directrice de recherche à l’Inserm, elle est présidente du comité Vaccin Covid-19 mis en place par les ministères de la Recherche et de la Santé, pour évaluer les candidats-vaccin. Cet article a été publié par The Conversation, nous les remercions pour ce partage.
The Conversation : Quels sont les rôles du comité Vaccin Covid-19 ?
Marie-Paule Kieny : Dans la course contre la montre pour développer un vaccin contre la Covid-19, 198 candidats sont en lice. Tous ne sont pas au même stade de développement, la plupart (154) sont encore à des niveaux précoces de développement. Certains sont en essais cliniques de phase I, correspondant à la première administration à l’être humain et durant laquelle son innocuité est vérifiée chez quelques dizaines de personnes, d’autres en phase II, pendant laquelle leur capacité à induire une réponse immunitaire est testée chez quelques centaines de volontaires. Et enfin, 10 sont actuellement en phase III, pour étudier leur efficacité et relever d’éventuels effets secondaires avec beaucoup plus de participants : de l’ordre de quelques dizaines de milliers généralement.
Suivre l’évolution de la recherche est l’une des missions du comité Vaccin Covid-19 que je préside. Ce groupe de 11 personnes a pour vocation de produire des recommandations destinées au réseau de centre d’évaluation clinique COVIREIVAC pour prioriser les essais cliniques à réaliser en France, ainsi qu’au gouvernement qui pourra les prendre en compte pour décider quel vaccin précommander ou acheter pour la population française.
Si notre avis scientifique est bien sûr très important, la décision politique reposera également sur la disponibilité des doses, leur prix et sur la confiance qu’ont les acheteurs dans le producteur.
TC : Quels sont les candidats-vaccins les plus prometteurs ?
M.-P. K. : Notre suivi des publications scientifiques et nos rencontres avec des industriels se focalisent notamment sur les 10 candidats les plus avancés actuellement en essais cliniques de phase III. Ils sont chinois, américains ou européens.
Si les technologies – souvent appelées plates-formes – utilisées dans ces différents projets ne sont pas les mêmes, ce qui implique que la nature du vaccin obtenu sera différente, le principe reste identique : il s’agit d’injecter tout ou partie du virus afin de générer une réponse immunitaire protectrice. Si le vaccin est efficace, notre système immunitaire va reconnaître ce corps étranger et produire des anticorps et des cellules T « tueuses », ce qui lui permettra de réagir rapidement s’il se retrouve en contact avec le « vrai » virus, empêchant sa prolifération et donc la maladie.
Sur les dix candidats vaccins testés en phase III, trois sont basés sur un virus inactivé, c’est-à-dire qu’ils contiennent le coronavirus SARS-CoV-2, qui a été traité par des substances chimiques pour lui faire perdre sa capacité à se reproduire. Ces vaccins sont développés par des industries et universités chinoises.
Deux autres des candidats les plus avancés, développés aux États-Unis et en Europe, ont recours au matériel génétique du SARS-CoV-2 : l’ARN. Celui-ci est utilisé pour produire les protéines qui serviront notamment à construire de nouvelles particules virales. L’idée est d’injecter un fragment de l’ARN du SARS-CoV-2 dans nos cellules. Celles-ci produiront certaines protéines du coronavirus que notre système immunitaire reconnaîtra, provoquant une réponse immunitaire. Désormais « éduqué », le système immunitaire réagira lorsqu’il rencontrera le virus entier.
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Les cinq derniers candidats vaccins utilisent des adénovirus, sortes de « virus navettes non réplicatifs » qui, une fois administrées à la personne vaccinée, vont produire certaines protéines du SARS-CoV-2, qui seront détectées par notre système immunitaire.
Il est encore trop tôt pour se prononcer sur la meilleure technologie, et la France compte acheter un portefeuille de différents vaccins afin de maximiser les chances d’avoir un vaccin efficace.
Avec 10 candidats en phase III, je suis raisonnablement confiante pour une disponibilité d’un vaccin début 2021, en faibles quantités pour commencer. En effet, les premiers résultats des phases III sont attendus avant la fin de l’année 2020, et d’autres pourraient être annoncés dans les mois qui suivent.
TC : Quelle sera l’efficacité du vaccin ?
M.-P. K. : Le vaccin parfait serait celui qui assurerait un taux d’efficacité de 100 % contre l’infection par le virus SARS-CoV-2 : avec un tel vaccin, toute personne vaccinée serait protégée contre la Covid-19. Elle ne tomberait pas malade en cas de contact avec le virus, ni ne pourrait le transmettre.
Dans la réalité, il est beaucoup plus probable que le taux d’efficacité n’approche pas les 100 %, et que certaines personnes vaccinées puissent transmettre le virus SARS-CoV-2 tout en n’étant pas malades. Que faire dans ce cas ? Il faudra adapter la stratégie de vaccination. Les personnes chez qui ce taux sera particulièrement scruté, sont celles âgées de plus de 70 ans, tout simplement parce qu’elles sont les plus souvent victimes de formes graves. Ce sont donc celles à protéger.
