La polémique qui a surgi pendant les fêtes de fin d'année sur les capacités des services de réanimation a montré déjà clairement un décalage entre l'augmentation de la demande de soins et la diminution de l'offre en réanimation, a souligné Bertrand Guidet.
Mais ces évènements ne sont qu'un signal d'alerte. La population des 75 ans et plus va en effet plus que doubler d'ici 2050, selon les projections de l'Insee. Or les plus de 80 ans représentent déjà 12% des admissions en réanimation, a indiqué Bertrand Guidet.
Pourtant, face à la non-conformité des services de réanimation aux dispositions réglementaires -la moitié des services ne sont toujours pas aux normes fixées par décret en 2002 et applicables en avril 2007-, "la réponse de l'administration est la fermeture de lits, ce qui diminue l'offre de soins. Pour nous, la conséquence, c'est que l'on doit faire des choix", a-t-il déploré.
La non-conformité des services porte sur deux points: l'absence d'unité de surveillance continue à côté du service de réanimation d'une part et le nombre d'infirmières d'autre part, qui doit être d'une pour 2,5 patients, soit quatre infirmières présentes en permanence dans une unité de 10 lits, a-t-il précisé. "Pour des raisons de recrutement, ces ratios ne sont pas atteints".
"Il faut instruire un véritable débat de société sur la meilleure utilisation possible des services de réanimation", afin à la fois de prévenir l'acharnement thérapeutique et de ne pas induire de perte de chance, a-t-il estimé. "En tant que médecin, on doit se comporter comme des médecins. Les questions économiques sont des questions de société", a-t-il ajouté.
Prenant l'exemple des patients âgés -plus de 80 ans-, il a noté que ces personnes admises en réanimation sont très sélectionnées: par rapport à la tranche d'âge juste en dessous, elles ont plus de limitation fonctionnelle mais moins de maladies sous-jacentes mortelles à court terme et moins de comorbidités. En revanche, elles sont traitées moins agressivement, ce qui est paradoxal puisqu'elles ont moins de réserves physiologiques et ont plus de difficultés à récupérer.
Or la survie à long terme après la réanimation dépend fortement de l'état fonctionnel et des maladies sous-jacentes.
Dans le "tri" des patients pour l'admission en réanimation, les patients âgés sont les plus susceptibles d'être "laissés sur le bord de la route": 36% des plus de 85 ans étaient refusés, dans une étude de 2006, contre 23% des 75-84 ans et 12% des 18-44 ans. Selon une autre étude, les plus de 85 ans ont quatre fois plus de risque d'être refusés en réanimation.
Mais "en France, il n'y a pas de directive anticipée. On ne sait pas ce que la personne âgée souhaite. De plus, elle est souvent prise en urgence, sans qu'on connaisse son histoire, ses antécédents", et le consentement aux soins est difficile à obtenir, a souligné Bertrand Guidet.
LA MOITIE DES PATIENTS AGES EN REANIMATION VIVENT ENCORE SIX MOIS APRES
Le Pr Guidet a présenté les résultats préliminaires d'une étude, ICE-CUB, financée par le Programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), évaluant les critères d'admission et le bénéfice de la réanimation pour les patients de plus de 80 ans proposés à la réanimation par le service des urgences, dans 15 hôpitaux franciliens, sur 12 mois avec un suivi de six mois après le passage aux urgences.
Sur plus de 50.000 patients de plus de 80 ans qui se sont présentés aux urgences durant cette période, 4.263 -soit près de 10%- étaient éligibles à l'admission en réanimation. 2.646 d'entre eux ont été inclus dans l'étude. Au final, seuls 13% ont été admis en réanimation. Les urgentistes en avaient proposé 25%, parmi lesquels la moitié ont effectivement été admis.
Parmi les patients non proposés ou non admis, 31% ont été jugés trop graves et 55% pas assez graves.
