Les 7èmes Journées Francophones des Aides-Soignants ont choisi de se consacrer à la notion de bientraitance
qui, bien qu’elle ne soit pas toujours nommée comme telle, s’intègre au quotidien dans la pratique du soin et recouvre certains enjeux de prises en charge et d’organisation des soins.
Les 29 et 30 octobre se sont tenues les 7èmes Journées Francophones des Aides-Soignants, deux jours complets de formation qui, cette année, portaient sur le thème de la bientraitance . Le terme, apparu pour la première fois dans le dictionnaire en 2013 mais présent dès 2008 dans les recommandations de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services médico-sociaux (ANESM, 2007-2018), est au cœur des questions éthiques que se posent les soignants, tous professionnels confondus, dans le cadre de leur pratique quotidienne. Qu’entend-on par "bientraitance" ? Quels enjeux recouvre-t-elle et comment l’appliquer dans la prise en charge des patients, dans un contexte marqué par les manques de moyens personnels et matériels ? Focus sur la journée du mercredi, consacrée à la définition et sur des pistes de mise en pratique.
La bientraitance dans le milieu du soin
Qu’est-ce que la bientraitance ? Via l’ANESM, la Haute Autorité de Santé indique que la notion ne se réduit ni à l’absence de maltraitance, ni à la prévention de la maltraitance
. Une maltraitance, note le philosophe et chargé de mission à l’Espace de Réflexion Ethique des Pays de la Loire Aurélien Dutier, qui peut être aussi bien individuelle qu’institutionnelle car dépendante des organisations plus générales du système de santé. Être bientraitant
, c’est en premier lieu identifier les situations où on l’on peut être maltraitant
, souligne-t-il, et qui peuvent être dues à la mise en œuvre d’injonctions et de normes pensées dans le cadre de la gestion des risques (contention pour prévenir les risques de chute, par exemple). Et de noter que la bientraitance se différencie de la bienveillance, qui repose sur l’intention et constitue une qualité humaine
quand la bientraitance relève d’une démarche active pour faire le bien
. Or, rappelle le philosophe, la conception même du "bien" diffère d’une personne à l’autre, et il n’existe [donc] pas de bien universel
.
Il y a, dans la démarche de bientraitance, une dimension personnelle qui consiste à réfléchir sans cesse à ce que l’on fait
Être bientraitant supposerait en réalité une prise en charge globale du patient par l’ensemble des soignants intervenant dans son parcours de soin, qui prendrait en compte ses choix et ses désirs, que ce soit en termes de liberté (de se déplacer) ou d’intimité. Avec comme postulat la nécessité d’intégrer de la souplesse dans les protocoles de soin et d’organisation afin de concilier préservation de la santé et respect des droits fondamentaux de chacun. Il ne s’agit pas d’être dans une forme d’obéissance à des procédures et des normes abstraites. Si l’on réduit la conception de la bientraitance à une procédure d’évaluation, on perd une partie de l’esprit du soin et de l’accompagnement, qui nécessitent de la souplesse
, insiste Aurélien Dutier, pour qui la démarche de bientraitance demeure indissociable d’une véritable position réflexive et d’un questionnement constant des pratiques. Un point de vue que partage Rosette Poletti, ancienne infirmière et directrice d’école de soins en Suisse, qui note : Il y a, dans la démarche de bientraitance, une dimension personnelle qui consiste à réfléchir sans cesse à ce que l’on fait et pourquoi on le fait.
Quid de la pratique ?
En pratique, si les soignants emploient peu, voire pas, le terme de bientraitance, ils sont bien conscients des réalités qu’il recouvre. Ils sont soumis à l’obligation de veiller à la démarche de bientraitance, qui est issue des processus de certification. Mais ils nous parlent peu de cette notion
, rapporte Aurélien Dutier, qui accompagne les soignants sur les problématiques qu’ils rencontrent au quotidien. Concilier le respect de la liberté de se déplacer des patients et les mesures de limitation (enfermés à domicile, placés dans des établissements…) imposées au nom de leur sécurité serait ainsi la plus fréquente et celle qui poserait le plus de questionnements éthiques. Dans ces cas où la prise en charge et les besoins de santé se heurtent à des désirs contradictoires émis par les patients, le philosophe explique qu’il s’agit avant tout de prendre en compte toutes les dimensions de la personne : est-elle dans le refus du soin, du traitement ? Est-elle sous l’emprise de l’addiction ? Il existe une multitude de facteurs à intégrer avant de trancher
. Être bientraitant suppose, dans la mesure du possible, d’entrer en contact avec le soigné, d’apprendre à le connaître et de déterminer ce que représente pour lui la bientraitance
, abonde Rosette Poletti, qui insiste sur l’importance pour le soignant de posséder une véritable qualité d’écoute et de nouer une relation de collaboration
avec son patient, grâce à laquelle il peut ensuite devenir acteur de son parcours de soin. La bientraitance, c’est prendre conscience de l’extrême importance de la façon dont on est présent auprès du patient, de l’attention qu’on lui porte.
Expérience suisse sur la prise en charge des enfants atteints de cardiopathie
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Autre condition à la démarche bientraitante : le travail et les échanges en équipe. Si, pour l’ancienne infirmière, la dimension individuelle est fondamentale pour sa bonne mise en œuvre, elle demeure indissociable d’une action d’ensemble
et d’une intervision
entre les différents professionnels de santé. Psychologues et psychiatres peuvent aider à développer la meilleure approche possible pour le soigné et pour la cohérence de l’équipe
, donne-t-elle ainsi en exemple. Aurélien Dutier, lui, observe une vraie volonté chez les soignants de monter des groupes éthiques dans l’objectif d’interroger les pratiques, une approche qu’il juge bénéfique pour eux : Quand ces espaces de discussion existent, ils permettent de donner du sens à la mission soignante. Et ils ont également une vraie incidence en termes de qualité de vie au travail et de travail en équipe
. D’autant plus que, pour qu’une réflexion aboutisse à des changements de pratique, celle-ci doit être collective et reposer sur des processus d’échanges constructifs (argumentation, dépassement des préjugés ou des rapports hiérarchiques…). Attention toutefois à ne pas appliquer cette démarche collective pour chaque situation et chaque procédure, alerte le philosophe, mais bien pour des questions de fond qui interrogent l’ensemble des professionnels et donnent lieu à des conceptions différentes. Des questions aussi essentielles que celles du curseur entre liberté et sécurité ou de la contention sont des éléments qui doivent se discuter, qui ne peuvent pas se jouer à l’échelle individuelle, ni dans la simple application de procédures.
Audrey ParvaisJournaliste audrey.parvais@gpsante.fr
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