La pénurie de médicaments contre le cancer, y compris pédiatriques, est un "fléau silencieux" que la Ligue contre le cancer est bien décidée à rendre visible. L'association lance une campagne de communication sur le sujet et le professeur Axel Kahn, président de la Ligue, faisait le tour des médias lundi 14 septembre. Son objectif : faire parler de cette situation aux conséquences parfois "dramatiques" et faire (enfin) changer les choses...
Pour illustrer ses propos, Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer, préfère donner un exemple concret : certains patients atteint d'un cancer de la vessie en l'absence de médicaments, on vu leur maladie évoluer. Dans un certain nombre de cas, certains cancers de la vessie qui étaient parfaitement tenus en respect par des instillations intravésicales ont dû, du fait de la pénurie de ces médicaments, faire l'objet d'une cystectomie totale (ablation de la vessie)
avec des conséquences qui bouleversent la vie des patients, rapporte Axel Kahn (avec des patients conduits à porter une poche à urine à vie notamment). C'est un exemple particulièrement dramatique des conséquences possibles des pénuries de médicaments : des pertes des chances
. En tout, le généticien évoque une quarantaine de médicaments d'importance majeure en oncologie qui ont fait l'objet de pénurie
au fil des années.
Les premiers touchés sont toujours les médicaments pas chers, les innovations thérapeutiques qui coûtent la peau des fesses, on n'en manque jamais
, s'indigne le professeur Jean-Paul Vernant, hématologue engagé dans la bataille. C'est un fléau silencieux qui s'aggrave d'année en année
, qui a pu s'aggraver avec l'épidémie de Covid-19, mais en aucun cas n'a été créé par la Covid
, souligne Axel Kahn. Il s'agit vraiment (d') un problème qui est lié à la structure économique du marché du médicament
, et qui concerne des médicaments indispensables
, essentiellement des génériques, très peu chers.
Cercle vicieux
L'industrie pharmaceutique, et plus largement l'industrie de la chimie fine, a amplement délocalisé sa production depuis des décennies, et fait appel à des sous-traitants pour faire baisser les coûts, mais aussi car les contraintes réglementaires (environnement, sécurité) sont moins élevées dans d'autres régions du monde.
Le calcul est tristement simple. Certains médicaments extrêmement importants
étant tombés dans le domaine public (c'est à dire qu'ils ne sont plus couverts par les brevets, une bonne nouvelle d'après le médecin), ils coûtent beaucoup moins cher. Le problème : ils deviennent aussi nettement moins intéressants pour les laboratoires qui les font produire à bas coût - presque toujours en Asie
, le plus souvent en Inde ou en Chine
et parfois même par un seul fournisseur pour le monde entier. Or, en cas de problème sur la chaîne de fabrication, il faut détruire tout le stock. Or, la production s'effectue à flux tendu. Résultat : on se retrouve face à une pénurie qui peut durer plusieurs mois. C’est totalement dramatique
, explique le spécialiste au micro d'Europe 1. D’autant que ces pénuries, constatées dans 95% des hôpitaux français, pourraient avoir un impact sur la survie des malades. Parfois, on ne sait pas quel traitement de substitution donner au malade. On ne lui dit pas, on ne lui donne pas les informations, c’est une perte de chances [de guérison]
, se désole Axel Kahn.
La question des prix est en tout cas cruciale. Les industriels du secteur font valoir que les prix de certains médicaments dits matures sont tellement bas qu'ils sont devenus inférieurs à leur coût de production.
Près de 40% des médicaments commercialisés dans l'Union européenne proviennent de pays situés hors d'Europe, selon une mission d’information du Sénat de 2018.
Appel à témoignages et solutions
A tout cela s'ajoute un défaut d'information du patient. Certains médecins disent qu'ils bricolent
parfois pour trouver le médicament par exemple dans un pays voisin où il est vendu plus cher. De façon générale, l'information des personnes malades (durée de la pénurie, possibilité de remplacer le produit manquant...) est insuffisante
, constate encore le président de la Ligue. Son association fait donc appel aux témoignages sur le site web penuries.ligue-cancer.net. Elle lance aussi une campagne d'affichage : Cher patient, pour votre médicament, merci de patienter
.
Parmi, ses revendications la Ligue réclame des sanctions financières contre les laboratoires qui n'assumeraient pas l'approvisionnement, le recensement des malades concernés et des études mesurant leurs pertes de chances. Les médicaments d’intérêts majeurs (au delà du cancer) doivent être considérés comme stratégiques et l'Europe doit tenir une liste de ceux-ci et les avoir à sa disposition, estime le Pr Axel Kahn. Avec Agnès Buzyn (alors ministre de la Santé), on avait parlé de faire des stocks de 4 mois pour éviter les ruptures prolongées
, mais selon lui, un décret à paraître passerait à 2 mois de stock. Ce n'est pas suffisant
. Pour le Pr Vernant, il faudrait au moins 6 mois de stock. Si on les avait eu, on n'aurait pas eu de problème pendant la crise du Covid-19 (pénuries de produits anesthésiques en réanimation: curare, propofol...)
, juge-t-il. Le gouvernement a demandé aux industriels de disposer de stocks de sécurité... Mais neuf mois plus tard, le décret n'est toujours pas publié, regrettait récemment l'association France Assos santé. Lundi, elle déplorait aussi que le délai de stocks initialement évoqué soit réduit de quatre à deux mois. De leur côté les entreprises du médicaments s'élèvent contre un stock de quatre mois de médicaments, rappelant notamment que les Médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) représentent aujourd’hui la moitié des 15 000 spécialités pharmaceutiques commercialisées en France et qu’en conséquence une obligation de stockage de quatre mois pour l’ensemble de ces produits est matériellement irréalisable
.
Parmi les solutions avancées, pour éviter de trop dépendre de l'Inde et de la Chine, la Ligue propose encore la création d'un établissement public qui fabriquerait à prix coûtant, ou d'attribuer des avantages fiscaux à des entreprises pour leur éviter de travailler à perte.
Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin
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