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ETHIQUE

À bas la Bientraitance !

Publié le 07/06/2013

Il y a des concepts comme celui de la Bientraitance qui méritent d'être dépoussiérés. La Bientraitance est apparue depuis quelques années comme une nouvelle norme, une vérité incontournable et indiscutable : nous n'avons plus le choix, nous devons être « bien traitants ». C'est parce que cette injonction sonne assez bien comme une évidence consensuelle qu'il convient de la trouver suspecte !

Regard critique et constructif sur le concept de Bientraitance

Et si la bientraitance n'offrait pas toutes les garanties espérées en termes d'éthique ?

Nous allons donc nous appliquer à déboulonner ce concept de son piédestal et envisager d'ériger une nouvelle proposition responsable et professionnelle. Aux armes citoignants, chassons les marchands du temple !  Vous comprendrez que par cette formule je cherche à atteindre ceux qui veulent nous lobotomiser avec des formules toutes faites qui fleurent bon le consensus et le prêt-à-penser. Non, la bientraitance ne suffit pas à nous rendre bien traitants et si nous voulons devenir ce que nous sommes, comme le souhaitait Nietzsche, il nous appartient de développer un niveau supérieur de pensée soignante.

Aux armes citoignants, chassons les marchands du temple !

En quoi la bientraitance n'est-elle pas une garantie éthique ?

Quand la parole des patients s'est libérée dans les situations de maltraitance institutionnelle, l'opinion découvrit un paradoxe dérangeant : certains soignants pouvaient s'avérer maltraitants. De trop nombreuses affaires de ce type ont abouti au pénal et ont mis à jour une déclinaison d'actes délétères qui prenaient des formes différentes, allant de la maltraitance ordinaire dans le quotidien jusqu'au meurtre par compassion ou négligence. Voici quelques exemples, de la plainte institutionnelle aux Assises.

La caresse du soignant sur la joue d'un résident dans un EHPAD, un baiser sur le front pour le rassurer ou lui prodiguer un geste d'affection, sommes-nous certains que cette caresse ou ce baiser soient reçus avec le même sens par le résident ? Qui nous dit que ces gestes ne l'angoissent pas plus qu'ils le rassurent. Qui nous dit que cette caresse, ce baiser ne vont pas être mal interprétés et que ce résident y voie autre chose qu'une intention d'affection ? Une affaire récente au Québec amena la famille d'un résident à porter plainte contre une institution pour des gestes affectueux jugés impudiques. Il s'agissait d'un baiser sur le front donné par un soignant à un résident. Il aura fallu des conciliations et beaucoup de temps pour désamorcer cette situation qui baignait tous les protagonistes dans une incompréhension générale. Cette histoire nous enseigne très simplement que l'intention de bientraitance peut être reçue comme une agression et que, de toute évidence, cette intention n'est pas assez construite pour garantir un acte professionnel soignant. Ce baiser qui se voulait un remède pour passer une bonne nuit eut l'effet d'un poison... N'oublions jamais ce double effet que les Grecs appelaient pharmacon. Le médicament contient en lui cette dualité qui le compose et qui est constituée en même temps du remède et du poison. Employé au bon moment, sur la bonne indication, avec la bonne dose, le médicament va oeuvrer contre le mal. Par contre, s'il est employé au mauvais moment, sur une mauvaise indication ou par doses trop fortes, il peut se transformer en poison et donner les résultats contraires de ceux attendus. Ce baiser, malgré la meilleure intention du monde, s'est posé au mauvais moment, sans indication de nécessité, et sa "dose" s'est révélée délétère. C'est ainsi qu'un simple geste d'amour se traduit en geste de violence.

Afin de protéger un patient de la douleur de ses métastases osseuses aux hanches et aux genoux, une aide-soignante fut amenée à lui mettre le bassin au lit plutôt que de tenter de l'accompagner aux toilettes comme il le lui avait demandé. L'intention de l'aide-soignante est sans ambiguïté et tend à faciliter ce moment au patient et à lui éviter des douleurs non indispensables. Le lendemain, ce patient a adressé une lettre à la Direction en disant que l'aide-soignante l'avait privé de ses derniers défis et l'avait humilié en l'obligeant à prendre le bassin au lit. Cette aide-soignante a été bouleversée d'apprendre que le patient l'accusait de maltraitance. A aucun moment elle n'eut d'intention de nuire mais pourtant, son geste a été vécu comme une violence irrémédiable. Le patient s’est vu précipité vers la mort qu'il voulait encore combattre à sa façon. Là aussi, le remède s'est transformé en poison.

