La recherche en histoire des soins est une discipline qui a toujours du mal à exister malgré l’impulsion des travaux de Marie-France Collière ou de René Magnon. Aujourd’hui encore, on ne recense que trop peu d’ouvrages ou documents se rapportant à l’histoire des soins. Or une profession qui n’a pas d’histoire ou qui ne recherche pas ses origines est une profession qui a du mal à parler d’elle-même, comprendre son évolution et à se projeter dans le futur... Il est des histoires qu’il n’est pas toujours souhaitable d’exhumer. Marc Catanas, Directeur des soins, prend le risque de mettre à jour celle-là et de la partager avec nous.
A travers les articles qui vont suivre, et que nous allons publier, chapitre après chapitre, au fil des semaines (en effet, l'article proposé initialement était trop long pour le publier en une seule fois), nous nous sommes intéressés à un personnage fort peu connu dans les textes anciens : l’infirmier. En effet, on parle plus souvent de la femme dans les soins mais rarement de l’homme. Or, son rôle n’a pas été aussi effacé qu’on le croit dans l’histoire des soins et son absence durant une bonne moitié du XXème siècle à l’hôpital général a sûrement à voir avec le rôle qu’il y a joué durant le XIXème siècle.
Les sources sont rares pour ce qui est des femmes soignantes, elles le sont nettement plus encore pour ce qui est des hommes. Hormis la psychiatrie ou l’armée où l’histoire des soins se conjugue au masculin, les sources attestant de l’existence de l’infirmier dans les hôpitaux généraux au XIXème siècle sont rares. Alors, lorsqu’on les découvre, cela procure un bien immense au chercheur comme la possession d’un capital précieux.
Il est des histoires qu’il n’est pas toujours souhaitable d’exhumer. Nous prenons le risque de mettre à jour celle-là.
Des conditions de vie extrêmement difficiles
Le nombre de ces personnels laïcs infirmiers augmente de façon conséquente durant le XIXème siècle et plus particulièrement vers 1860-70 avec la IIIème République1. Il représente à l’époque le talon d’Achille de l’administration hospitalière.2 Ce personnel vit dans des conditions insupportables. Les infirmiers sont pour la plupart entassés dans une mansarde où le plafond est si bas qu’on ne peut pas même se dresser sur son lit excepté au centre du dortoir. On y voit de petits lits en fer aux pieds courbés qui offrent un mode de couchage tout à fait insuffisant. Aucun meuble, pas de parquet, pas d’armoire, pas d’ustensiles de propreté. Les hommes s’habillent là, descendent ensuite dans les salles où ils se nettoient aux lavabos des malades. C’est également là qu’ils changent d’effets et de linge. Ils n’ont donc pas d’endroit particulier. Ils sont obligés de se laver en commun et de dormir dans un grenier, où il n’y a rien en vue de leur bien-être. Leur galetas3 étant situé immédiatement sous le toit, ceux qui l’occupent sont exposés aux fortes chaleurs et aux froids rigoureux4.
En fait, les administrations hospitalières ont une lourde part de responsabilité dans cette situation. Par souci d’économie, elles réservent à leurs infirmiers des conditions de vie indignes5. Au dessous d’eux, sont trois étages de salles pleines de malades, de sorte que pendant leur sommeil ces infirmiers respirent forcément quelques unes des émanations de ces malades, émanations qui montent et qui pénètrent par les planchers et les plafonds6.
Ces « dortoirs » sont systématiquement occupés : la nuit par les infirmiers de jour et le jour par les infirmiers de nuit. La literie est généralement le rebus de l’hôpital. […] Il n’y a pas de lavabo, pas de cabinets d’aisance à proximité. […] En visitant un de ces dortoirs d’infirmier nous avons vu aussi l’inconvénient d’avoir un W-C à proximité, tout le dortoir en étant infecté, grâce à son installation défectueuse7.
Et ces conditions de vie extrêmement difficiles sont la cause d’un taux de décès important chez ces infirmiers notamment de la tuberculose. Anna Hamilton8 fait remarquer que sur 31 décès d’infirmiers à l’hôpital Bichat, on comptait 21 tuberculeux. On savait à l’époque que la mortalité dans ce personnel dépassait largement celle des autres professions et la raison invoquée était la proximité de ces infirmiers avec les malades. Or Anna Hamilton rétorque que ce n’est pas le cas dans les pays où les personnels ont des conditions de vie saines. Un rapport établi en 1900 par la commission contre la tuberculose déclarait à l’époque que les dortoirs menacent de devenir des foyers d’infection dès qu’un panseur y a quelque peu séjourné.
Les infirmiers sont pour la plupart entassés dans une mansarde où le plafond est si bas qu’on ne peut pas même se dresser sur son lit excepté au centre du dortoir.
Puisque les infirmiers vivent à l’hôpital, leur vie quotidienne est rythmée par des sorties autorisées. A noter que de 1822 à 1900, les infirmiers travaillent 14 heures par jour9. Les infirmiers veilleurs [de nuit] bénéficient de deux heures de sorties par jour (de 10 heures à midi) ainsi qu’une après midi et une soirée de 18 à 22 heures par semaine. Les infirmiers de jour bénéficient d’une après midi et une soirée de 18 à 22 heures par semaine10. La sortie du soir est destinée à participer à des cours professionnels organisés dans les établissements hospitaliers. Seulement, avec une sortie de 4 heures par semaine, il est alors évident que l’infirmier fréquentera plus les tavernes que les bancs d’école.
