Frédérique a 52 ans. Elle a exercé le métier d'aide-soignante durant 23 ans. 23 années de remises en question, d'observations et d'évolutions qui ont fait d'elle une aide-soignante comme il n'en existe plus beaucoup et peut-être même... pas du tout. La particularité de Frédérique : une pratique du métier avec une âme sincère, altruiste et combative. Désireuse de faire bouger les choses en matière de prise en charge des personnes âgées, ses valeurs l'ont menée vers des horizons professionnels saisissants. Explications.
« Je m'appelle Frédérique. Fille de pasteur et d'assistante sociale, j'ai grandi dans un univers où la notion de « travail social » était omniprésente. A l'âge de 20 ans, j'ai commencé à exercer la profession d'aide-soignante par hasard en répondant à une offre d'emploi. Je ne connaissais rien de ce métier ». Un hasard qui fait bien les choses puisque rien en elle ne laissait à soupçonner qu'elle deviendrait un jour la soignante dévouée qu'elle est aujourd'hui. Enfin presque... « Lorsque je me suis tournée vers ce métier qui m'amenait à prendre soin des personnes âgées, mes parents et mes sœurs n'ont pas été étonnés. Ils disaient que c'était une suite normale puisqu'enfant je passais mes journées chez les « vieux » du quartier ».
Retour sur une profession qui a fortement évolué
Frédérique a obtenu son CAFAS en octobre 1986. Forte d'une longue expérience, elle est en mesure de nous témoigner ce qu'elle a vu tout au long de ces années. « Entre 1982 et aujourd'hui, le métier à énormément évolué, Dieu merci. En 1985, les maisons de retraite publiques, en général, ne possédaient pas de matériel pour la mobilisation des personnes. Pas de lève-malades, pas de verticalisateurs. Toutes les manipulations se faisaient à la seule force des bras. Parfois, il n'y avait ni douche ni baignoire « médicalisée ». Et concernant l'accompagnement en fin de vie, elle évoque une période dépourvue de prise en charge. « Aujourd'hui l'utilisation de la morphine dans les soins est admise ce qui n'était pas le cas à l'époque. On ne parlait pas d'humanitude et de soins palliatifs ». D'ailleurs, lorsqu'en 1989 elle tentera d'introduire cette notion dans l'établissement où elle exerce, elle n'attirera que du mépris. « Je venais juste de terminer une formation en soins palliatifs. J’ai suggéré qu'un patient en fin de vie soit mis sous morphine pour atténuer son intolérable souffrance. Mon directeur m’a répondu : « Chauvin vous m’emmerdez avec vos soins palliatifs ! De toute façon, un vieux ça ne souffre pas ! »
Mais « Frédérique est révoltée et combative », comme en témoigne son entourage. Sur son blog, elle relate une multitude de situations qui l'ont outragée durant des années et qui la conduiront plus tard à faire de l'accompagnement une cause personnelle. « Un matin, alors que mes « collègues » prenaient encore leur café, je commençais mon service. Je me suis approchée d'une patiente nommée Mireille. J'ai trouvé son visage « bizarre ». J’ai écouté et n’ai rien entendu. Pas le moindre souffle. J’ai appellé les soignants présents, leur disant : « je crois que Mireille est morte ». Ils ont ri en me disant que je n’y connaissais rien. Finalement, ils ont fini par s’approcher d’elle et ont constaté qu’effectivement elle était décédée. Je n'ai lu aucune émotion sur leur visage. Rien… Comme si la vie de cette dame n’avait jamais eu aucune importance. J’étais choquée, révoltée et surtout triste ». Aujourd'hui, avec le recul, elle nous livre une analyse en essayant de comprendre pour quelles raisons le quotidien des EHPAD ressemblait à celui-ci. « La charge de travail était énorme. Avec le recul, je réalise que dans des conditions démentielles, avec des services surchargés, des horaires épuisants, du personnel peu formé à qui on demande d’être performant et de ne surtout pas « travailler avec ses sentiments », il devenait finalement plus « facile » de s’endurcir et de ne plus exprimer la moindre compassion afin de ne pas craquer émotionnellement ». Mais 30 ans plus tard, la situation a-t-elle réellement changé… ? C'est ce à quoi notre aide-soignante optimiste souhaite croire (au sujet de ses pairs tout au moins). « Les esprits ont évolué. Je pense (en tous cas je l'espère) que de moins en moins de personnes n'exercent ce métier que pour des raisons alimentaires ». Toutefois, qu'en est-il des conditions de travail et des moyens mis à disposition des aides-soignants aujourd'hui encore… ?
De toute façon, un vieux ça ne souffre pas !
