Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé a finalement fait une apparition lors du Congrès Urgences ce jeudi 6 juin. Au vu des tensions actuelles et de la manifestation prévue ce même jour, son discours était particulièrement attendu. La ministre s'est défendue bec et ongles assurant être présente et avoir toujours échangé avec les professionnels de santé du secteur. Elle a également annoncé de nouvelles actions pour pallier la situation aux urgences devenue intenable pour les personnels concernés. Mais a-t-elle convaincu ? Au coeur de la manifestation du jour, il semble bien que non...
Lors du Congrès annuel Urgences
qui se déroule du 5 au 7 juin, Agnès Buzyn s'est finalement décidée à faire une apparition où elle a annoncé le lancement d'une mission nationale chargée d'accélérer la transformation du système de santé pour réduire la pression des urgences hospitalières et améliorer les conditions d'exercice des équipes
. En parallèle, elle a déclaré que des financements seront réservés en cas de situation exceptionnelle et que des crédits spécifiques seront alloués pour moderniser les services d'urgences.
Les urgences sont en détresse , je le sais. Ces difficultés, je ne les regarde pas avec une distance froide de gestionnaire - Agnès Buzyn
Cinq actions dont une mission de "refondation"
J'aimerais vous faire part de mon état d’esprit, parce que j’entends votre colère
et à l’évidence je la comprends.
Voilà comment a débuté le discours de la ministre des Solidarités et de la Santé au Congrès Urgences. Dans la continuité des actions que j’ai déjà portées, je voudrais aller plus loin et je vais vous le montrer, sans faux-semblant
, a-t-elle poursuivi. Affirmant comprendre les professionnels en détresse, elle souhaite définir avec eux une stratégie d’ensemble pour les urgences
, avec de nouvelles fondations, stables, solides et durables
.
C'est pourquoi elle vient de confier une nouvelle mission au Conseil national de l'urgence hospitalière (CNUH) et au député (LREM) Thomas Mesnier, auteur d'un rapport sur la prise en charge des soins non programmés. Le but est de mener une grande réflexion qui intégrera les professionnels médicaux et paramédicaux. Plus précisément, il est question de décrire clairement la situation actuelle en analysant les structures d'urgence en fonction de leur activité réelle et de leur difficultés de recrutement. Il est prévu de quantifier les améliorations attendues via les réformes en cours, à la fois sur la qualité des services que sur les conditions de travail des personnels. Ainsi, la mission devra remettre un rapport comprenant un état des lieux et des propositions concrètes à l'automne 2019 et ce, à l'issue des concertations avec les professionnels du secteur. Il s'agira d'identifier les travaux complémentaires à mettre en place afin d'articuler les services d'urgence avec l'offre de ville et d'informer et responsabiliser la population sur les demandes en soins.
Sans donner de chiffre, Agnès Buzyn a aussi évoqué des crédits spécifiques placés aux mains des Agences Régionales de Santé (ARS) qui permettront aux établissements de faire face à une hausse majeure de l'activité des urgences. Sans attendre, chaque ARS devra apporter son soutien aux hôpitaux qui traversent des épisodes de tension. Il faut leur donner les moyens, sans délai, de rétablir des conditions de travail décentes pour les équipes
, a-t-elle souligné.
En outre, d'autres financements seront engagés afin que des travaux de rénovation architecturales soient possibles. La ministre a insisté sur ce point : Je ne veux plus voir des services d’urgence vétustes et je le dis de la manière la plus claire qui soit : il n’est plus admissible d’être en retard dans les travaux de rénovation des urgences. Il en va évidemment de la qualité de l’accueil des patients, mais aussi de vos conditions de travail. L’image de services avec des peintures défraichies ou en lambeaux, je n’en veux plus.
Aujourd’hui, certains professionnels demandent une meilleure reconnaissance de leur exposition à des conditions de travail difficiles, voire dans certains cas à des agressions verbales et même physiques - Agnès Buzyn
Des primes pour les paramédicaux
Si la ministre a abordé le besoin de reconnaissance des personnels soignants, elle a vite divergé sur l'insécurité qui règne aujourd'hui dans les hôpitaux
. Aujourd’hui, certains professionnels demandent une meilleure reconnaissance de leur exposition à des conditions de travail difficiles, voire dans certains cas à des agressions verbales et même physiques. Je veux leur dire tout d’abord mon soutien et mon indignation de voir parfois les urgences, ces lieux où chacun est accueilli et soigné à toute heure du jour et de la nuit, devenir le théâtre de violences inacceptables, qu’aucune impatience ne saurait justifier.
Face à ce triste constat, elle s'est donc engagée à mobiliser plus largement et de manière plus homogène la prime de risque déjà existante (qui s'élève actuellement à 100 euros brut par mois).
