Un œil rouge douloureux, larmoyant avec une baisse d’acuité visuelle, un éventuel œdème des paupières, une tâche blanche dans le miroir… tels sont parmi les signes de l’abcès cornéen, également appelé kératite infectieuse. Une infection, dont l’incidence est de l’ordre de 5 000 cas par an et qui se manifeste par une tâche blanche sur la cornée, un infiltrat (paquet de cellules inflammatoires en lutte contre l’agent pathogène). Pour le reste, les symptômes peuvent varier selon la durée de l’infection, l’état du système immunitaire de l’hôte, la virulence de l’organisme, l’utilisation antérieure d’antibiotiques et de stéroïdes, et de l’état général de la cornée avant l’infection.
« Le diagnostic est évoqué grâce à un examen à la lampe à fente : en lumière blanche, tâche blanche visible ; en lumière bleue, défect épithélial visible avec une goutte de fluorescéine », indique le Dr Juliette Knoeri, ophtalmologue en Ile-de-France.
Les bactéries (Staphylocoques essentiellement) sont de loin les agents pathogènes les plus fréquents (90% des cas de kératites infectieuses). Mais des virus, celui de l’herpès notamment, des champignons, voire – très rarement – des amibes (acanthamoeba) peuvent également en être la cause.
Le port de lentilles de contact fortement en cause
Parmi les principaux facteurs de risque/circonstances de survenue, on retrouve d’abord le port/mésusage des lentilles (souples notamment) de contact, surtout chez les sujets jeunes. Suivent ensuite le traumatisme par un corps étranger (végétal, métallique, poussières) dû au non-port de lunettes de protection dans le travail et/ou le bricolage, la malposition palpébrale (entropion, trichiasis…), la pathologie de la surface oculaire (œil sec), la pathologie auto-immune, l’immunodépression locale ou systémique, la chirurgie oculaire, ou encore la complication d’une conjonctivite.
Un traitement anti-infectieux « d’emblée maximal »
« On observe de plus en plus de cas d’abcès de cornée dus, entre autres, à un nombre croissant de porteurs de lentilles de contact, notamment des myopes, et de plus en plus de jeunes », constate Inès Soualhi, infirmière depuis sept ans dans le service d’infectiologie de l’hôpital des Quinze-Vingts à Paris. Reste que, quelles qu’en soient les circonstances de survenue et l’agent causal, « il convient d’agir vite et fort, avec une surveillance rapprochée car l’évolution est rapide », observe la praticienne.
Si les patients sont autonomes, le traitement peut s’effectuer en ambulatoire pour 24-48 heures.
L’hospitalisation du patient (environ 20 % des cas) est fonction de critères de gravité. En l’occurrence s’il s’agit « d’un abcès central de grande taille qui crée beaucoup d’inflammation avec une menace visuelle à long terme » poursuit cette dernière (voir encadré). En leur absence et « Si les patients sont autonomes, le traitement peut s’effectuer en ambulatoire pour 24-48 heures. Mais si lors de leur retour pour contrôle il n’y a pas d’amélioration, une hospitalisation sera décidée », constate de son côté l’infirmière dans sa pratique. En sachant toutefois que « même les patients autonomes peuvent être hospitalisés, la douleur les empêchant parfois d’instiller correctement les collyres » nuance le Dr Knoeri.
Les critères de gravité
Critères de gravité locaux :
- règle 1, 2, 3 (inflammation de la chambre antérieure > 1+ ; diamètre > 2 mm ; à moins de 3 mm de l’axe optique)
- postchirurgie oculaire
- menace de perforation
- aggravation sous traitement
Critères de gravité généraux :
- enfant de moins de six ans
- monophtalme
- immunodépression (diabète, chimiothérapie)
- mauvaise compliance
Doute sur kératite (fongique, amibienne)
Source : Dr Juliette Knoeri, ophtalmologue en Ile-de-France
« Le traitement doit être d’emblée maximal et la bactérie toujours traitée en premier. En cas de kératite infectieuse grave, un traitement horaire par collyres antibiotiques renforcés est préconisé », préconise l’ophtalmologue francilienne. A savoir : Pipéracilline-Gentamycine-Vancomycine/PGV, PHMB, AMPHO B, VORICO, PAV, CGV, CAV… antibiotiques à large spectre avec des concentrations élevées et associations synergiques Cependant, « attention au risque d’épithéliotoxicité », met-elle en garde, les collyres antibiotiques étant irritant pour la cornée. Puis le traitement est adapté « après réévaluation clinique et/ou résultats microbiologiques à 48-72 heures ». Et d’ajouter : « L’évolution est vite favorable pour la bactérie (dix jours à trois semaines de traitement) mais plus longue s’il s’agit d’une infection due à une amibe ou à un champignon (trois à six mois) ».
La prise en charge de la douleur est bien sûr fondamentale car les abcès de cornée présentent « une symptomatologie douloureuse bruyante », en particulier en cas de kératite amibienne. Le protocole antalgique s’appuie ainsi sur des antalgiques (de palier 1 ou 2, rarement de palier 3), des larmes artificielles ainsi que sur la pose de pansements froids (compresses non stériles imbibées de sérum physiologique déposées sur les paupières quelques minutes après l’instillation des collyres).
