Afin de répondre aux enjeux de vaccination contre le Covid-19, certains infirmiers libéraux n’hésitent pas à se regrouper pour monter des centres de proximité réunissant des équipes pluriprofessionnelles. Voire à en prendre la tête et à en assurer la gestion. Illustration avec Thierry Pechey, infirmier en région Grand Est.
En janvier 2021, alors que débute la campagne de vaccination contre le Covid-19, des infirmiers et médecins libéraux de la métropole de Nancy se réunissent afin de créer des centres de proximité afin, notamment, de vacciner les populations dépendantes et les plus à risque. Cinq voient ainsi le jour sur le territoire. Et à la tête de l’un d’entre eux, Thierry Pechey, infirmier libéral depuis 33 ans, qui multiplie les casquettes (président d’une équipe de soins primaires , président du Conseil départemental de l’ONI…). De la création de la structure à son organisation logistique en passant par la collaboration avec l’hôpital de la métropole nancéenne, il raconte son expérience et souligne l’intérêt de cette démarche, qui s’appuie avant tout sur une approche et une coopération pluriprofessionnelle, qui ne peut être que bénéfique à la médecine de ville.
Comment ces centres de vaccination se sont-ils constitués ?
En premier lieu, nous nous sommes appuyés sur les 25 équipes de soins primaires (ESP) que nous avons montées dans la région et regroupées en association et sur notre Communauté Professionnelle Territoriale de Santé, dont je suis le vice-président. Afin de bénéficier des financements pour lancer le centre, il nous fallait en effet disposer du statut de personne morale, ce que permet le mode associatif. Dès le mois de décembre 2020, nous avons organisé une visioconférence à laquelle nous avons convié la Direction de l’ARS, celle de la Caisse maladie, et les Ordres de médecins et d’infirmiers pour leur faire part de notre volonté de monter des centres de vaccination de proximité. Quand, en janvier, le début de la campagne de vaccination a été annoncé, l’ARS nous a recontactés pour que nous lancions le projet. Il a alors fallu contacter les élus territoriaux pour qu’ils nous confient des moyens de monter ces centres, à commencer par des locaux suffisamment grands pour accueillir le public en toute sécurité. Mon centre de vaccination, par exemple, s’est installé dans le Château du Pont de la Meurthe, à Saint-Max (Meurthe-et-Moselle). La mairie a également mis à notre disposition du personnel chargé du ménage et des questions d’intendance. Et pour le matériel, nous avons lancé un appel aux dons : les pharmaciens nous ont prêté des fauteuils à déclive pour que nous puissions allonger les personnes et les mettre à l’aise, une société de services spécialisée en santé, des ordinateurs et des imprimantes. Malheureusement, nous devons encore financer certaines choses, comme l’achat de papier ou de gel hydroalcoolique par exemple, sur nos fonds propres, car l’ARS ne nous a pas encore versé les subventions promises.
Comment vous organisez-vous et vous répartissez-vous les tâches au sein du centre de vaccination ?
Nous sommes en tout un peu plus d’une centaine à nous relayer sur le centre, avec 50 infirmiers et 50 médecins généralistes, exclusivement des libéraux. Tout commence par l’accueil des personnes, qui est réalisé par des étudiants qui viennent de l’IFSI de Laxou et qui ont effectué leur service sanitaire dans notre structure. Ils en profitent pour faire de la prévention, en rappelant l’utilité des gestes barrière par exemple. Les consultations sont confiées aux généralistes, tandis que les infirmiers procèdent aux injections. L’organisation n’est toutefois pas rigide. Si un infirmier rencontre un imprévu et ne peut pas être là, le médecin peut lui aussi vacciner. Mais il va aussi nettoyer les tables et les chaises, si besoin ! Nous avons réellement cassé cette barrière qui existe encore trop souvent entre les médecins et les infirmiers. Nous accueillons ponctuellement des volontaires, soignants retraités ou en pré-retraites, spécialistes, qui, parce qu’ils ont entendu parler de notre initiative, souhaitent nous apporter un peu d’aide pour vacciner. Il s’agit aussi de former les nouveaux personnels qui viennent procéder aux injections. Nous savons tous vacciner, mais les produits à ARN messager impliquent certaines précautions – pas d’hyper pression dans les flacons et on ne masse pas non plus, par exemple – qu’il faut transmettre. Et tout est tracé, bien sûr, afin que l’on sache qui a fait quoi.
Nous avons développé "l’aller vers" pour proposer la vaccination aux populations âgées et précaires
Prises de rendez-vous, plannings, réception des vaccins… comment les rôles sont-ils distribués ?
