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AS

"Rendez-vous en terre inconnue"

Publié le 13/06/2019

Les soins à domicile, c'est l'aventure. De prime abord administrative, quotidiennement, elle est avant tout humaine. L'enfance est propice aux rêves, je m'imaginais devenir explorateur ou archéologue. Raté ! Toutefois, j'ai trouvé un moyen d'épanouir mon goût du risque et de la découverte en devenant aide-soignant et en exerçant, à l’occasion, à domicile. Cap sur la chambre 30 !

Dans le couloir…

Aide-soignant diplômé en 2013, Alexis il a toujours exercé à l'hôpital. Je prends plaisir à être le spectateur assidu de mes meilleurs acteurs : les patients et le personnel soignant. Ce contact me permet d'apprendre beaucoup sur l'humain, ses travers parfois, les cultures du monde, les difficultés du quotidien... Cet apprentissage de la vie, j'en garde une trace depuis cinq ans. Dans un carnet qui me sert d'exutoire, je relate des anecdotes professionnelles. Depuis, j'essaie de formaliser cela sur un support accessible et ludique. C'est ainsi que j'ai créé une page Facebook sur laquelle je délivre régulièrement une histoire courte. Parfois humoristiques, parfois touchantes, elles sont le reflet du quotidien d'un aide-soignant travaillant à l'hôpital. Pourquoi avoir choisi comme nom Dans le couloir me direz-vous ? A la fois une entrée et une sortie, cet élément anodin d'un service représente le passage et c'est, à mon sens, l'essence même de l'hôpital. Passeur d'âmes et passeur d'histoires je souhaite faire découvrir ce monde troublant.

Découvrez Alexis et son message lors de la Journée internationale de l'aide-soignant le 26 novembre 2017.

Chambre n°30

Le fils pose un verre à moutarde vide devant moi. En y regardant de plus près, j'y aperçois des strates résiduelles d'anciens jus de chaussettes. Le liquide marronâtre fumant tourbillonne dans le verre. J'y plonge trois sucres pour masquer un éventuel arrière-goût.

Au fin fond de certaines ruelles, se cachent des abris qui évoquent irrésistiblement la vie de nos ancêtres façon Guerre du feu. C'est en tout cas ce que j'imagine chaque fois que je franchis le seuil de la demeure des P. La tribu ferait certainement les beaux jours d'un numéro spécial de Rendez-vous en terre inconnue et ce n'est pas seulement en raison de leur logement qui s'apparente à une caverne. Cheveux hirsutes, barbe huileuse, visage taillé dans le roc au milieu duquel apparaît un sourire en clavier de piano, à 6 h 30 du matin, le total look Cro-Magnon du plus grand des fils ne manque pas de surprendre, je vous l'assure, surtout la première fois ! Néanmoins, je ne boude pas mon plaisir lorsque je pénètre chaque matin dans l'intimité de ma famille Pierrafeu. Très rapidement l'on est plongé dans l'ambiance. Bienvenue dans le couloir du temps !

Après avoir arpenté un long corridor recouvert de graffitis enfantins réalisés par les cinq petits monstres de la tribu et qui rappellent les peintures rupestres de la grotte de Lascaux, l'on parvient au salon. Au centre, trône le lit médicalisé de l'ancien, Monsieur P.

Cheveux hirsutes, barbe huileuse, visage taillé dans le roc au milieu duquel apparaît un sourire en clavier de piano, à 6 h 30 du matin, le total look Cro-Magnon du plus grand des fils ne manque pas de surprendre !

La scène matinale du lit rappelle le lever du roi. C'est presque mystique, je dirais même de l'ordre du sacré. A mon entrée dans le Saint des Saints, où l'assemblée est réunie autour d'un immense guéridon pour les agapes matinales, tous les regards se tournent vers moi. D'un geste rapide, Monsieur P., l’ancien, me désigne la table reconvertie en autel. L'essentiel des provisions est déjà bien en place. Pane & Vino. Il ne manquait plus que moi pour commencer.  La triade est au complet. Je suis assise entre le père et le fils aîné, on me propose un petit rouge que je refuse poliment. A cette heure-là, je préfère rester sain d'esprit pour préparer la piqûre plutôt que de boire une piquette !

Ecouter le générique de Koh Lanta pour se mettre dans l’ambiance !

Donne un café au monsieur ! Installez-vous, hein ! Le ton employé et le geste autoritaire du patriarche ne laissent pas de place à une seconde négociation, je m'exécute sans broncher. Immédiatement, le fils pose un verre à moutarde vide devant moi. En y regardant de plus près, j'y aperçois des strates résiduelles d'anciens jus de chaussettes. Réflexion faite, j'en ai déjà beaucoup trop bu et... dis-je. Tss... Tss... Pas de chichis entre nous. Arrêtez votre cinéma ! me rétorque le fils ! Je me tasse instantanément sur ma chaise. On dirait l'épreuve de confort dans un vieil épisode de Koh Lanta. Le fils s'approche avec une cafetière italienne à l'aspect tout aussi douteux que le verre. Je dois bien avoir un anti diarrhéique qui traîne ! C'est promis, la prochaine fois, on ne m'y reprendra plus ! pensé-je avec un sourire de constipé.

Le liquide marronâtre fumant tourbillonne dans le verre. J'y plonge trois sucres pour masquer un éventuel arrière-goût. Le fiston me regarde sans un mot. J'avale difficilement une première gorgée. Il me faut encore un sucre, vite ! C'est définitivement infect. Me voyant reprendre un autre morceau de sucre, Monsieur P., l’ancien, rugit : Ne prenez pas tout, Monsieur, sinon, il n'en restera qu'un ! Gloups... L'immunité, ça se mérite ! Décidément, pour être aide-soignant à domicile, il faut avoir un grain...de café !

Article publié le 28 mai 2019 sur la page facebook d’Alexis Dans le couloir. Pensées d’un aide-soignant


Source : infirmiers.com