Lorsqu’il y a suspicion de kératite infectieuse avec critères de gravité, outre l’hospitalisation du patient, un prélèvement de cornée* est effectué par le médecin urgentiste (avec l’aide-préleveur/IDE des urgences), puis envoyé au laboratoire afin d’identifier le germe responsable. « C’est un geste toujours éprouvant pour le patient », qui nécessite « une étroite surveillance (douleur, état hémodynamique, état général…) de la part de l’IDE des urgences car il y a un risque de décompensation notamment pour les patients gériatriques » observe Inès Soualhi.
*Protocole du prélèvement : Meopa, oxybucaïne, tetracaïne, sérum physiologique
Commande, récupération et instillation des collyres
Durant l’hospitalisation (quinze jours en moyenne), la prise en charge infirmière repose bien sûr sur la commande, la récupération à la pharmacie centrale (préparations magistrales) et l’instillation des collyres fortifiés prescrits (antibiotiques, antifongiques, anti-amibes). « Aux Quinze-Vingts, nous notons la date de péremption sur les flacons (quinze jours après ouverture). Nous prévenons le patient du début de l’instillation des collyres toutes les heures pendant 24-48 heures jour et nuit, sachant que s’il y a une amélioration après contrôle médical journalier, nous passerons à toutes les deux heures, trois heures… selon la prescription médicale », précise Inès Soualhi. Des collyres fortifiés qui doivent impérativement « être conservés entre + 4° et +8° dans des boîtes isothermes avec deux pains de glace (ne pas rompre la chaîne du froid) et changés par les aides-soignantes trois fois par jour. Sachant qu’en cas d’atteinte bilatérale, leur conservation doit se faire dans deux boîtes distinctes (OD/OG) ». Les IDE sont aussi en charge de la commande des traitements personnels s’il y a lieu (patients diabétiques, hypertendus…), les patients arrivant la plupart du temps aux urgences sans ces derniers.
En vue de la perturbation du cycle du sommeil et du pronostic visuel, une prise en charge psychologique du patient est proposée
Surveillance, aide, accompagnement…
Les IDE effectuent également une surveillance de l’état général (diabète, HTA, pansements d’escarres, de plaies…) et de la prise des médicaments en parallèle de l'abcès. L’état psychologique du patient est en outre surveillé de près : « En vue de la perturbation du cycle du sommeil et du pronostic visuel, une prise en charge psychologique au sein de l’hôpital lui est proposée », poursuit l’infirmière. Les IDE procèdent encore au bilan biologique demandé, aident si besoin en binôme avec les aides-soignants le patient dans les gestes quotidiens (douche, toilette, repas…) afin d’améliorer son séjour hospitalier. « Nous l’accompagnons lors de la visite médicale quotidienne en salle d’examen (examen lampe à fente, prise de photos, OCT, éventuellement second prélèvement de cornée) », détaille-t-elle.
Education du patient
L’éducation du patient est essentielle lors de sa prise en charge hospitalière. Elle porte d’une part sur le lavage des mains et les consignes données pour les visiteurs, la pathologie étant infectieuse et contagieuse. « Les visiteurs font parfois n’importe quoi : ils se prennent dans les bras, s’embrassent, utilisent le matériel du patient, s’assoient sur son lit, observe Inès Soualhi. C’est pourquoi dès l’entrée du patient dans le service, nous lui distribuons un petit fascicule explicatif sur les précautions à prendre, mettons du gel hydroalcoolique à disposition des visiteurs, apposons sur la porte de la chambre (simple car isolement ) une pancarte sur les précautions complémentaires type contact et procédons à un pansement sur l’œil du patient pour limiter la contagion lorsqu’il sort de sa chambre ». D’autre part, l’éducation du patient aborde les bonnes pratiques relatives à l’instillation des collyres avec les précautions adéquates à prendre, l’objectif étant qu’il soit le plus autonome lors de sa sortie (soit comment mettre le collyre devant un miroir, baisser la paupière inférieure et mettre une goutte ; ne pas toucher le flacon avec l’œil ; toujours se laver les mains avant ; ranger les collyres au propre et au sec ; ne pas les mettre dans le bac à légumes du réfrigérateur…).
Sécuriser le retour à domicile
Autant de conseils précieux pour le patient avant son retour à domicile ou son transfert en service de soins de suite et de réadaptation (SSR). « Si le patient rentre directement chez lui avec une ordonnance de collyres fortifiés, nous l’orientons vers la pharmacie des Quinze-Vingts, car ces derniers ne sont pas délivrés en officines de ville », remarque Inès Soualhi. Et d’ajouter enfin : « Un rendez-vous de contrôle à J7-J10 lui sera également donné à la demande du médecin tout comme des recommandations post-hospitalisation (douche, maquillage, port de lunettes, lentilles) ainsi qu’un livret sur l’instillation des collyres et des pommades ophtalmiques. »
Sources : Infos et verbatim recueillis à l’occasion de la matinale de la SIFO dans le cadre du 130e congrès international de la Société française d’ophtalmologie qui s’est tenu à Paris du 4 au 6 mai 2024.
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