Diplômé depuis 15 ans maintenant, cet infirmier toulousain n’a eu de cesse que d’enrichir ses compétences de professionnel de santé mais pas que. Formateur mais surtout chercheur, de diplôme universitaire en master, il se dirige maintenant vers un doctorat en psychologie cognitive. Il nous raconte son parcours, sa quête pour parvenir notamment – et c’est bien le plus important – à financer son doctorat. Sa pugnacité l’a emporté et en 2022 il soutiendra sa thèse…
Infirmier depuis 2004 au CHU de Toulouse, mon activité professionnelle s’est essentiellement développée dans le service de réanimation polyvalente pendant plus de 10 ans. Pour diversifier mes activités professionnelles, conjointement, je goûte aux joies et à l’exigence du préhospitalier en tant qu’infirmier sapeur-pompier volontaire depuis 2010. Je complète également mon parcours en tant que formateur en simulation en santé sur l’Institut Toulousain de Simulation en santé.
Repartir de Zéro ? Ou comment faire un zéro ?
Après quatre ans de diplôme et d’exercice dans le service des maladies infectieuses, j’intègre en 2008 le service de réanimation ou plutôt le gouffre de la réanimation…
Je me sens démuni, stressé, ne sachant pas quoi faire. J’ai le sentiment de ne pas être en sécurité tant pour moi que pour le patient. Avec le recul, est-ce normal ? Est-ce ma posture professionnelle ? Les jeunes diplômés qui intègrent l’unité, ont-ils ce même questionnement ? Qu’est-ce qui fait que j’ai quitté mon ancien service ? Accroche-toi, ça ne fait que commencer… Au fil du temps et de mon investissement personnel, les bases arrivent, les liens se font, je me sécurise et sécurise mes soins. Je me sens mieux… mais 198 jours se sont écoulés ! Deux ans après mon arrivée, un médecin de l’unité me demande de participer à un groupe de travail sur la sédation en réanimation.
Ne vous endormez pas, c’est là où tout commence !
Tout débute alors en 2010, un médecin de l’unité initie le projet avec un de mes collègues infirmier. Nous allons mettre un nouveau score en place pour évaluer la profondeur de la sédation. Le score de Richmond Agitation Sédation Scale (RASS). Je me dis : mais pourquoi, il était bien le nôtre ? Pourquoi changer nos habitudes ? Nous avons toujours fait comme ça ! Pfff encore une idée venue de… bref !
Challengé dans ce projet tel un match de tennis, j’ai surtout pris conscience de l’importance du changement des pratiques à mettre en œuvre et de l’intérêt des données probantes au service des soins courants pour améliorer la qualité et la sécurité des soins
Entre pédagogie et recherche mon cœur balance…
Pour moi, mettre un nouveau score en place passait par la création d’un outil pour faciliter son implantation et son utilisation par l’ensemble de l’équipe soignante. Les idées fusent et ne se ressemblent pas. Avec l’accord et l’appui des cadres de santé de l’unité et la coordinatrice de la recherche paramédicale, nous débutons une étude pilote exploratoire sur le ressenti des soignants face à l’agitation des patients intubés avec ou sans présence de la famille. Les résultats sont sans appel : 76% des soignants sont stressés face à l’agitation des patients et 82% lorsque la famille est présente. J’ai l’idée de créer un livret qui permet d’inclure le protocole de gestion paramédicalisée de la sédation pour répondre aux contraintes de l’unité et permettre de diminuer le stress des collègues face à l’inconfort des patients. Ce projet d’unité me conduit à participer à des congrès mais j’ai envie d’aller plus loin. Je me lance dans le diplôme universitaire (DU) de recherche paramédicale à Bordeaux. Mon intérêt pour le sujet est grandissant. J’imagine que ce DU va m’apporter davantage de connaissances et d’aide dans ce parcours encore peu connu.
J’ai surtout pris conscience de l’importance du changement des pratiques à mettre en œuvre et de l’intérêt des données probantes au service des soins courants pour améliorer la qualité et la sécurité des soins.
Un DU, pourquoi pas ?... mais Financed by…or not Financed by ?
Merci aux gardes de sapeurs-pompiers volontaires qui m’ont permis d’auto-financer ce DU. Se faire financer une formation universitaire était encore trop peu courant et heureusement que mes collègues étaient là pour faire des échanges de planning… Merci à eux ! Quand on dit qu’on est seul… ou presque… prendre de l’avance et avoir un profil atypique m’a parfois desservi. Ma mère disait toujours Aide-toi et le ciel t’aidera…
, parole de battante, pour ceux qui l’ont connue.
Lors de ce DU, co-encadré avec l’université de Montréal, je fais la rencontre de belles personnes, qui sont parmi les premiers maillons de mon réseau professionnel. Je prends note de son importance dans notre profession et dans le cercle de la recherche paramédicale.
