Le texte (l’initiative, indépendante de tout parti politique, a été déposée en novembre 2017 avec 120 000 signatures) a été largement soutenu : près de 61 % des participants suisses ont répondu "oui", soit 25 cantons sur 26, à la votation populaire sur des " soins infirmiers forts". 10 % des projets seulement récoltent pourtant un "oui" de la part de la population
, confiait Sophie Ley, présidente de l'Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI) et membre du comité de l'initiative sur les soins infirmiers, invitée par le Sidiief, le réseau mondial francophone de la profession infirmière, à raconter cette aventure politique. C’est donc une grande victoire que ce « oui » massif de la population suisse, car si le Conseil fédéral et le Parlement estimaient que l’initiative allait trop loin, lui opposant un contre-projet indirect, la population, elle, a fait bloc. L’initiative populaire fédérale était le dernier recours alors que la réponse politique n’était pas satisfaisante
, s'est réjouit Sophie Ley. C'est vraiment un moyen offert à tous les citoyens de modifier la constitution fédérale, donc la loi, pour introduire un nouvel article spécifique aux infirmiers
.
Le texte s'efforce avant tout de remédier à la pénurie de personnels. La qualité des soins en Suisse est menacée. A l’heure actuelle, le pays compte 11 700 postes vacants en soins infirmiers et la Suisse aura besoin de 70 000 soignants supplémentaires d’ici 2029. En outre, quatre infirmiers sur dix quittent la profession prématurément
, note le site internet dédié à l'initiative. Et Sophie Ley d'énumérer les difficultés, qui résonnent étrangement avec le nôtres : Lourdeur des pathologies, complexité des soins, augmentation des situations de soin du fait du vieillissement de la population
, alors que de plus en plus de soignants manquent à l'appel. On a des problèmes de rétention du personnel : environ 1/3 des infirmiers diplômés partent avant l’âge de 35 ans
chez nos voisins transalpins. Ce qui fait qu’on forme du personnel mais on ne le garde pas car les conditions d’exercice sont extrêmement difficiles (les périodes de repos ne sont plus respectées depuis le Covid, entre autres exemples)
. Sophie Ley s'inquiète aussi de la forte dépendance
de son pays vis-à-vis de l’étranger. Nous avons jusqu'à 70 % de personnel étranger dans certains cantons, ce qui nous a particulièrement inquiétés pendant la pandémie avec le spectre de la fermeture des frontières. Nous aurions pu nous retrouver dans une situation catastrophique
.
Grandes orientations
Parmi les grandes recommandations proposées à la population, le texte prévoit de lancer une offensive sur la formation (incitation à la formation continue et rémunération pendant la formation, offrir des places de stages dans des conditions adéquates...), d'éviter les abandons de la profession en améliorant les conditions d’exercice tout en garantissant qualité et sécurité des soins (meilleur ratio infirmier / patient, meilleure rémunération des activités infirmières, et possibilité pour les infirmiers d'évoluer après leur formation de base). Enfin, Sophie Ley insiste sur l'importance d'atteindre un juste équilibre entre la vie familiale et la vie personnelle
(notamment grâce à des mesures concrètes : en dotant le pays de crèches adaptées à la réalité des horaires des infirmiers, l’une des raisons pour lesquelles les infirmiers ne reviennent pas à leur poste
d'après la présidente de l'Association suisse des infirmières et infirmiers). L’idée, enfin, serait de placer les bons professionnels pour effectuer les bons soins
. Bien sûr que la pénurie est là, mais ce n’est pas une raison pour ne pas recruter les bonnes personnes aux bons postes
, assure Sophie Ley, donnant un seul exemple : Il y a des lieux de soin où il n’y a pas assez d’infirmières diplômées. Quand on a des personnes qui doivent prendre des responsabilités qui ne sont pas les leur, on les épuise. C’est l’une des raisons pour lesquelles ces soignants partent
.
Il faut être soudés et solidaires dans la profession pour mener cette bataille, Sophie Ley.
Comment s’assurer que ces mesures ne resteront pas de simples vœux pieux ? interrogeait un auditeur de la conférence organisée par le Sidiief. Nous avons déjà engagé un immense travail politique
, a précisé Sophie Ley, déposé des motions actuellement en cours de traitement et nous sommes en train de discuter et de travailler au niveau fédéral pour que le cadre aille jusqu’aux cantons et que les choses se mettent concrètement en place. Ce que nous souhaitons c’est qu’il y ait une obligation : plus de places de stages et plus de personnes pour encadrer les étudiants par exemple
. S'il fallait conclure, Sophie Ley opterait pour ne jamais rien lâcher
, saluant cette posture infirmière
qui vise à prendre sa place dans le débat politique
. Une place qu'il faut arracher. Il faut être soudés et solidaires dans la profession pour mener cette bataille
.
Susie Bourquin
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