Par ailleurs, Agnès Buzyn est aussi revenue sur les coopérations interprofessionnelles
et surtout sur les délégations de compétences des médecins vers les paramédicaux. Elle a exhorté les professionnels urgentistes à proposer des modèles de protocoles de coopération qui permettront aux médecins de déléguer aux paramédicaux de leurs équipes des tâches qui leur étaient jusque-là réservées. Mon intention est que chaque soignant ainsi délégué touche, très rapidement, une nouvelle prime, la prime de coopération
, a-t-elle argumenté. Selon elle, cette nouvelle organisation permettra de fluidifier les prises en charge et s'avère une formidable occasion de reconnaître tous les talents d’une équipe
. Là encore, elle ne donne aucune estimation sur le montant de cette gratification.
Je veux permettre à notre système de santé de tenir ses promesses, non pas avec des "y a qu’à/faut qu’on", mais avec méthode, avec détermination et dans le dialogue - Agnès Buzyn
La ministre se défend de faire la sourde oreille
La loi Santé
étant en ce moment même examinée au Sénat, Agnès Buzyn s'y est rendue cet après-midi après son passage au congrès. Elle ne recevra donc pas la délégation intersyndicale des manifestants (cf. encadré). Elle a toutefois tenu lors de ce discours à se défendre sur sa stratégie de transformation du système de santé, ayant toujours eu des échanges réguliers, utiles et efficaces
avec les professionnels. Aujourd’hui, alors que les contraintes démographiques et les défis sont plus présents que jamais, je veux permettre à notre système de santé de tenir ses promesses, non pas avec des
y a qu’à/faut qu’on, mais avec méthode, avec détermination et dans le dialogue
, s'est-elle justifiée. Elle a ensuite riposté quant aux accusations sur son manque d'écoute envers les paramédicaux. Mais je souhaite avant tout rappeler que l’ensemble des parties prenantes approuve désormais les bases d’un système de santé remis à l’endroit. J’ai ainsi annoncé la première hausse des tarifs hospitaliers depuis 10 ans. C’est clairement un signal que j’ai voulu envoyer à vous soignants, dans vos établissements, en reconnaissance de votre engagement au quotidien et à venir dans la transformation du système de santé. Je veux que cette augmentation des financements soit visible dans les services d’urgence.
Elle a enfin soutenu qu'à l'heure actuelle des mesures fortes sont sur la table
, même si elle a conscience que plusieurs d'entre elles produiront leurs effets à moyen terme.
Et pendant ce temps là... "Agnès on en a gros"
En ce 6 juin 2019, à l'heure des commémorations du 75e anniversaire du DDay en Normandie, ils voulaient en faire leur DDay à eux, leur Désolation Day comme il était inscrit sur leurs pancartes. Répondant à l'appel des collectifs Inter Urgences, plusieurs centaines de manifestants, soignants des services d'urgence - infirmier(e)s, infirmier(e)s anesthésistes, cadres de santé, aides-soignant(e)s, brancardiers... - venus de toute la France étaient à Paris, quelques heures seulement après les annonces d'Agnès Buzyn au congrès Urgences 2019 . Leur colère est bien présente et leurs slogans ne sont pas que des mots. Ils illustrent leur quotidien difficile, leurs frustrations à devoir soigner dans les conditions imposées, en pénurie de personnels permanente, avec des collègues en burn out, des locaux vétustes, du manque de matériel, des salaires jugés indécents...
Le mouvement de grève entamé il y a maintenant trois mois de façon isolé à Paris, concerne à présent près de 70 services d'urgence répartis sur le territoire. Ici ou ailleurs, le constat est le même et le combat âpre et douloureux. Nancy, Strasbourg, Montpellier, Valence, Agen, Nantes, Le Mans, Caen, Semur-en-Auxois, Nancy, Lyon, Monceaux-les-Mines, Brest, Paris, Arles, Fréjus... les soignants n'en peuvent plus. Sur les pancartes des mots forts, des exhortations à l'encontre de la ministre, du désespoir et beaucoup de colère : "Le soin n'est pas une marchandise", "Buzyn, j'en ai plein les mains. Agnès, j'en ai plein les fesses", "Desolation Day aux urgences", "Hôpital, on est à bout", "Colère dans le cathéter", "On est pas mort, on bouge encore", "Urgences en souffrance, patients en danger", "Pour la santé des patients, il est urgentissime d'agir", "Buzyn des moyens", "Agnès on en a gros", "Je veux juste soigner dans la dignité".
La manifestation au départ de Montparnasse, s'est dirigée vers le ministère des Solidarités et de la Santé où une délégation intersyndicale devait être reçue par le cabinet de la ministre, Agnès Buzyn étant au Sénat pour l'examen de sa "Loi Santé". D'ores et déjà, les manifestants jugent les annonces "très insuffisantes" et "peu promptes à régler les problèmes immédiats". Ils entendent bien continuer leur bras de fer et entraîner derrière eux l'ensemble des professionnels hospitaliers pour qui la situation d'exercice n'est pas plus enviable. Des urgences à bout de souffle, des soignants exsangues, des patients en danger... à l'approche de l'été, la fièvre hospitalière pourrait se transformer en hyperthermie chronique et délétère pour tous.
Rédaction Infirmiers.com
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