La mise en place de ce nouveau protocole permet de poursuivre avec ceux portés par d’autres collègues sur le sevrage de la ventilation mécanique et de l’analgésie. Mais la dynamique s’essouffle. Si le score de RASS est utilisé, les modifications de débits qui doivent être adaptées selon le score, par l’infirmier, seul, en autonomie et malgré les formations, constituent un frein et peu d’infirmiers l’utilise. Mais pourquoi ? Quel dommage ! Et les données probantes alors ? Le respect du protocole, on en fait quoi ?
Mon investissement trouve alors un nouvel axe. Je combine ma pratique clinique et des interventions en IFSI. Je collabore à la création de cours avec des cadres formateurs, nous réalisons une prépa stage réanimation… J’ai une envie d’aller plus loin. Je m’inscris en Master 2 Sciences de l’éducation (option encadrement des services de santé) en 2015. Jour de chance ! L’encadrement m’accorde la moitié du temps du Master sur un temps de repos hebdomadaire ! Pas de financement mais … c’est ça ou rien !
Quand je dis que c’est un parcours du combattant... c’est un euphémisme
En 2015, je me questionne sur la difficulté du changement de pratiques par une recherche-intervention au service de l’accompagnement au changement : le cas d’implantation des protocoles de soins. Comment uniformiser une pratique entre deux unités de réanimation d’un même pôle, sur deux sites différents ? Malgré toutes les bonnes volontés, les choses prévues, les étapes n’avancent pas au rythme souhaité. Après bien des essoufflements, des regains d’énergie, de l’amotivation
, de la surmotivation
, je continue. Adhérent à la SRLF, (Société Française de Langue Française) depuis 2013, j’intègre la CERC (Commission épidémiologie et de recherche clinique) de la SRLF en 2017. Intégrer une société savante dans son domaine de spécialité permet de renforcer ses pratiques et de motiver d’autres personnes de son équipe à y adhérer. C’est initier des recherches paramédicales multi-nationales pour l’unité par l’impulsion de la société, de participer à des congrès, de rencontrer des collègues d’horizons divers et de construire son réseau professionnel.
Tout ça pour faire quoi au final ?
Les enseignements du Master m’ont permis d’aborder une autre facette de notre profession : l’encadrement des services de santé. Un an après le Master, je suis toujours autant investi dans l’unité, mais rien ne bouge. Dois-je faire l’école des cadres ou un doctorat ? Mon profil trop recherche
dérange. Je suis recalé à l’entrée dans la filière cadre. Un sentiment d’abandon m’envahit. Au final, ils avaient raison, ça n’allait pas me plaire
. Le doctorat est peut-être la poursuite logique.
Malgré toutes les bonnes volontés, les choses prévues, les étapes n’avancent pas au rythme souhaité. Après bien des essoufflements, des regains d’énergie, de
l’amotivation, de lasurmotivation, je continue.
Entre utopisme et réalisme
La réalité rattrape souvent le rêve… Un poste d’infirmier clinicien ?
, quézaco ? Un poste dédié à la fois à promouvoir la recherche, favoriser le développement du raisonnement clinique, avoir des missions d’aide à l’adaptation à l’emploi des nouveaux infirmiers, retisser du lien entre les cadres formateurs et le terrain, par les interventions en IFSI… c’est impossible. Et pour finir, on pense que l’herbe est plus verte ailleurs ! Les contraintes sont quasi identiques dans d’autres structures. Mais dans certaines unités qui expérimentent, les retours sont pertinents et les postes arrivent à s’autofinancer, soit par les publications, soit par l’économie du coût pharmaco-économique fait en gérant mieux les stocks et la vigilance du respect des protocoles paramédicaux. Aucune création de poste en vue… Faut-il aller voir ailleurs ? prendre le risque d’abandonner le navire depuis 15 ans et toute la sueur déversée ? C’est mon nouveau pari !
En route vers le doctorat après deux années d’hésitation !Je fonce ou pas ? J’ai pris conseil auprès de mon réseau professionnel, de mes pairs, de certains mentors. Tous les feux sont au vert alors…Gooooo ! Mais au fait, je dois manger, payer mon crédit, sortir... qui me paie pendant trois ans si je pars ? Oh non, rebelote, échec… mais pas échec et mat ! Une bourse ? Une solution ? Rester à mon poste et faire ce doctorat en plus de mon temps de travail ? Non pas cette fois-ci ! J’ai donné. Le doctorat est aussi une aventure à deux. Chers collègues et futurs doctorant paramédicaux ou non, des solutions existent ! Par acquis de conscience, je demande à la plus haute instance du CHU... nous n’allons pas pouvoir te financer
. Allez bon courage quand même !
Tu connais pas la CIFRE ? quel dommage !
Le dispositif Cifre - Conventions Industrielles de Formation par la REcherche - subventionne toute entreprise de droit français qui embauche un doctorant pour le placer au cœur d'une collaboration de recherche avec un laboratoire public. Les travaux aboutiront à la soutenance d'une thèse en trois ans. Chacun y gagne :
- le futur doctorant parce que il est financé pendant 3 ans et développe son sujet de thèse ;
- l’employeur car il bénéficie d’une aide de l’Etat en crédit d’impôt et que le sujet peut l’aider à répondre à des contraintes de terrain pour trouver des solutions ;
- le laboratoire de recherche grâce au contrat de collaboration.
