Nos hôpitaux français sont-ils malades ? Y a-t-il, comme le suggèrent certains, un plan délibéré de casse de l’hôpital ? Ou, comme le professent d’autres, assiste-t-on plutôt à l’amorce d’une nécessaire transformation du rôle et de la place de l’hôpital ?
Avant de pouvoir s’engager à répondre à ces questions, et pour dépassionner le débat, il n’est probablement pas inutile de rappeler certains faits, afin de mettre en perspective la situation de l’hôpital français.
Une situation qui n’est pas uniquement française
Tout d’abord, il faut souligner que la situation de la France est loin d’être singulière : les systèmes de santé des autres pays sont eux aussi actuellement traversés par des remises en question fortes.
Au Royaume-Uni, le National Health Service (ou NHS, système de santé national financé par l’État pour l’Angleterre), est dans la tourmente depuis plusieurs années. Son avenir est devenu un enjeu majeur autour du Brexit, avec notamment la crainte de sa privatisation au profit des big pharma américaines. En Suède, l’attente aux urgences est désormais un enjeu électoral et la santé constitue, comme en France, une priorité des citoyens. Dans plusieurs provinces canadiennes (au Québec il y a quelques années, en Ontario cette année…) des réformes majeures sont proposées pour faire face aux difficultés rencontrées dans l’accès aux soins. Et cette liste est loin d’être exhaustive. Quand je me regarde, je me désole, quand je me compare je me console, disait Talleyrand !
Pourquoi une telle situation dans tous ces pays ? La réponse fait consensus : ces systèmes de santé ont, pour la plupart, été conçus et développés à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, au moment où l’hôpital était la pierre angulaire d’une offre médicale confrontée à des maladies aiguës, souvent d’origine infectieuse. Mais depuis, dans le monde entier – y compris dans les pays en développement, la donne a changé. Les sociétés font à présent face à de multiples transitions qui modifient la nature des problèmes et des besoins auxquels doivent répondre leurs systèmes de santé.
Parmi les plus évidentes figurent la transition épidémiologique, qui se traduit notamment par le poids croissant des maladies chroniques telles que maladies cardiovasculaires, cancers ou maladies métaboliques, ou la transition démographique, due au vieillissement des populations. Mais d’autres transitions, moins explorées, demandent aussi à repenser en profondeur nos pratiques et nos organisations. Il s’agit par exemple des transitions liées à l’irruption des nouvelles technologies, aux changements dans les modes d’exercice professionnel ou aux nouvelles relations entre soignants et soignés, comme l’émergence du concept de patient-partenaire, qui implique une relation de coopération entre le patient, ses proches et les professionnels de santé.
Ces évolutions cristallisent les difficultés : accroissement des tensions au niveau des urgences, allongement des temps d’attente pour les activités programmées ou non programmées, émiettement et manque de visibilité du système de soins, inégalités géographiques dans la répartition des professionnels de santé. Mais qu’en est-il concrètement dans notre pays ?
Redéfinition du rôle de l’hôpital : le virage ambulatoire
Notre système de santé, héritier de la réforme Debré de 1958, est fortement hospitalo-centré. Les chiffres confirment notre tropisme hospitalier : Avec 41 % de la dépense individuelle en 2015, la part des dépenses que la France consacre à l’hôpital se situait trois points au-dessus de la moyenne des pays de l’Union européenne (38 %).
Or depuis plusieurs années, une pression économique forte se fait sentir afin de limiter les dépenses hospitalières, dans un contexte explicite de transformation de notre système de santé. Dans cette perspective, les pouvoirs publics prônent un « virage ambulatoire », une approche renforcée par le programme présidentiel « Ma santé 2022 ». Il s’agit de « recentrer l’hôpital sur ses activités de soins aigus et son expertise technique » en favorisant notamment l’hospitalisation à domicile, la chirurgie ambulatoire, en coordonnant mieux « les interventions des divers professionnels de santé et sociaux, tant en ville qu’en établissement de santé ».
Est-ce pour cette raison que les soins de ville, caractérisés par une forte activité libérale, sont devenus le premier facteur de croissance des dépenses de santé ? S’agit-il d’un simple transfert
financier et d’activités entre ces deux secteurs ? Pas si simple.
Des injonctions paradoxales
Si l’on constate effectivement que les ressources ambulatoires évoluent progressivement vers des modes plus collégiaux (maisons de santé pluridisciplinaires, centres de santé), cette transformation très progressive est plus le fait des jeunes professionnels qui ne souhaitent plus d’exercice isolé que d’une véritable vision de l’organisation de ce niveau, pourtant essentiel dans l’architecture de notre système de santé. Pendant ce temps, les déserts médicaux subsistent.
