Le changement génère des forces à la fois positives et négatives. Il s’agit pour l’individu de trouver un équilibre entre ces deux forces pour accepter au mieux le changement. Ce dernier peut être innovant et source de motivation ou au contraire susciter des résistances. Pourquoi résister si le changement apporte une amélioration ?
Ce phénomène de résistance au changement est presque incontournable quand une perspective de changement est envisagée. Les cadres de santé sont eux aussi confrontés à cette problématique notamment face à la réorganisation hospitalière qui se dessine actuellement avec le rapport Larcher mais aussi face aux exigences croissantes des usagers. Qu’est-ce que la résistance ? Comment appréhender une conduite de changement face aux pratiques habituelles des soignants ? Pourquoi résistons-nous ?
Quel accompagnement du cadre ? Commençons par définir la résistance.
La définition de la résistance
La résistance au changement est un concept devenu la boîte noire de tous ceux qui véhiculent des idées de changement. Il nous semble important dans un premier temps de la définir afin de mieux comprendre les réactions inhérentes au changement. D’où vient-il ? Lorsque l’on s’attarde sur la forme linguistique du mot « résistance », celui-ci est composé du préfixe « re » et du mot latin « sistere » qui veut dire s’opposer. D'une manière générale, la résistance est l'action de s'opposer à une force physique, morale ou envahissante. Plus particulièrement, ce terme est employé dans plusieurs domaines : physique, mécanique, thermodynamique, électricité, droit, biologie, politique et bien sûr en psychanalyse. En France, ce terme fait principalement référence aux actions des résistants pendant la seconde guerre mondiale. Ces résistants ont alors une réputation d’hommes et de femmes courageux. Ils gagnent une certaine légitimité. Ils représentent une France qui lutte. Alors comment définir la résistance ? Les Historiens, eux-mêmes, ont des difficultés à faire la part des choses entre le vécu et les émotions des résistants.
Cependant, quelques éléments sont communs : la volonté de suivre, la prise de conscience de l’action de résister et l’engagement dans l’action. D’un point de vue historique, la résistance était déjà reconnue comme quelque chose de négatif par les autorités, quelque chose qui dérange. A notre époque, elle conserve toujours cet aspect. Or, résister ne veut pas toujours dire s’opposer mais au contraire, rester fidèle à quelque chose comme par exemple des valeurs. Alors pour qui est-elle dérangeante ? Il semble qu’elle le soit pour ceux qui détiennent l’autorité ou le pouvoir. Pourtant, s’opposer ou être résistant permet aux individus d’affirmer leur identité, de montrer qu’ils sont là, qu’ils existent. Alors une question se pose, qui résiste et à quoi ? N’avons-nous pas tous résisté un jour à une idée, un changement ? Sans doute est-il plus facile de parler de la résistance des autres. Pourquoi alors ne pas éclaircir ce concept de résistance au changement, afin de mieux le comprendre.
La résistance au changement : un concept
Ce concept nous vient de la sociologie des organisations de M. Crozier (1). L’auteur l’associe aux marges d’incertitudes et aux jeux des acteurs. Pour lui, l’acteur, soumis en permanence à des tensions internes et externes, recherche un équilibre permanent afin de rester en harmonie avec son environnement. De ce fait, l’acteur met en place des stratégies pour retrouver un état d’équilibre antérieur aux tensions subies.
Le poids des habitudes
Partons de nos habitudes pour expliquer ce phénomène. En effet, sans doute là encore pour nous rassurer, nos vies sont réglées par des habitudes de fonctionnement ne laissant pas toujours place à l’imprévu. Nos habitudes nous rassurent parce qu’elles permettent de figer les choses dans le temps, l’espace. Elles rythment et organisent notre vie, notre travail, nos activités, ce qui facilitent notre quotidien. Cependant, il parait parfois salutaire de changer ses habitudes pour innover et s’en inventer de nouvelles.
