"Il n'y pas de désert infirmier"
, a répété Patrick Chamboredon mardi 4 octobre lors d'une conférence de presse, un constat que la crise sanitaire avait déjà mis en évidence . Le président de l'Ordre national des infirmiers entend ainsi convaincre qu'une fois leurs compétences élargies, les infirmiers auront pleinement la capacité de se poser en recours contre les déserts médicaux.
"La profession infirmière couvre l'ensemble du territoire national"
, a-t-il ainsi martelé, s'appuyant sur une étude cartographique* de la répartition des 458 000 infirmiers inscrits à l'Ordre (la Drees en compte 640 000) réalisée par un géographe de la santé, Olivier Lacoste, à l'initiative de l'Ordre. Ce travail confirme que "la densité infirmière est particulièrement élevée dans les zones de sous-dotation médicale, en particulier de médecins généralistes"
, a souligné Patrick Chamboredon.
"Si les infirmiers salariés sont naturellement davantage présents dans les villes d'implantation des hôpitaux, les infirmiers libéraux sont installés aussi bien dans les villes moyennes ou grande qu'en milieu rural ou périurbain"
, décrit l'enquête, qui tient également compte des données "externes"
- celles qui n'émanent pas des tableaux de l'ordre. (cf notre encadré ci-dessous).
Relever le défi de l'accès aux soins
Un message qui entre en résonance avec le lancement, la veille, du volet santé du Conseil national de la refondation , censé relever "le défi de l'accès aux soins"
érigé en "enjeu"
central par Emmanuel Macron . Pour y parvenir, le ministre de la Santé, François Braun attend notamment "des propositions"
des sept ordres des professions de santé pour "mieux répartir le temps soignant"
- et ainsi dégager du temps médical. Réunis au sein d'un comité de liaison
(CLIO), ces instances se sont saisies elles-mêmes du sujet et devaient remettre leurs conclusions fin septembre, mais celles-ci se font attendre. Au point que le ministre a fait savoir que le gouvernement était prêt à "prendre ses responsabilités"
faute d'accord entre les soignants.
Une solution négociée entre tous les Ordres
Pour sa part, Patrick Chamboredon réclame une ouverture des prérogatives des infirmiers, notamment en matière de consultation et de prescription. "Il faut organiser entre les différents Ordres le partage des compétences entre les professionnels"
, en bannissant "le corporatisme d'un autre temps et en partant des besoins sur le territoires"
, a-t-il insisté. Pour cela, il a appelé de ses voeux une évolution de la profession, rappelant au passage que les infirmiers permettent d'éviter "40 à 50% des hospitalisations"
.
"C'est donc libérer l'énergie des infirmiers qui va permettre de répondre aux besoins"
, a-t-il affirmé, donnant l'exemple des "certificats de décès"
, qui doivent pour l'heure nécessairement être réalisés par un médecin. "Quand le président Emmanuel Macron parle des "infirmiers référents", la question qui revient c'est celle du certificat de décès. L'infirmier qui connait le patient et le voit chaque jour pourrait très bien se charger de ce certificat. On se retrouve actuellement dans des situations ubuesques où il faut appeler le Samu pour qu'un médecin établisse ce document, alors que l'infirmier suit le patient depuis longtemps et se trouve sur place"
. L'urgence est donc à "une solution négociée entre tous les ordres"
.
Compétences infirmières : "la loi doit rattraper les usages"
Quelles propositions de l'ONI pour répondre au problème des déserts médicaux ?