Une affaire sordide a défrayé la chronique dans la fin des années 90 et montre à quel point l'intention de bien traiter ne suffit pas et qu'elle n'est en rien une garantie de démarche éthique : Christine Malèvre a été jugée pour le meurtre de 10 patients en fin de vie. Sur les 50 dossiers de départ seuls 7 ont été retenus. Elle fut condamnée à 10 ans de réclusion criminelle et après un second procès en Appel elle se vit prolonger sa peine de 2 ans de plus. Revenons sur un temps fort du procès. À la question du juge pour connaître ses intentions, Christine Malèvre répondit que, pour sa part, sa place était auprès des patients, elle les écoutait et elle répondait à leur demande : J’avais aidé un être humain à mourir, parce qu’il me l’avait demandé. Elle tenta de convaincre le jury qu'elle était une bonne infirmière et qu'elle ne faisait pas comme ses collègues qui passaient du temps à l'office à boire du café et à bavarder sur tout et n'importe quoi. Marie de Hennezel qui avait été appelée comme expert à ce procès avait conclu à une professionnelle isolée et qui avait réagi par manque d'analyse et d'interaction professionnelle. Elle réglait ses propres angoisses en donnant la mort aux patients. Cette angoisse, hélas, resurgissait à chaque nouveau patient difficile à calmer et qui « aurait » demandé à mourir. Christine Malèvre n'a eu de cesse d'expliquer qu'elle était une bonne infirmière et que tout ce qu'elle faisait était pour le bien du patient. L'enfer est pavé de bonnes intentions... Vouloir bien traiter autrui ne consiste pas uniquement à avoir des convictions et des intentions de bien. Le juge lui répondit qu'elle eut certainement trouvé des bénéfices à aller boire le café avec ses collègues et qu'elle aurait pu ainsi confronter ses difficultés au regard d'autres professionnels. Ces derniers auraient sûrement évoqué leur façon de réagir et auraient enrichi l'analyse de Christine M. Il y a spécifiquement dans cette histoire une confusion entre le remède et le poison. Le remède pour cette infirmière n'est constitué que de poison dans une injection létale. Il s'agit bien là d'une inversion de la norme quand le poison qui tue est pensé comme un remède qui guérit.

Il n'est pas concevable qu'un soin puisse un jour être défini par de la douleur ou de la mort. Non, définitivement, tuer n'est pas un soin !

Primum non nocere

Pour que le remède reste un remède, une vieille recette qui date de plus de 2.500 ans et qui a largement fait ses preuves mérite encore et toujours le devant de la scène. C'est Hippocrate dans le Livre II des Epidémies qui énonce un principe, celui de la non malfaisance : Primum non nocere, en premier ne pas nuire - ou encore plus précisément : Avant tout, ne nuire en aucune façon1. Ce principe nous propulse sur un niveau II de pensée, largement plus brillant que celui de la simple intention de vouloir bien traiter. C'est en cela qu'il faut dépasser l'intention de la bientraitance et s'assurer, par une praxis conséquentialiste, un entraînement à envisager les conséquences de nos intentions, que nous ne sommes pas toxiques pour autrui. Pour ce faire, il convient de sortir le patient du centre de notre schéma de soins (encore un concept à dépoussiérer ! quelle bêtise !). En effet, tant que le patient reste au centre du système il ne peut être autre chose que l'objet de nos soins. Imaginez simplement qu'il abandonne cette place centrale pour accéder à un statut de sujet au même titre que le soignant et que la place laissée vide du centre soit occupée par le Soin lui-même... et hop ! Le soin devient ainsi l'objet des préoccupations communes du patient et du soignant.

Pour une démarche éthique

Dans nos formations initiales, il n'existe que très peu d'approches réflexives sur le geste éthique et ces approches sont laissées à l'initiative des formateurs, des outils qu'ils ont sous la mains et de la liberté de les utiliser qu'on veut bien leur accorder. On nous parle bien de cette fameuse « juste distance » mais elle n'est qu'un fantôme insaisissable qu'il convient très vite de rationaliser en démarche éthique. Toujours pas de module expliquant ce qu'est une pensée conséquentialiste, un courant utilitariste, ni comment se positionner devant un dilemme éthique de façon professionnelle. Peut-être craignons-nous que les étudiants comprennent et sachent trop bien se positionner ? Hum ! des infirmiers qui réfléchissent... il ne manquerait plus que ça !

Il est désormais essentiel pour nos professions que les ministères des Affaires Sociales et de la Santé et de l'Enseignement Supérieur demandent à ce que soit formalisée et déployée une démarche éthique soignante qui puisse germer de l'individuel au collectif, depuis chaque professionnel de santé jusqu'à chaque structure de soins, depuis chaque pôle jusqu'à la gouvernance de l'institution. Il convient aujourd'hui d'accéder à une nouvelle dimension de notre profession, celle qui va nous permettre de nous extraire d'une pensée individuelle et trop souvent isolée à une pensée libérée et partagée. Il nous appartient d'étoffer l'éthique de conviction par une éthique de responsabilité qui doit faire circuler la pensée soignante à travers les différentes disciplines au profit du soin construit avec et pour autrui dans des institutions justes 2.

Christophe PACIFIC Cadre supérieur de santé Docteur en philosophie christophe.pacific@orange.fr 


Source : infirmiers.com