La tendresse dans les soins
Au Moyen Âge, on parlait de tendreté en évoquant le monde de l’enfance. Au 16ᵉ siècle (1551), il était question de fragilité du jeune âge. Au 17ᵉ siècle, c’atit une affaire de sentiment exprimé par des gestes, comme les caresses. Le câlin est une expression de la tendresse.
Peut-on parler de tendresse en soins infirmiers ? Pour Laurence Kouznetsov (1), cette expression est définie au départ par opposition à la tendresse parentale, cette tendresse repose sur un partage d’affects et sur une réflexion progressive de la part des soignants. Elle peut apparaître comme une défense, une manière de court-circuiter les émotions très brutes que le bébé fait naître chez le soignant. Avec l’expérience, on voit se développer cette tendresse soignante. Les gestes tendres sont réfléchis, ils ne sont pas dénués d’affect, mais leur charge émotionnelle est mesurée. La tendresse soignante est véritable, elle se différencie de la tendresse en général par ses limites dans le temps et l’espace, mais également par sa fonction.
Le câlin est une expression commune de la tendresse.
Selon le dictionnaire historique de la langue française (2), le verbe câliner, qui vient du normand caliner, signifiait indolence au 16ᵉ siècle. Au 18ᵉ siècle, l’adjectif câlin, signifiait gueux, mendiant. Et, au 19ᵉ siècle, il a changé de sens pour exprimer l’idée de dorloter, bercer de regards, adresser des paroles tendres, être caressant. Le câlin est un geste tendre, affectueux. Le mot câlin était utilisé pour désigner la relation de tendresse entre les parents et les enfants. Lien social fort chez l’enfant, le câlin répond au besoin de détresse, de peur, de réconfort, d’affection, de sécurité, d’amour. Pour Jacques André 3, la douceur du câlin engage la capacité de l’enfant à se faire tendrement cajoler. Peau à peau plus que corps à corps, le câlin est la forme universellement privilégiée d’expression de la tendresse… Privé du contact et de la chaleur d’une mère (ou d’un substitut), l’enfant, même bien nourri, présentera de sévères troubles de la croissance (le psychiatre Spitz fut le premier à décrire le syndrome d’hospitalisme à partir de l’observation d’enfants carencés placés en pouponnière).
Cette relation corporelle par le toucher, les câlins, les baisers créent des circuits émotionnels qui rassurent, font appel aux sens, au développement affectif de l’enfant, mais aussi à l’humanité de la personne âgée, de la personne handicapée, différente. L’accompagnement de la personne âgée devient à la fois particulier et singulier, influencé par le vécu du résident, ses plaisirs, ses émotions, ses pathologies. Le câlin, lorsqu’il est un geste soignant, humanisant, permet aux soignants d’aller vers des patients fragiles.
Dans le dernier dossier de la revue Santé mentale (coord. L. T. Tovmassian) "parmi les affects qui peuvent surgir dans la relation thérapeutique, la tendresse, en particulier celle du clinicien, reste suspecte. Dans la clinique des traumatismes extrêmes, le soignant cherche activement une solution à la détresse du patient et à sa propre impuissance à la soulager. Au-delà de l’empathie et de la bienveillance, il s’engage alors parfois dans le déploiement d’un acte de tendresse. Ce mouvement, qui le bouscule, peut ouvrir et élargir le cadre thérapeutique, qui s’entoure alors de bords pour rendre dicible l’indicible".
Le câlin, un outil dans le soin
Avec un patient présentant un trouble envahissant du développement (TED), il convient d’articuler un soin psychiatrique dans un protocole spécifique avec un geste créateur, sensible et qui ne soit pas nuisible à la construction d’un individu, quel que soit son environnement. Le câlin peut faire paniquer. Temple Grandin en témoigne (4), “J’avais tellement envie qu’on m’aime–qu’on me câline. En même temps je me dérobais aux câlins trop enveloppants comme ceux de ma tante... Mais en fait je désirais profondément cette tendresse que je fuyais.... “
Une prise en charge adaptée aux besoins des personnes soignées revient parfois à proposer des gestes selon la singularité de la personne, à construire parfois un tendre lien respectueux. La sécurité langagière, la protection physique, le sentiment d'apaisement sont structurants dans un cadre réglementaire, protocolaire. Le geste soignant peut alors conduire au câlin quand le soignant peut délimiter cette approche professionnelle.
"On peut vivre sans richesses
Presque sans le sou
Des seigneurs et des princesses
Y en a plus beaucoup
Mais vivre sans tendresse
On ne le pourrait pas
Non, non, non, non
On ne le pourrait pas"
Bourvil, La tendresse
Références
- Laurence Kouznetsov. La tendresse des soignants, passager clandestin en néonatalogie ?. Annales médico-psychologiques.2017. Doi : 10.1016/j.amp.2017.04.001
- Rey, A. Dictionnaire historique de la langue française. Paris: Robert. 2016
- Jacques André.Liste des 100 mots par Jacques André. 2013. Presses Universitaires de France
- Grandin T. Ma vie d’autiste . Paris: Odile Jacob.1994.
Christine Paillard
Docteure en sciences du langage, diplômée en ingénierie pédagogique et licenciée en sciences de l’information et de la communication, elle accompagne les étudiant.es infirmier.ières (Ifsi, IPA) à l'acquisition de compétences informationnelles, linguistiques pour remobiliser une démarche documentaire scientifique.
- Dictionnaire des concepts en sciences infirmières : Vocabulaire professionnel de la relation soignant-soigné. Gournay-sur-Marne : Setes édition. 2023. 6e éd.
- Dictionnaire de la relation et de la communication des AS/AP. Gournay-sur-Marne : Setes éditions. 2021.
- Dictionnaire médical des AS-AP. Gournay-sur-Marne : Setes édition. 2022
- La guidance documentaire de l’IPA : Réussir sa méthodologie de recherche. Gournay-sur-Marne : Setes édition. 2023
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