Si pour des raisons de sécurité et d’efficacité nous avons besoin d’elles, notre corps et notre esprit ont aussi besoin d’être stimulés par des changements pour rompre une certaine routine et prévenir l’ankylose physique et mentale. Mais le changement fait peur parce qu’il représente l’inconnu, une perte de repères.
Le changement, une blessure narcissique
Le ressenti des personnes à l’égard du changement est en général un sentiment de perte, une peur de ne pas être à la hauteur des nouvelles exigences du changement. S. Freud (2) parle de blessure narcissique. En effet, le narcissisme est fondamental dans la construction de la personnalité, mais il demande à être nourri par la reconnaissance, l’estime de soi. Or, le changement peut-être la cause d’une perte d’autosatisfaction, par la peur de ne pas être à la hauteur, par la perte d’intérêt pour une activité et de ce fait provoquer une blessure narcissique. Ainsi, le changement porte atteinte à la personne, à son identité, au sens et à la valeur qu’elle donne à son travail ainsi qu’à sa motivation.
Résister au changement consisterait alors à éviter la perte identitaire et permettrait de défendre ses points de vue, ses réflexions…La résistance n’est donc pas toujours à prendre d’un point de vue négatif mais il faut plutôt essayer de comprendre ce qui pousse les individus à résister.
Les causes de la résistance
Certaines résistances sont faciles et d’autres réclament un peu plus de courage. Nous résistons pour mettre en avant notre liberté de s’opposer et notre refus à la soumission. Nous résistons également pour défendre des valeurs (patriotiques, personnelles, professionnelles…) ou parfois pour défendre un confort personnel (par exemple : refuser un changement organisationnel comme durée de temps de travail car cela suscite une diminution de temps personnel). La résistance peut-elle alors être perçue comme un acte de liberté ? Le changement est souvent à l’initiative des directions, les cadres de santé, eux, sont les personnes chargées de mettre en œuvre les changements. Quant au rôle des soignants, il se limite à « changer », la plupart du temps, ils ne sont pas décideurs du changement.
Leur implication n’est donc centrée que sur un mode exécutif et non participatif. À première vue, quoi de plus habituel que cette manière de procéder ? La résistance n’est-elle pas induite par les pratiques managériales ? Pourtant comme nous le dit Marc Hees [1], « l’expérience montre que cette façon d’élaborer le projet de changement porte déjà en elle le germe des résistances qui lui seront opposées » (3). En effet, le projet se présente comme un plaisir d’initiative à partager…pour ceux qui le décident et le conçoivent. Or, il n’en est rien, car les personnes les plus concernées par le changement ne sont souvent pas conviées à l’élaboration du changement, aux prises de décision. Ils ne participent pas à la phase initiatrice du changement. Les soignants sont le plus souvent objet d’acceptation, d’adhésion obligée. M. Hees explique la fonction bipolaire du changement : fonction de conception et fonction d’exécution. Ainsi, la fonction d’innovation n’est réservée qu’aux concepteurs, tandis que les exécutants sont emprisonnés dans la fonction de conservation.
Le changement vient donc contraindre les exécutants à se conformer et à suivre le processus de changement, perturbant ainsi leurs habitudes de travail. Le changement imposé est celui le plus souvent mal vécu, car synonyme de rupture, d’insécurité et de déséquilibre. L’individu, afin que le changement lui soit plus supportable, va développer des réactions défensives et devenir alors « résistant ».
La nécessité de résister pour exister
La résistance permet au soignant de vivre au mieux cette situation désagréable de changement et de rétablir un certain équilibre. Marc Hees, utilise une métaphore pour nous faire comprendre la nécessité de résister : « la marche consiste en une succession de déséquilibres compensés. Sans cette compensation, ce rétablissement, cette résistance, c’est la chute » (3). Cette résistance est d’autant plus indispensable, que nous sommes confrontés à une succession de changements ne laissant plus le temps aux individus de s’adapter et de se trouver de nouveaux repères. Il faut aller de plus en plus vite…
Ces changements constants demandent une adaptation de plus en plus rapide empêchant la personne de penser, sentir et agir. Ainsi, elle passe du statut d’acteur au statut d’objet de changement, cette dépersonnalisation participe à la perte d’une identité singulière propre à chacun.