Bertrand Guidet a souligné la très grande hétérogénéité des taux d'admission par centre -rappelant cependant qu'il s'agit seulement de l'Ile-de-France-: ce taux variait de 8% à 40%, soit une différence de un à cinq du taux d'admission des patients âgés.
Le taux de décès hospitaliers a été de 32,7%. A six mois, le taux de décès s'élevait à 47,5%.
"Mais quand les patients survivent, c'est dans de bonnes conditions d'autonomie", a observé Bertrand Guidet.
Une autre population est de plus en plus amenée à séjourner en service de réanimation, les patients porteurs d'hémopathies malignes: en effet, en 20 ans, de grands progrès thérapeutiques ont été réalisés, alors que les taux de morbidité-mortalité étaient catastrophiques et écartaient ces patients de la liste des candidats à la réanimation. La mortalité est ainsi passée de 90% à 50% en 10 ans.
Mais les thérapeutiques agressives à l'origine des progrès réalisés sont aussi responsables de la multiplication des situations de détresse, générant une charge en soins et des coûts considérables en réanimation.
Une nouvelle stratégie d'admission a été proposée en 2002 par l'équipe de réanimation de l'hôpital Saint-Louis à Paris pour les patients d'onco-hématologie, qui fait apparaître la notion de "réanimation d'attente" pour les cas les plus incertains, avec réévaluation concertée au bout de trois à cinq jours.
DEVELOPPER LES LITS DE SUITE POUR DESENGORGER LA REANIMATION
Il est donc nécessaire d"'optimiser la disponibilité en lits" mais aussi de formaliser des recommandations partagées, par exemple entre médecins urgentistes et réanimateurs, afin d'éviter une sur-utilisation, une sous-utilisation ou une mauvaise utilisation des services de réanimation et réduire l'hétérogénéité des pratiques, a conclu Bertrand Guidet.
D'autres pathologies vont prendre également une part croissante dans la charge de certains services: les maladies du poumon, en particulier -qui constituent le thème phare du congrès de la SRLF cette année- soumettent les services de réanimation aux aléas saisonniers, avec recrudescence en hiver des admissions pour pneumonies, asthmes aigus graves, bronchiolites, bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO).
La fréquence de la BPCO croît depuis 40 ans et la BPCO deviendra en 2020 la 5ème cause de handicap et la 3ème cause de mortalité dans le monde, a rappelé Alexandre Duguet (hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris, AP-HP), membre de la commission scientifique de la SRLF et représentant de la Société de pneumologie de langue française (SPLF), lors de la conférence de presse.
La réhabilitation respiratoire présente un intérêt majeur dans cette pathologie et elle diminue non seulement la mortalité et les coûts, mais aussi les admissions en réanimation. Ainsi, après un séjour en réanimation, une hospitalisation courte en pneumologie est souhaitable puis un séjour en soins de suite et de réadaptation (SSR) spécialisés.
Malheureusement, le nombre de lits de SSR spécialisés "est actuellement très très insuffisant". "Beaucoup de patients hospitalisés en pneumologie ne sont plus du ressort de la pneumologie mais des SSR", a-t-il souligné. Par effet boule de neige, comme les lits de SSR sont insuffisants, les services de pneumologie sont embouteillés, les services de surveillance continue aussi et du coup la réanimation également, a-t-il évoqué.
Une estimation récente de l'AP-HP a conclu qu'il faudrait une centaine de lits de SSR en plus qu'actuellement, afin d'atteindre un ratio de quatre lits de pneumologie pour un lit de SSR, pour la prise en charge de la BPCO et d'autres insuffisances respiratoires, a-t-il fait savoir.
"La réanimation n'est pas seule en mesure d'absorber tous les besoins croissants de la population, et des filières de soins doivent prendre le relais lorsque les conditions du patient le permettent", conclut la SRLF.
INFOS ET ACTUALITES
La SRLF demande un débat de société sur les critères d'admission en réanimation
Publié le 02/02/2009
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Source : infirmiers.com
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