Le récit de Chantal Nalleau, infirmière psychiatrique aujourd’hui retraitée, explore, entre fiction et réalité, l’entremêlement des folies individuelles et celle des groupes humains. Un exercice de funambule sur un fil à la fois tendu et ténu...
Un livre sur la folie, donc ? Oui, mais vu de l’intérieur, à travers le regard d’une infirmière. Ou plutôt d’une femme qui a choisi d’être infirmière. Nuance… quel choix bizarre, d’ailleurs. Surtout en psychiatrie. Bref, le regard de Chantal Nauleau, infirmière « psy » aujourd’hui retraitée, emprunte le chemin des écoliers - normal, on prend le temps en psychiatrie, ou en tout cas on devrait le prendre -, un chemin qui raconte déjà l’histoire d’une petite fille trop sensible, qui a du mal à tenir la main de son Prince Charmant. Mais c’est un peu logique, entre nous ; quand on est écorchée vive, la peau vous manque pour saisir le monde extérieur.
La chaleur aussi… alors vous la recherchez dans les bras des hommes qui veulent bien vous en donner un peu. Mais ces rencontres d’un soir ne sont hélas que des mâles entendus, de tristes maux d’amour… Voilà, c’était juste un exemple, un de ces petits chemins de traverse empruntés par l’auteure, où elle décortique les mots sur lesquels elle se cogne.
« S’intéresser à l’histoire de la folie et des gens, c’est aussi se donner une chance de mieux se comprendre soi-même... »
Se faire l’écho de...
Mais revenons au cœur du sujet. Là où Jean Fleuré dans son ouvrage « Plaidoyer pour la défense de la psychiatrie » dissèque le système de soins en laissant soigneusement le bonhomme de côté, Chantal Nauleau fait l’inverse. Certes, elle parle bien de l’hôpital, de l’Institution, mais elle raconte avant tout ce qui bouillonne en elle, ses contradictions, ses névroses, ce qui fait écho sous sa peau d’écorchée… Et ce qui fait écho en elle, le fait aussi en nous, bien évidemment.
Il faut un certain courage pour se dévoiler ainsi, mais la démarche est utile et complète très bien celle de l’ami Jean. En tout cas, elle nous aide à répondre à la foutue question que l’on se pose tous (?) un jour : mais pourquoi choisit-on ce foutu métier !? Bien sûr, raconter sa vie prend du temps et au début on trouve le récit un peu long… mais cette lenteur a un sens : la psychiatrie - l’humain - demande de la patience. Et on se surprend à suivre la collègue - la personne - avec intérêt. Dans ses choix personnels, ses lieux de travail qui ressemblent à une arène de cirque romain : la cour des miracles de l’asile, l’aventure du milieu ouvert, la barbarie de la prison… Sans parler de la violence ordinaire : le poids de l’administration et la férocité de certains professionnels, médecins ou infirmiers…
Un regard lucide sur sa pratique...
Bref, Chantal fait face à la bête qui la menace. Mais elle n’a pas le choix - on le comprend au fil de la lecture -, elle affronte l’animal, les yeux dans les yeux. Surtout ne pas lui tourner le dos, car elle vous dévorerait ! Alors, on l’apprivoise du mieux qu’on peut, en donnant le meilleur de soi dans ce que l’on fait. Et surtout dans ce que l’on dit, car la relation à l’autre est avant tout parole et présence. A trop l’oublier, on met les gens dans des cases et on se perd soi-même dans les méandres des protocoles et de la rentabilité.
« La capacité d’être là », ne serait-ce pas ça, déjà, la définition du soin ? Chantal Nauleau bouscule donc l’ordre établi - une sacrée emmerdeuse -, elle refuse de hurler avec les loups (parfois maladroitement…) et cherche à créer du lien, à donner du sens à son travail… toutes ces notions inutiles qui ne rentrent pas dans les statistiques administratives. Vie professionnelle et vie privée s’entrechoquent, toutes deux ballotées au gré des modes, des contraintes financières, des fantasmes sécuritaires de la société. Car rien n’est figé, bien sûr, et encore moins à notre époque.
« La folie n’est donc plus ce qu’elle était » nous dit cette fille de chouans qui porte sur ses épaules une partie de la douleur familiale. Mais nous faisons tous la même chose, plus ou moins…Par contre, ce que nous ne faisons pas toujours c’est d’avoir un regard lucide sur notre pratique. Ce livre nous y aide en décrivant des parcours individuels noyés dans des enjeux collectifs, « les lignes de faille des infirmières faisant écho à la folie du groupe… ». Pour peu que l’on fasse l’effort de la réflexion, et celui de lire entre les lignes, l’exercice est fructueux. Je vous y invite avant que la dérive juridique et comptable - générale - ne nous engloutisse complètement.
- Nauleau C., La folie n’est plus ce qu’elle était, Mon Petit Editeur, 2012, 26 euros.
Didier MORISOT
Infirmier en Saône-et-Loire
didier.morisot@laposte.net
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