Le Changement, Une Affaire D’équipe, Un Apprentissage
Pour qu’il puisse être acteur dans le changement, le soignant doit pouvoir bénéficier d’une marge de manœuvre et donc d’un certain pouvoir. Il semblerait que la résistance s’élabore lorsque l’acteur dispose moins de pouvoir que celui qui propose le changement. Ainsi, le soignant développe des formes de pouvoir dont la résistance, afin de montrer qu’il existe. Un travail réflexif collectif est alors à construire entre les concepteurs et les exécutants du changement. Ainsi, on peut penser qu’une prise en compte des réticences et qu’un changement décidé sur un compromis aura plus de chance d’être accepté, que s’il est imposé ou décidé par une seule personne.
Aussi, le changement, comme apprentissage collectif, nécessite l’implication de tous afin de le problématiser et de rendre les soignants acteurs de sa résolution, de sa construction. Un accompagnement des équipes est donc nécessaire, et c’est là, le rôle primordial du cadre de santé. M. Crozier (1) accorde une importance à l’intervention d’un leadership dans le processus de changement c'est-à-dire l’intervention d’une responsabilité humaine, autrement dit celle du cadre.
Conclusion
Le cadre de santé joue un rôle fondamental dans l’accompagnement de son équipe vers le changement. Mais la conduite de changement n’est pas un exercice facile où il suffit de planifier, d’organiser les différentes étapes. Elle nécessite une prise en compte des différents protagonistes, de leurs résistances, de leurs compétences. De fait, le cadre est celui qui accompagne, écoute, oriente, guide et veille à ce que chaque soignant arrive à son rythme au changement envisagé.
La conduite de changement repose donc sur une relation de confiance que le cadre a pour mission de construire et d’alimenter. Le management participatif est alors intéressant car il permet que chacun y trouvent des bénéfices professionnels et personnels. Cependant, il est important pour le cadre d’identifier les causes de la résistance (intérêts personnels ou intérêts professionnels). De même, tout changement n’est pas négociable à cause d’enjeux divers (financiers, politiques…), le cadre a donc des responsabilités en matière de prise de décisions et de positionnement. Parfois, il est contraint de « trancher ». Dans ce cas précis, il est alors de son rôle d’apporter des éléments de compréhension aux professionnels soignants quant aux décisions prises et à la non possibilité de négocier. Il est également à noter qu’il existe toujours des personnes résistantes. L’analyse de la dynamique d’équipe par le cadre est alors essentielle pour détecter les personnes ressources, les alliés et notamment le médecin. La conduite de changement doit être un projet qui fédère l’équipe.
Le temps est bien sûr une variable à prendre en compte car la remise en question de nos pratiques soignantes n’est pas chose facile. Les professionnels soignants constituent donc des ressources inestimables pour les hôpitaux afin d’émettre leur avis sur la pertinence d’un changement et de son acceptation. Aussi, l’hôpital, pour évoluer, a la possibilité d’utiliser les ressources dont il dispose, c’est à dire les soignants, mais ceci suppose de leur laisser un minimum de pouvoir, de marge de manœuvre et donc d’existence.
Bibliographie
Ouvrage
- CROZIER M., FRIEDBERG E. L’acteur et le système. Edition le Seuil, Paris
- FREUD S. Malaise dans la civilisation, PUF, 1979.
- Changements et résistances. Perspective soignante n°7 Edition Seli Arslam, Avril 2000 page 57-59
- Marina Pelé, infirmière D.E. du CH Fougères (35)
- Etudiante cadre de santé de l’IFCS du GREFOPS Rennes (35)
- Professeur à l’Université catholique de Louvain, Institut d’Administration et de Gestion
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