L’Ordre a listé des propositions concrètes pour faciliter l'accès aux soins pour tous :
- Favoriser l’accès direct aux infirmiers en premier recours dans un but d’efficience de la chaîne du soin et de prise en charge des patients
- Etendre leurs compétences en matière de consultation et de prescription
- Renforcer la mission de coordination des infirmiers au sein des parcours de soins (« infirmier référent »), afin de les adresser vers d’autres professionnels de santé
- Leur conférer davantage de responsabilités pour mener des politiques de prévention adaptées à chaque territoire
- Préserver la dignité des patients décédés et de leurs familles en permettant l’établissement du certificat de décès par les infirmiers
Et spécifiquement pour les IPA (infirmiers en pratique avancée)
- Garantir l’accès direct (sans protocole) et l’autonomie de la profession
- Développer la mise en place d’IPA de premier recours (préconisation de la mission flash sur les urgences et soins non programmés)
"Que le médecin pose le diagnostic, c'est logique, mais les infirmiers doivent aller vers plus de compétences. La loi doit rattraper les usages"
, a ainsi conclu Patrick Chamboredon. Répondant aux inquiétudes autour de la répartition des tâches entre professionnels : "Le paradigme c'est de libérer du temps médical. Les pathologies sont de plus en plus complexes. Je ne pense pas qu'il faille opposer les professions de santé dans ce domaine. L'idée est donc que le bon professionnel puisse répondre au bon moment."
Dans cette optique, "il faut permettre aux infirmières et infirmiers de gagner en autonomie et d'avoir une capacité reconnue de leur diagnostic dans leur champ d'activité. L’accès direct et la reconnaissance de leur rôle dans la coordination du parcours de soins doivent être acceptés et encouragés. Pour cela, il faut mettre fin aux corporatismes et ouvrir la voie à de réels transferts de compétences entre professionnels de santé. La réécriture du décret infirmier est à cet égard une priorité, qui n’a que trop tardé à se concrétiser."
L’Ordre portera ses propositions dans le cadre du débat public autour du PLFSS 2023 et à l’occasion du Conseil National de Refondation Santé.
Il faut mettre fin aux corporatismes et ouvrir la voie à de réels transferts de compétences entre professionnels de santé. Patrick Chamboredon
Etude cartographique* : quels constats ?
- La profession infirmière couvre l’ensemble du territoire national, ce qui constitue une garantie d’accès aux soins pour les Français : la cartographie, qui
"descend"
jusqu’au niveau des bassins de vie, pointe la présence d’infirmiers sur les 1663 territoires relevés.
- Dans les déserts médicaux, on constate une forte présence d’infirmiers en exercice : la densité infirmière, tous modes d’exercice confondus, est particulièrement élevée dans les zones de sous-dotation médicale, en particulier de médecins généralistes. Si les infirmiers salariés sont naturellement davantage présents dans les villes d’implantation des hôpitaux, les infirmiers libéraux sont installés aussi bien dans les villes moyennes ou grande qu’en milieu rural ou périurbain. Les Maisons de Santé pluridisciplinaires (MSP), présentes dans près de deux tiers des bassins de vie, dessinent de nouvelles formes d’exercice coordonné entre professionnels de santé.
- Certaines nuances territoriales apparaissent, entre des zones où la densité de la présence infirmière est particulièrement élevée - Pyrénées, est de l'Aquitaine, Limousin, Auvergne - et d'autres où elle se concentre davantage dans les villes moyennes ou les capitales régionales – Ile de France, Sommes, ex-Haute Normandie, Pays de la Loire, est de la Bretagne. Mais toutes les zones comportent une présence infirmière significative.
- L’âge moyen des infirmiers – 39,4 ans – est nettement moins élevé que celui des autres professionnels de santé. Cependant, dans les zones où l’âge médian de la population est élevé, l’âge médian des infirmiers est également élevé.
Précision méthodologique : "Cette cartographie prend en compte les infirmiers dont l’activité peut être identifiée par la base d’information de l’Ordre National des Infirmiers, soit 82 % des 458 000 infirmiers inscrits à l’Ordre au début de l’été 2022, et présents au contact de la population à l’échelle locale et départementale. La cartographie présentée privilégie le Bassin de vie qui est le plus petit territoire structurant identifié par l’INSEE : elle dénombre 1663 bassins de vie métropolitains et ultra-marins"
.
*Cette publication apporte des enseignements précieux dans un contexte d’insuffisance d’outils de recensement, souligne l'Ordre - pour mémoire, en juillet 2022, la DREES a procédé à une révision à la baisse du nombre d’infirmiers actifs en France de 127.000, soit 17%.
Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin
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