Budget
Ce matin, les infirmières du Service de santé de la jeunesse rencontrent Charles Beer, pour lui demander cinq postes supplémentaires.
Elles n'en peuvent plus les infirmières du Service de santé de la jeunesse (SSJ). Ras-le-bol de devoir bricoler avec des bouts de ficelle budgétaires, de ne plus pouvoir remplir leur cahier des charges, de ne plus être suffisamment à l'écoute des enfants. C'est ce qu'elles ne manqueront pas de répéter ce matin au conseiller d'Etat Charles Beer, chef du Département de l'instruction publique. En espérant que celui-ci lâchera du lest et octroiera immédiatement les cinq postes supplémentaires réclamés. «Même s'il en faudrait entre sept et onze pour accomplir notre travail dans des conditions convenables», précisent les infirmières. Elles entendent ainsi se montrer «raisonnables» face à la «déraison» de la majorité parlementaire genevoise qui refuse systématiquement de délier les cordons de la bourse. Quand bien même les tâches qu'elles doivent accomplir seraient en constante augmentation. Actuellement, le Service de santé de la jeunesse possède 38,6postes d'infirmières. Leur mission: aller dans les classes des écoles du primaire, du Cycle et du post-obligatoire, ainsi que dans les institutions de la petite enfance pour y faire de la prévention et la promotion de la santé; recevoir des élèves individuellement; participer à des réseaux de quartier; nouer des relations de confiance avec les familles... Au cours des dernières années, il y a certes eu des augmentations de postes, mais celles-ci, assure Françoise Weber, secrétaire syndicale au Syndicat des services publics, «ne sont en fait que des stabilisations d'auxiliaires, imposées par la loi. Or le budget pour les auxiliaires a fondu.»
Victimes de négligences
Considérant l'augmentation des effectifs d'élèves dans les écoles, le SSJ avance des chiffres clairs: en 1990, on recensait une infirmière pour 1740élèves. En 2002, on est passé à une employée pour 2060élèves. Et cette inflation se double d'une détérioration du climat social, qui a des répercutions sur l'école, donc sur le travail des infirmières.
«Beaucoup de bébés ont des problèmes de sommeil et d'alimentation. Alors que chez les 3-4ans, beaucoup de bouches sont cariées», relève une infirmière qui s'occupe du secteur de la petite enfance. «On observe que de plus en plus d'enfants sont victimes de négligences, ils doivent s'assumer seuls parce que leurs parents ont eux-mêmes leurs propres difficultés», ajoute une collègue notamment active dans le primaire. «En plus des consultations sur rendez-vous, je reçois entre six et douze enfants par jour pour des problèmes de santé», corrobore une infirmière en évoquant la situation au Cycle d'orientation.
Prévention prétéritée
Autre tendance en évolution: le premier avis médical. Soit parce que nombreux enfants sont sans permis de séjour, soit parce que de plus en plus de parents ne peuvent payer les primes d'assurance-maladie, les infirmières sont consultées en lieu et place des pédiatres. Et si l'on sait que la maltraitance dépistée est elle aussi en constante évolution, on aura une vision à peu près complète des cas, toujours plus nombreux, auxquels les infirmières doivent faire face.
Corollaire de tout ceci, la prévention en pâtit. Les visites systématiques effectuées en première primaire, dans les crèches, en septième du Cycle, ainsi que l'accompagnement aux journées sportives ou dans les camps sont supprimés depuis 2001. Pour la rentrée 2004, d'autres mesures complètent cette détérioration des prestations: visite en troisième primaire supprimée, diminution du temps des consultations individuelles, réduction des activités d'éducation à la santé. Commentaire des infirmières: «Notre travail n'a plus de sens.»
Le Directeur en soutien
Catastrophisme? Pas vraiment à écouter Paul Bouvier, directeur du Service de santé de la jeunesse. Il admet sans hésitation que l'augmentation du nombre d'enfants dans les écoles et, encore plus, dans les crèches, combinée avec l'évolution des besoins de santé provoquent une saturation du SSJ. «Nous nous trouvons véritablement dans une situation de surcharge avec du personnel qui donne le maximum», insiste-t-il. Seul bémol, il ne partage pas forcément l'inquiétude des infirmières qui craignent une perte de visibilité dans les écoles du fait de la suppression de certaines visites systématiques. «Il faudra évaluer l'effet de ces mesures dans le temps. Mais il importe de concentrer nos efforts sur les priorités, là où nous sommes essentiels, comme lorsqu'il s'agit de faire face à des cas de maltraitance.»
Quoi qu'il en soit, ce matin Paul Bouvier appuiera la demande des cinq nouveaux postes formulée par les infirmières. Selon lui, certains quartiers difficiles nécessitent d'urgence des prises en charge plus importantes.
Les effets de la spirale démagogique
Commentaire
Le sens des responsabilités; donner un signal clair. En juin, lorsque, après moult tergiversations, l'Entente (radicaux, démocrates-chrétiens, libéraux) et l'UDC ont voté le budget 2004 de l'Etat, elles ont entonné sur tous les tons ces deux refrains. Vu le déficit public, il fallait arrêter l'hémorragie. Et par la même occasion, montrer à ceux qui croient qu'une collectivité publique peut dépenser à tour de bras que ce n'est plus le cas. Depuis une semaine, on a pu constater à deux reprises que ces envolées masquaient, assez mal, des velléités de démantèlement du service public qui touchent les plus démunis. Il y a d'abord eu le chef du Département de l'instruction publique, suivi par les syndicats des trois ordres d'enseignement qui ont tiré la sonnette d'alarme. A ce rythme, disent-ils, la mission éducative et intégratrice de l'école ne sera plus qu'une vue de l'esprit. Hier, c'était au tour des infirmières du Service de santé de la jeunesse de crier leur colère. A raison. Car les cinq postes qu'elles réclament –coût: 500000francs par année environ– étaient bel et bien présents dans la mouture budgétaire défendue par le Conseil d'Etat, lui aussi à majorité de droite. Mais les députés de l'Entente et de l'UDC, pris dans leur spirale démagogique, n'ont rien voulu entendre. Ils n'ont pas voulu voir la détresse sociale qui croît. Ils n'ont pas voulu comprendre qu'il vaut mieux une action préventive efficace auprès des jeunes, plutôt que de se plaindre ensuite, comme ils le font déjà, de l'augmentation de la violence, de la drogue, des coûts de la santé. Ensuite, on les entend réclamer des mesures répressives. Et on les voit engager, pour surveiller les beaux quartiers, des milices. Privées évidemment.
Marco Gregori
Article parue sur www.lecourrier.ch
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