Si les politiques refusent de changer les choses, Frédérique s'y engage (à sa façon)
Cette aide-soignante « tolérante et professionnelle » a eu l'occasion de travailler à l'étranger. « En 2001 je suis partie exercer à Genève, 2 ans dans un grand Établissement médico-social, puis 11 ans dans une autre structure plus petite ». Une expérience qui lui a permis d'identifier l'origine de la maltraitance exercée sur les personnes âgées.« Les politiques n'accordent pas assez de moyens humains aux établissements publics (hôpitaux, maisons de retraite,…). Il n'y a pas assez d'effectifs pour assurer un travail convenable et de qualité. Trop de soignants sont épuisés par des horaires décalés, des heures supplémentaires irrécupérables, un manque de reconnaissance flagrant et bien évidemment un salaire sous-payé ». Elle précise en outre : « Il y a 14 ans (et j'ai cru comprendre que cela n'avait pas changé), lorsque je travaillais en France au sein d'un EHPAD, nous étions 4 aide-soignantes pour 66 résidents pour la plupart dépendants. A Genève, c'est 12 à 13 aides-soignants pour 73 résidents majoritairement autonomes ».
Aujourd'hui, Frédérique s'est donné un admirable objectif : améliorer les conditions des patients qu'elle prendra en charge. « J'aime le contact avec les personnes âgées. J'attache de l'importance à chacune d'entre elles, qu'elle soit valide ou non, orientée ou non. Je souhaite améliorer leur confort, tant physique que psychologique, au sein de leur famille ou des maisons de retraite ».
Trop de soignants sont épuisés par des horaires décalés, des heures supplémentaires irrécupérables, un manque de reconnaissance flagrant et un salaire sous-payé.
D'aide-soignante à animatrice et praticienne en validation
Pour certains, un tel parcours professionnel sera envisagé comme une « reconversion ». Pour Frédérique il s'agit plutôt d'une « progression ». « Je ne considère pas avoir changé de profession. J'ai simplement évolué et j'ai abordé mon métier sous un angle différent ». Cette aide-soignante « humaine et à écoute », souhaitait en effet changer ses rapports avec les personnes âgées. « Après 23 ans d'exercice, je n'arrivais plus à trouver entière satisfaction. J'avais besoin de développer une autre relation avec mes patients. Je ne supportais plus de leur imposer des horaires de lever, de coucher, de sieste. Je ne voulais plus exécuter des actes « intrusifs » comme les toilettes et les changes, qui, même exécutés avec la plus grande délicatesse et toute la pudeur du monde, restent humiliants ». Un changement qu'apprécieront les personnes dont elle s'occupe, comme lui en témoigne l'une d'entre elles : « Je vous aimais beaucoup quand vous étiez dans les soins, mais je vous préfère maintenant parce que vous ne m'obligez jamais à faire quelque chose, vous me laissez le choix ! »
Avec le soutien de sa direction, elle devient donc animatrice. « Au départ, lorsque j'ai postulé pour ce poste, j'ai soumis le projet de monter une équipe d'accompagnants de fin de vie. J'ai également défendu l'idée d'un accompagnement individuel des résidents et de leur famille par une animatrice disponible à tout moment de la journée pour prendre le relais des soignants et aidant naturels ». Alors que bien des personnes se seraient arrêtées là, Frédérique a voulu aller plus loin. « En 2013 ma direction et ma responsable m'ont proposé de suivre la formation de praticienne en validation avec Kathia Munsch, directrice de l'institut de formation M&R, basé à Reims. J'ai découvert une méthode révolutionnaire pour moi, incroyablement efficace et ma façon de travailler en a été totalement changée. C'était un vrai bonheur ». Reconnue et utilisée dans le monde entier, il s'agit d'une méthode d’accompagnement, élaborée par Naomi Feil, pour les personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer. Elle consiste à rompre l'isolement des patients en leur proposant des moments de partage et d'échange ainsi que des animations individuelles et occupationnelles. Pour les personnes désorientées, pratiquer la validation permet d'entrer en communication avec elles via des techniques et outils adaptés. Une méthode qui représente donc un vrai intérêt. « D'après des études effectuées dans plusieurs maisons de retraite, il a été constaté une diminution de 50 % des traitements des personnes désorientées au sein des établissements dans lesquels l'intégralité du personnel était formé à la validation ». Aujourd'hui, Frédérique prépare un projet qu'elle compte présenter dans des services de soins à domicile ou des EHPAD afin d'intervenir auprès des patients souffrant de la maladie d'Alzheimer. « Je totalise 23 années de travail auprès des personnes âgées, tout d'abord comme aide-soignante, puis comme animatrice et praticienne en validation. Dans ces trois domaines j'ai obtenu des certificats et des diplômes. Durant ces années, j'ai pu suivre l'évolution des esprits et des moyens dans le domaine de l'accompagnement des personnes âgées, notamment désorientées et en fin de vie. Forte de cette expérience « sur le terrain », j'ai acquis toute les compétences requises pour accompagner les personnes âgées, mais aussi les familles et les soignants en totale complémentarité ».
« Briser la solitude des patients enfermés dans la maladie »… tel est donc l'engagement de cette aide-soignante qui espère voir un jour toutes les personnes âgées traitées avec tout le respect qui leur est dû dans les établissements de soins français.
J'ai défendu l'idée d'un accompagnement individuel des résidents et de leur famille par une animatrice disponible à tout moment de la journée pour prendre le relais des soignants et des proches.
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