Intégrée dans les 17 objectifs de développement durable des Nations unies établis pour répondre aux défis économiques, sociaux et environnementaux mondiaux, la couverture sanitaire universelle (CSU) se définit comme l’assurance « que toutes les personnes [aient] accès au service de santé, qui inclut la prévention, la promotion de la santé, les traitement, la réhabilitation et les soins palliatifs, et qu’il soit de qualité et disponible pour tous », et sans qu’il y ait d’impact financier pour ceux qui en ont besoin, résumait le Dr Maryam Bigdeli, la représentante de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au Maroc, à l’occasion des conférences africaines organisées par le Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (Sidiief). Or, à l’heure actuelle, au moins la moitié de la population mondiale n’a pas accès à cette CSU. « 4,5 milliards de personnes n’étaient pas entièrement couvertes par les services essentiels en 2021 », soulignait-elle, même si la part d’individus non couverts par la CSU a diminué de 15% entre 2000 et 2021. En Afrique, un continent marqué par de fortes inégalités d’accès mais aussi par des situations socio-économiques complexes et par des conflits ou urgences larvés ou déclarés, atteindre cette CSU représente un défi.
L'importance des soins primaires
La santé est pourtant « un droit fondamental », a-t-elle insisté. Pour atteindre complètement cette CSU, l’OMS a défini un plan d’action mondial, qui met notamment l’accent sur le développement et l’amélioration des soins primaires. Dans cette orientation, le rôle des infirmiers « doit être valorisé », car ils sont « au plus près de la population et de ses besoins quotidiens », a-t-elle fait valoir. Mais aussi parce qu’ils sont, en termes d’effectifs, les professionnels de santé les plus nombreux dans le monde et qu’ils assurent la plupart des soins directs, a complété par ailleurs Lucien Albert, ancien conseiller en stratégie à l’OMS notamment et aujourd’hui consultant en santé mondiale. « En Afrique, ils sont même souvent les seuls » à voir les patients.
Ces soins primaires englobent aussi bien l’exercice en centres de santé mais également tout un ensemble de questions de santé communautaire (éducation à la santé, prise en charge, implication des patients, suivi…) et de multidisciplinarité, a poursuivi Maryam Bigdeli. Ce modèle de proximité a besoin d’un financement solide, d’une politique de médicament adaptée et d’une bonne gouvernance, mais surtout « d’une stratégie en ressources humaines » pertinente, qui favorise non seulement la rétention des professionnels mais également l’exercice dans les zones éloignées ou difficiles d’accès, a-t-elle résumé. « Il faut améliorer les conditions d’exercice » pour que les professionnels de santé soient retenus non seulement « dans leur pays d’origine », dans un contexte où les pays riches en manque de personnels tendent à vouloir puiser leurs ressources ailleurs, mais également dans les zones de populations les moins favorisées.
En Afrique, la malnutrition affecte une personne sur 3 et est en partie à l’origine du diabète. Il y a un risque que la part de diabétiques sur le continent augmente de 98% au cours des prochaines années.
En Afrique, la CSU face à des freins toujours aussi nombreux
Or, si les trois volets de la CSU sont l’accès aux soins pour tous, la qualité des services et la protection financière, en Afrique, « les progrès attendus n’arrivent pas aussi rapidement qu’espérés », a déploré Lucien Albert, avec « une couverture qui demeure faible, une qualité qui n’est pas au rendez-vous, et nombre de laissés pour compte. » Les facteurs qui freinent le déploiement de la CSU sont en effet nombreux. Il y a d’abord la pauvreté : « L’Afrique représente 1,1% de la richesse mondiale, elle rassemble 19 des 20 pays les plus pauvres au monde », a-t-il rappelé. Celle-ci a des impacts nuisibles sur la santé, entre malnutrition, sous-alimentation, difficultés d’accéder à un logement, à l’éducation… En découle de lourds fardeaux en santé : maladies infectieuses, mortalité infantile élevée, endémies et maladies chroniques en croissance. En Afrique, « la malnutrition affecte une personne sur 3 et est en partie à l’origine du diabète. Il y a un risque que la part de diabétiques sur le continent augmente de 98% au cours des prochaines années », a-t-il prévenu. S’y ajoutent enfin les tensions et conflits qui rendent parfois impossible l’accès à certains territoires.
Lucien Albert a pointé ainsi « une faiblesse et une inadéquation des systèmes de santé », nombre de pays s’étant engagés sur la CSU n’ayant pas réellement élaboré de plan d’action pour l’atteindre, une faiblesse des investissements nationaux, un manque de coordination entre les acteurs ou encore l’insuffisant recours à la science. « Il existe encore des défis pour renforcer la participation citoyenne », tels que le manque d’éducation et de sensibilisation sur les droits en santé, les barrières culturelles et linguistiques qui freinent la diffusion des informations, ou encore le manque de transparence qui décourage les populations à y recourir, a-t-il ajouté. Enfin, les systèmes de santé sont encore trop largement tributaires d’un financement direct des ménages, « qui dépasse parfois 50% dans certains pays », limitant d’autant plus l’accès aux soins.
Aussi, afin de faire de la CSU en Afrique une réalité, a-t-il appelé, entre autres, à sécuriser les investissements en santé (les pays africains consacrent 2 à 9% seulement de leur PIB à la santé), à construire les politiques de santé en prenant en compte les autres facteurs déterminants de la santé (dont l’environnement) et à mobiliser les soignants autour des objectifs de la CSU. Il a surtout encouragé les infirmiers, « force de changement incontestable au service de la santé de la population » et « acteurs-clé dans la dispensation des soins », à être plus visibles et plus actifs dans les décisions prises en matière de santé. « Le leadership infirmier doit être plus important. »
Initiatives et innovations existent pour développer la CSU
Pour autant, il existe sur le continent des solutions, déjà mises en place pour atteindre la CSU.
- Institution privée créée en 1997, l’Institut supérieur en sciences infirmières (ISSI), en République démocratique du Congo (RDC) offre depuis 2012 plusieurs formations en plus de sa licence en soins infirmiers, élaborées avec le soutien d’institutions européennes et d’experts locaux, dont un master en administration de programmes de santé, des formations continues sur l’humanisation des soins, l’hygiène, ou encore une passerelle entre infirmier et sage-femme. Il favorise également l’acquisition de nouvelles compétences en mettant l’accent sur les recherches documentaires, en organisant des symposiums ou des tables rondes impliquant notamment des patients, ou encore en accordant une grande part aux stages effectués dans différents milieux (hôpital, mais aussi dans les zones rurales plus difficiles d’accès). L’ISSI se positionne afin de préparer « les infirmiers leaders à atteindre la CSU. Les infirmiers doivent être bien formés et outillés », a expliqué Maguy Aembe, infirmière et enseignante de l’ISSI.
- Côté innovations, Awa Seck, infirmière et consultante experte en santé communautaire à l’UNICEF, a notamment donné en exemple le partage des tâches dans le traitement du VIH mis en place par des infirmières dans 26 centres de santé en Côte d’Ivoire. Il repose sur deux modèles : un binôme médecin-infirmier, ou un infirmier qui travaille en autonomie avec la visite, une fois par semaine, du médecin. Les infirmiers ont été formés sur la prise en charge du VIH, et les médecins sur la supervision et le mentorat. Après évaluation, a été constaté « un taux de rétention au traitement de 85%, dans un contexte de ressources limitées. L’implication des infirmiers a amélioré la couverture et l’accessibilité aux soins », a ainsi noté Awa Seck.
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