Bingo ! J’ai trop de chance, j’ai enfin la solution mais la route est longue, encore quelque mois...
Vers quel laboratoire de recherche me diriger ?
En tant que formateur en simulation en santé, le Professeur Thomas Geeraerts, directeur du centre de simulation en santé (itSimS, du CHU Toulouse) s’engage à m’ encadrer. Engagé dans la pédagogie auprès des étudiants en soins infirmiers en essayant de trouver des nouvelles méthodes pédagogiques, je souhaite ouvrir mon champ expérientiel. Je me dirige vers le laboratoire de psychologie cognitive de l’université de Toulouse Jean Jaurès, sur l’axe 3 : Apprendre-Rechercher-Décider
. Ce laboratoire est centré par l’apprentissage à travers le numérique, la réalité virtuelle et les interactions Homme-Machine. Après des échanges fructueux, j’ai l’accord du Professeur Nathalie Huet, qui accepte de m’encadrer.
Reste à trouver un employeur...
Dans quelle direction aller ? Mais au fait, je possède un réseau, reste alors à l’activer ! Je m’appuie donc sur mon réseau professionnel aux travers d’échanges fructueux et de conseils, de relations sur les réseaux sociaux. J’obtiens finalement un rendez-vous avec la start-up Bordelaise Simforhealth spécialisée dans la co-création et la réalisation de simulateurs numériques et de scénarii en réalité virtuelle pour la formation des professionnels de santé. Après plusieurs échanges, le projet tient la route et un accord est trouvé, enfin ! Je me réjouis car mes efforts paient et l’été 2018 commence bien. Pour le coté administratif, le dossier se fait sur le site de l’association nationale recherche et technologie (ANRT) http://www.anrt.asso.fr Une fois tout le dossier constitué (en 1 mois), reste l’expertise scientifique réalisée par l’ANRT qui dure environ 2 à 3 mois. Avec les accords en poche, je prends alors ma décision de prendre une disponibilité du CHU après 15 ans de bon et loyaux services.
Dans quelle direction aller ? Mais au fait, je possède un réseau, reste alors à l’activer ! Je m’appuie donc sur mon réseau professionnel aux travers d’échanges fructueux et de conseils, de relations sur les réseaux sociaux.
La lumière du tunnel apparaît à nouveau...
Je m’inscris en thèse en septembre 2018 en psychologie cognitive. Mon sujet : Quelles sont les conditions institutionnelles ou individuelles (cognitives, métacognitives et motivationnelles de l’apprenant), qui influenceraient l’efficacité d’un jeu sérieux sur l’apprentissage des connaissances et des compétences des étudiants infirmiers ?
La société SimForHealth est ancrée dans le monde de la santé depuis quelques années. Elle est spécialisée dans la co-réalisation, par le travail collaboratif entre développeurs informatiques et soignants, pour la réalisation et le développement des simulateurs numériques sur écrans ou par réalité virtuelle. Un projet numérique, soutenu par la région Nouvelle Aquitaine et l’ARS Nouvelle-Aquitaine, a réuni autour de la table les cadres formateurs des 27 IFSI de la région et SimforHealth. Après 2 ans de travail, 35 situations de soins virtuelles voient le jour. Elles sont réparties autour des 10 compétences du référentiel national. Dans chaque compétence, 3 à 5 situations de soin permettent de s’entraîner en parcourant le chemin clinique du patient. Un développement sur les 8 000 étudiants en soins infirmiers de la région NA est prévu dès la rentrée de septembre 2019. Quel beau terrain de recherche… pour le sujet de thèse, une belle histoire et c’est une nouvelle aventure qui commence…
L’avantage d’une CIFRE, dans mon cas, c’est de goûter à un monde différent de l’hôpital. Comprendre les mécaniques d’entreprise, élargir et partager mon réseau, être sur des projets ambitieux… c’est motivant. Mais ne pas perdre de vue la thèse, l’étude, c’est toute la difficulté. Et l’après thèse? De l’eau aura coulé. Je vous donne donc rendez-vous en 2022 ! Mais d’ici là, la sortie se prépare dès maintenant. Un poste éventuel à l’Université ? mais lequel ? Y-aura t-il des places ? Une bi-appartenance ? Un poste d’infirmier clinicien ? Rester salarié de l’entreprise avec qui je travaille ? Un post-doc en Sciences Infirmières ? Que de questions… mais si je me dois d’anticiper, pour le moment, place à la thèse !
Ce que je peux retenir :
- il y a de la place pour tout le monde ;
- il ne faut rien lâcher, y croire, avancer et oser ouvrir les portes ;
- il faut se fabriquer ou faire marcher son réseau ;
- grâce à la recherche paramédicale et les publications scientifiques qui s’y rattachent, notre belle et riche profession continuera d’avancer.
Guillaume DecormeilleInfirmier-PhDc en psychologie cognitive chez Simforhealthguillaumedecormeille@wanadoo.fr/guillaume.decormeille@univ-tlse2.fr
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