Par ailleurs, les établissements de santé sont confrontés à des injonctions paradoxales : ils doivent répondre aux besoins des populations liés à des pathologies chroniques pouvant engendrer des pertes d’autonomie et, en même temps, trouver un modèle économique centré sur la tarification à l’activité. Ils doivent développer une logique de territoire au travers, notamment, des Groupements Hospitaliers de Territoires, mais ceux-ci ne couvrent ni l’offre ambulatoire, ni les établissements privés et très peu d’établissements médico-sociaux. Ils doivent se préparer aux défis des nouvelles technologies, mais très souvent leur capacité d’investir est faible, voire nulle.
Or, pour les personnes en quête de soins, ces évolutions demeurent invisibles. À la recherche d’une réponse immédiate et de qualité à leurs difficultés, elles constatent soit des territoires où il est de plus en plus difficile de trouver un médecin traitant, soit des établissements de santé qui sont confrontés à des difficultés de recrutement de certains spécialistes ou de personnels paramédicaux. Et ne perçoivent finalement qu’une chose : l’allongement de plus en plus important des délais d’attente. Avec une dimension d’impatience qui, de plus en plus souvent, se transforme en violence.
Cette situation provoque également une forme de perte de sens pour les personnels. Qu’attend-on de notre système de santé ? Comment résoudre des situations de plus en plus complexes, où la situation sanitaire et la situation sociale sont de plus en plus intriquées ? Comment se saisir de cette notion vague de « parcours » pour mieux répondre aux besoins des personnes ? La mise en place récente, en juillet 2018, d’un Observatoire national de la qualité de vie au travail des professionnels de santé et du médico-social signe la reconnaissance de cette situation.
Les établissements de santé sont confrontés à des injonctions paradoxales : répondre aux besoins des populations liés à des pathologies chroniques pouvant engendrer des pertes d’autonomie et, en même temps, trouver un modèle économique centré sur la tarification à l’activité.
Un système fragmenté et cloisonné, administrativement coûteux
La prédilection pour une logique de structure plutôt qu’une logique de services intégrés, la confrontation des compétences, la dissociation des responsabilités d’intervention sociale (dévolue aux collectivités locales) de celles d’intervention en santé (compétence de l’État) sont autant de choix d’organisation qui ont scellé le cloisonnement de notre système de santé. Les contraintes économiques ont aussi joué un rôle dans ce fonctionnement en silos, la tarification à l’acte ou à l’activité n’incitant pas au travail collectif et continu.
Pour tenter malgré tout de fluidifier le système, depuis des années, le maître mot est « coordination ». Les instances de coordination se multiplient, se croisent, se superposent. Dernières en date, les communautés professionnelles territoriales de santé doivent permettre de faciliter la mise en œuvre d’un nouveau concept, très spécifique à notre pays : le parcours de soins des patients. Il aurait cependant probablement été préférable de parler plutôt de continuité de l’offre, en demandant aux responsables de notre système d’assurer l’intégration des soins et des services centrés sur les personnes.
La mise en place et le fonctionnement de ces instances ont un coût qui s’ajoute à celui, déjà élevé, des dépenses d’administration du système de santé français.
La France, on le sait, dépense beaucoup pour son système de santé. Elle y consacre 11,2 % de son produit intérieur brut, ce qui la place dans le peloton de tête des pays européens. Ce que l’on sait moins, c’est que notre pays arrive juste derrière les États-Unis en ce qui concerne les dépenses d’administration dudit système. Nous y consacrons 5,7 % de nos dépenses de santé, quand la Belgique est à 3,4 %, les Pays-Bas à 3,9 % et la Suède à 1,7 %.
Même si on sait que les systèmes « assurantiels » impliquent plus de dépense d’administration que ceux basés sur un service national de santé, il y a là matière à réfléchir pour trouver les marges de manœuvre nécessaires à une transformation profonde de notre système. Car cette nécessaire évolution doit pouvoir être accompagnée, en termes de formations, de recherche, d’innovation organisationnelle.
Se dégager d’une approche essentiellement curative pourrait aussi être un moyen de sortir de la crise actuelle.
Miser sur la prévention
La promotion de la santé et la prévention constituent un axe majeur de la stratégie nationale de santé 2018-2022. Une feuille de route « priorité prévention » a d’ailleurs été actée en mars 2018 par le gouvernement. Celle-ci s’inscrit dans la continuité des discours et prises de position publiques de ces dernières années, arguant de la nécessité de rétablir l’équilibre avec la prévention dans un système de santé dominé par l’approche curative.
Pourtant, les évolutions sont bien timides. La part de la prévention dans les dépenses de santé stagne depuis plusieurs années autour de 2 % (alors qu’elle est de 3,1 % en moyenne dans l’Union européenne). Ces efforts sont donc bien modestes, comme le soulignait très récemment la Commission européenne.
Cette absence de reconnaissance de l’importance des mesures préventives est certainement un des nœuds du problème. En effet, notre société et notre système de santé ne pourront faire face aux défis des transitions en cours que si nous optons résolument pour une approche préventive, à la fois dans et hors du système de soins. Car comme le dit l’adage, « mieux vaut prévenir que guérir ».
Laurent Chambaud, Médecin de santé publique, École des hautes études en santé publique (EHESP)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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