L’un des obstacles que l’on rencontre lorsqu’on vaccine les tranches les plus âgées de la population résulte d’une contrainte parfaitement naturelle appelée « immunosénescence » : à mesure que nous prenons de l’âge, notre système immunitaire vieillit également. Ce faisant il devient moins réactif aux vaccinations.
Si le vaccin devait s’avérer plus efficace chez les jeunes, une solution pourrait être de vacciner les proches des personnes âgées.
La bonne nouvelle est que plusieurs vaccins ont montré, lors des essais préliminaires, une capacité similaire à induire une réponse immunitaire, quelle que soit la tranche d’âge considérée. Ce paramètre devra être confirmé lors d’essais à plus large échelle.
TC : Est-on immunisé, naturellement, après avoir été en contact du virus ?
M.-P. K. : Le concept même de vaccin repose sur notre mémoire immunitaire. En effet, après une première exposition à un pathogène, notre corps garde la mémoire de l’infection, ce qui le rend capable de réagir en cas de seconde attaque. La vaccination exploite ce phénomène : l’injection d’une partie d’un virus donné en prévision d’une rencontre ultérieure avec cet agresseur doit permettre à notre système immunitaire de réagir efficacement dès le premier contact avec le pathogène réel.
Dans notre pays, selon Santé publique France, environ 900 000 cas d’infection par le coronavirus SARS-CoV-2 ont été recensés. Peut-on considérer que ces personnes sont immunisées à vie ? Malheureusement ce n’est pas si simple.
Le SARS-CoV-2 semble induire des réponses immunitaires faibles, qui ne durent pas très longtemps. C’est le cas avec d’autres coronavirus, comme ceux responsables de rhumes, qui peuvent nous contaminer plusieurs fois. Le niveau de réponse semble également corrélé au degré de sévérité des symptômes de Covid-19. Une personne asymptomatique fait en général une réponse immunitaire plus faible qu’une personne avec des symptômes légers, qui elle-même développe moins d’anticorps que les patients qui ont dû être admis en réanimation.
Il existe une dizaine de cas dans le monde, documentés scientifiquement, de personnes ayant été infectées deux fois. Certaines de ces personnes n’ont pas développé de symptômes lors de leur deuxième infection, mais d’autres ont fait une Covid-19. Ce chiffre est, pour le moment, très faible au regard du nombre de patients, mais c’est un indicateur à suivre.
TC : Faudra-t-il se faire vacciner tous les ans ?
M.-P. K. : Certaines pathologies, comme la grippe ou les rhumes provoqués par des coronavirus bénins, sont saisonnières. Dans ce cas, chaque année, le virus circule davantage dans la population en hiver. Ceci peut être lié au virus lui-même, qui peut survivre plus longtemps sous certaines conditions météorologiques, mais surtout à nos comportements. En effet, en hiver, nous vivons plus à l’intérieur des maisons, dans des espaces clos, donc les contacts proches avec d’autres personnes sont plus fréquents qu’en été où nous passons plus de temps dehors.
Est-ce le cas pour le SARS-CoV-2 ? C’est encore trop tôt pour le dire, ce dernier n’ayant émergé que l’année dernière.
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Il est en revanche aujourd’hui bien documenté que le SARS-CoV-2 mute, et que son patrimoine génétique n’est pas le même selon les régions géographiques. Cela veut-il dire qu’il faudra faire également évoluer le vaccin et renouveler la vaccination chaque année comme pour la grippe ? Pas forcément, car ces mutations n’ont pas encore produit de souches virales très différentes et les anticorps induits par les candidats-vaccins semblent avoir les mêmes efficacités au laboratoire vis-à-vis des différentes souches.
TC : La vitesse de la recherche nuit-elle à la sécurité ?
M.-P. K. : Si une question est primordiale dans le développement d’un vaccin, c’est bien le critère de son innocuité. Ceci est tout d’abord vérifié pendant la phase I chez un nombre réduit d’individus. Puis, on passe à la phase II pour vérifier que le vaccin induit le type de réponse immunitaire espéré. Enfin, on passe à la phase III pour vérifier que le vaccin est efficace. Pour gagner du temps, ces trois phases sont réalisées en parallèle pour les vaccins-candidats contre la Covid-19, mais avec la même rigueur. Tous les critères classiques sont respectés, et un vaccin présentant des effets secondaires majeurs ne sera pas mis sur le marché. Ce sont les industriels ou équipes de recherche publiques qui mènent ces travaux, vérifiés ensuite par les autorités sanitaires européennes puis françaises.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Marie-Paule Kieny, Directrice de Recherche, Inserm
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