Les prises de rendez-vous s’effectuent majoritairement sur Doctolib. A l’origine, c’est le CHRU de Nancy qui s’en chargeait, mais nous sommes désormais autonomes. Je dispose moi-même du statut d’administrateur sur Doctolib et j’ai la main sur toute la procédure. Nous ouvrons nous-mêmes les créneaux sur la plateforme en fonction de nos disponibilités et de notre stratégie. A titre d’exemple, nous sommes restés ouverts le jeudi de l’Ascension sans que nous ayons eu besoin d’en référer à l’ARS ni au CHRU. Par ailleurs, il arrive que nous manquions de doses lorsque certains viennent nous voir sans avoir pris rendez-vous en amont. Nous établissons donc des listes avec les noms des personnes éligibles pour les rappeler dès que nous recevons de nouveaux stocks de vaccins. Nous avons également développé "l’aller vers" pour proposer la vaccination aux populations âgées et précaires, qui sont souvent victimes de la fracture numérique, qui ont envie de se faire vacciner mais qui n’ont pas nécessairement accès à un ordinateur. La métropole nous a ainsi mis à disposition un véhicule pour nous rendre au domicile des patients. Pour ce type d’opération, nous préparons d’abord les vaccins au centre et nous partons ensuite pour 3 heures environ. Tout cela est évidemment très chronophage, mais nous estimons que nous préservons des vies en allant au contact des personnes les plus à risques, qui n’auraient autrement pas pu prendre rendez-vous sur Internet. La constitution des plannings, elle, est prise en charge par six infirmières coordinatrices, qui s’assurent que, en fonction du nombre de vaccinations que nous devons effectuer dans la journée, le centre dispose du nombre adéquat d’infirmiers et de médecins. Actuellement, nous vaccinons environ 250 personnes par jour, mais nous sommes en-deçà de nos capacités, puisque nous pourrions monter facilement à 500 personnes.
Quel rôle spécifique remplissez-vous ?
En tant que chef de centre, je participe évidemment à l’organisation des plannings. Mais le plus gros de mon activité consiste à commander les vaccins auprès du CHRU, à hauteur de deux fois par semaine. Nous utilisons le Pfizer, essentiellement, qui a besoin d’être conservé au réfrigérateur. Dès lors que l’hôpital nous livre, nous disposons de six jours pour utiliser l’ensemble des doses. Je me charge aussi de commander les seringues, qui nous sont fournies par Santé Publique France. Tout s’effectue à flux tendu, donc c’est vrai que ce n’est pas toujours évident. Mais je fais également beaucoup de lobbying afin de communiquer sur notre initiative. Nous avons par exemple organisé deux sessions d’information en présence des Directions de l’ARS et de la CPAM, de Patrick Chamboredon, le président de l’ONI, et du président de France Assos Santé, Gérard Raymond. J’ai aussi pour mission de trouver des solutions pour développer notre démarche "d’aller vers". Parallèlement, je poursuis mes tournées, mais je n’y consacre plus qu’environ huit jours par mois, et il a donc fallu que je fasse appel à mon remplaçant.
Le centre permet aussi de défendre la médecine de ville
Comment les personnels intervenant dans le centre sont-ils rémunérés ?
C’est l’Assurance Maladie qui nous rémunère. Très tôt, nous avons choisi, infirmiers comme médecins, d’être rémunérés au forfait, et non à l’acte, afin d’éviter toute course au rendement. Quand on prend en charge une personne âgée, il nous faut du temps. Il aurait en effet été injuste que certains soient moins rémunérés parce qu’ils s’occupent d’une personne fragile que d’autres qui prennent en charge des publics plus jeunes. Et nous voulions éviter toute forme de dérives, telle qu’une prise en charge dégradée des personnes, également. Les infirmiers libéraux sont donc rémunérés à hauteur de 55 euros de l’heure jusqu’à 8 heures maximum, avec une majoration de 40 euros lors des week-ends. Salariés et retraités qui viennent nous aider touchent une indemnité de 24 euros de l’heure, et celle des étudiants est fixée à 12 euros. Mais leur rémunération est doublée en week-end. Enfin, les médecins généralistes touchent un forfait de 440 euros la demi-journée. Tout le monde y perd fatalement un peu, mais cela ne nous pose pas de problème. L’argent ne constitue clairement pas notre motivation première.
Quels sont les retours des personnes vaccinées et des professionnels, aussi bien ceux qui participent à l’opération que des institutions ?
Il ne ressort que du positif ! Nous le constatons grâce aux réseaux sociaux, mais aussi aux remontées que nous font parfois les médecins et les pharmaciens du territoire. Et puis, plus amusant, les gens nous apportent énormément de chocolats pour nous remercier. De même, si l’ARS et le CHRU se montraient encore un peu méfiants au début, ce qui est normal car nous n’avons pas l’habitude de travailler main dans la main, nous avons su démontrer qu’ils pouvaient nous faire confiance. Nous avons d’ailleurs noué des relations avec l’hôpital. Son directeur adjoint est notamment venu à plusieurs reprises afin de voir comment nous fonctionnions, ce qui nous a permis de tisser de bons rapports, qui n’existaient pas avant. Et au sein du centre, nous éprouvons tous énormément de plaisir à travailler ensemble. Comme tout le monde met la main à la pâte, il existe une vraie solidarité entre les différents professionnels qui donnent de leur temps au centre de vaccination. Car son intérêt, c’est qu’il permet aussi de défendre la médecine de ville, de prouver que nous sommes capables d’œuvrer dans le cadre d’une équipe pluriprofessionnelle et en bonne coordination. Je pense aussi que, quelque part, nous, infirmiers libéraux, avons envie de travailler et de monter des choses ensemble, de montrer que notre profession a un rôle primordial à jouer pour relever les défis de santé publique.
Propos recueillis par Audrey ParvaisJournaliste audrey.parvais@gpsante.fr
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