Quant à la question du salaire, Philippe Rombaud11 nous explique qu’un infirmier a une rétribution inférieure à celle d’une religieuse et d’un domestique. Entre 1816 et 1854, un infirmier gagnait donc 120 à 150 frs par an, salaire inférieur à celui des domestiques […] les indemnités des sœurs Augustines à l’Hôtel-Dieu s’élevaient 249 frs en 181612.
Malgré des efforts d’élévation du niveau d’instruction amorcés à partir des années 1880, vers 1900, un serviteur infirmier de 2ème classe gagne annuellement 180 frs en début de carrière, alors qu’une bonne reçoit à ses débuts, un salaire qui oscille entre 300 et 360 frs annuels13.
En fait, les ouvriers au XIXème siècle étaient mieux considérés que les infirmiers tant du point de vue du salaire (en 1836, un arrêté de Conseil des hôpitaux a fixé le salaire d’un ouvrier à 300 frs et celui d’un infirmier à 150 frs14 soit moitié moins) que du point de vue de la considération professionnelle. En 1884, les aides charretiers et le vacher de Bicêtre ont le grade de sous surveillant15.
Puisque les salaires sont extrêmement bas et que beaucoup d’infirmiers ont une famille à nourrir, tous les moyens sont bons pour gagner de l’argent. La modicité des gages n’amène près des malades que des gens incapables d’avoir pour eux les égards et les soins que réclament leur état ; aussi regardent-ils ces places comme un état transitoire, ils sont infirmiers en attendant mieux, et n’ayant aucun désir de se fixer dans les maisons hospitalières, ils ne font rien pour acquérir la dextérité que réclame leurs fonctions. Pour augmenter leurs appointements, tous les moyens leurs sont bons ; ce sont eux qui apportent et vendent aux malades des aliments et des boissons que les chefs de service de santé jugent convenable de leur refuser… Presque tous exigent, ou des pauvres malades, ou de ceux qui viennent les visiter, des gratifications plus ou moins considérables. Le malheureuxqui ne peut payer reste privé de soins, sans que le directeur le plus actif, ou la surveillante la mieux intentionnée puisse parer à ces inconvénients16.
Le prochain chapitre de cet article sera le suivant : "Infirmier au XIXe siècle : la tenue, le comportement et l’alcool"
Marc CATANAS Directeur des soins Note de l’auteur : L’auteur remercie la Revue de la Société Française d’Histoire des Hôpitaux d’avoir accepté la publication de cet article sur le portail internet Infirmiers.com.
Cet article avait été publié dans le numéro 139 de septembre 2009.
Lire le chapitre 1 : Être infirmier au XIXème siècle
Notes
- BORSA S, MICHEL C-R « La vie quotidienne des hôpitaux en France au XIXème siècle » Edition Hachette, 1985, p 176.
- BORSA S, MICHEL C-R ibid,, p 176.
- Galetas : misérable logement
- Le Petit Méridional du 30 mars 1899 in HAMILTON A-E « Considération sur les infirmières des hôpitaux » Hamelin frères, Montpellier, 1900.
- BORSA S, MICHEL C-R, ibid, p 176.
- BOURNEVILLE DM, « Palmarès des Ecoles d’Infirmiers et d’infirmières », 1890-91, opus cite p76.
- BOURNEVILLE DM, opus cite p76
- HAMILTON A-E, femme médecin qui a soutenu une thèse en médecine à Montpellier en 1900 et qui constitue un document unique sur l’état des hôpitaux de la fin du XIXème siècle et le travail infirmier.
- LEROUX HUGON V, « Infirmières des hôpitaux parisiens, ébauches d’une profession », Thèse d’histoire, Université Paris 7, 1981, p 192.
- HAMILTON A-E, p157.
- ROMBAUD P « La profession infirmière sous payée : mythe ou réalité » Revue Recherche en soins infirmiers n° 73, juin 2003.
- ROMBAUD P, opus cite p 63.
- POISSON M « Origines républicaines d’un modèle infirmier 1870-1900 » Editions hospitalières, 1998.
- HUSSON A « Etude sur les hôpitaux considérés sous le rapport de leur construction, de la distribution de leurs bâtiments, de l’ameublement, de l’hygiène et du service des salles de malades » Editions P Dumont, Paris, 1862 p 178.
- JAEGER M, WACJMAN C « Aux sources de l’éducation spécialisée (1878-1910) – la formation des premières infirmières » Collection «Histoire du handicap et de l’inadaptation », Paris, 1998. in ROMBAUD P « La profession infirmière sous payée : mythe ou réalité » Revue Recherche en soins infirmiers n° 73, juin 2003.
- Rapport de la commission médicale du 10 mai 1843 in HUSSON A « Etude sur les hôpitaux considérés sous le rapport de leur construction, de la distribution de leurs bâtiments, de l’ameublement, de l’hygiène et du service des salles de malades » Editions P Dumont, Paris, 1862 p 179.
Tous les chapitres du dossier :
Histoire - Être infirmier au XIXème siècle (chap. 3)
Histoire - Être infirmier au XIXème siècle (chap. 2)
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