Le festival off d’Avignon est l’un des plus grands festivals de spectacle vivant au monde. La richesse et la diversité de ses propositions artistiques en font l’un des rendez-vous incontournables de l’été. L’occasion d’aborder la santé côté culture pour Infirmiers.com pendant la période estivale 2021 grâce à cœur ouvert, une pièce écrite par un médecin anesthésiste-réanimateur.
La création au théâtre Essaïon - Avignon de Cœur ouvert de Claude Cohen est l’occasion de retracer l’histoire de la transplantation cardiaque et les questions éthiques qui l’accompagnent depuis ses prémices. 21 décembre 1967, Hôpital du Cap (Afrique du Sud). Le Pr. Christiaan Barnard, chirurgien cardiaque renommé, est affairé dans son bureau dont le sol est entièrement encombré de dossiers médicaux et revues scientifiques. Voici trois semaines, le 3 décembre, il a réalisé la première greffe cardiaque. Une innovation chirurgicale qui repousse les limites de la mort. Son patient, Louis Washkansky, n’a survécu que 18 jours. Depuis, une seule question l’obsède : pourra-t-il disposer d’ici peu d’un nouveau cœur pour effectuer une nouvelle transplantation ?
Retour sur une avancée chirurgicale majeure
Claude Cohen, médecin anesthésiste-réanimateur à Toulouse, auteur de Cœur ouvert1, resitue pour nous cet évènement dans le contexte de l’époque : "la première greffe cardiaque fut accueillie dans le monde médical et dans le monde entier en général comme l’un des événements majeurs du XXe siècle. Pour la première fois au monde, un être humain pouvait vivre grâce au cœur d’une autre personne. Cela suscita des louanges extraordinaires et ouvrait la voie à l’impensable : l’homme pouvait, grâce aux progrès scientifiques, repousser les limites de la mort. Le Pr. Barnard ne s’arrêta pas à l’échec de sa première transplantation en 1967 et réalisera le 2 janvier 1968 une nouvelle transplantation cardiaque sur le dentiste Philip Blaiberg, grâce au cœur d’une victime anonyme d’un accident de la route. Il survivra 19 mois, deux autres transplantés vivront 12 et 23 mois.
À l’époque, certains considérèrent Barnard comme un opportuniste ayant injustement volé la gloire et les honneurs à Norman Shumway, chirurgien cardiaque à Stanford qui était très en avance techniquement sur Barnard. Ce dernier, qui fut son stagiaire, profita des travaux de son maître mais aussi de la législation sud-africaine plus souple sur la définition de la mort cérébrale que celle des Etats-Unis. Alors, la législation américaine comme celle de nombreux pays européens définissait la mort par l’arrêt du cœur sans reconnaitre la mort cérébrale. La législation de la mort cérébrale identifiée au syndrome de coma dépassé ne sera donnée qu’en 1968 par une commission de la Harvard Medical School. Norman Shumway réalisera sa première greffe cardiaque le 6 janvier 1968 ; en Europe, le français Christian Cabrol le 27 avril 1968.
Un an après la première greffe cardiaque réalisée par le Pr. Barnard, 42 équipes avaient réalisé dans le monde une transplantation cardiaque. L’euphorie s’estompa très vite : peu de patients survivaient à l’intervention. En 1971, 146 des 170 transplantés étaient décédés. La plus grande avancée chirurgicale du siècle devenait un fiasco.
Si toutes les équipes médicales maîtrisaient parfaitement la technique chirurgicale, il n’en était pas de même du plan médical post-transplantation, c’est-à-dire le rejet. Il fallut attendre les années 80 et la découverte de la cyclosporine pour que les greffes cardiaques connaissent un nouvel essor. Le taux de réussite, mesuré 5 ans après l’intervention, est aujourd’hui de plus de 70 %. De nos jours, on compte des dizaines de milliers de transplantations cardiaques à travers le monde."
En direct de la première transplantation
Dans Cœur ouvert, Claude Cohen donne la parole au Pr. Barnard pour nous transmettre le détail des gestes accomplis sur le premier greffé cardiaque : "Clamp aortique ! Ciseaux ! Je coupe l’aorte tout près du cœur… Je dois en laisser plus qu’il n’en faut, il n’y aura pas moyen de remettre ce qu’il manque. Je coupe l’artère pulmonaire... Il me reste les 2 veines caves dans l’oreillette droite et les 4 veines pulmonaires dans la gauche… J’incise la partie haute du cœur en travers des 2 oreillettes, assez bas pour en garder la plus grande partie. […] Veine cave inférieure maintenant. Je dois couper le plus près possible du ventricule. […] Je sépare les ventricules des oreillettes. […] Un être humain, sans cœur, maintenu en vie grâce à des appareils artificiels à quelques mètres de lui. Personne n’a vu cela avant moi ! […] Je prends entre mes mains le petit cœur rose ferme et glacé de Denise Darvall. Je le positionne dans la cavité thoracique. […] Porte aiguille ! Dépêchez-vous ! Le temps est compté. […] Je libère le réseau veineux... Le cœur doit repartir ! […] Tension artérielle ? 90. Pouls ? 65. Température 35,4. Monter la tension. (On entend des battements plus rapides) […] Coupez la pompe cardiaque ! Pression artérielle ? Elle remonte 95, 100, 110. […] Le pouls ? 80, 90. […] (Les battements sont plus forts) […] C’est gagné !"
Ethique médicale & Spiritualité
Cœur ouvert va au-delà de l’exposition de données médico-scientifiques sur la transplantation cardiaque. Alors que le Pr. Barnard est en attente de disposer d’un cœur pour sa deuxième transplantation et que diverses contingences logistiques le préoccupent, Claude Cohen l’oppose à son père, le pasteur Adam Barnard, qui lui rend une visite impromptue.
Les échanges entre l’homme de science et le pasteur évangéliste mettent en face-à-face deux approches de la vie et de la spiritualité bien différentes. Elles ont pour origine le décès du jeune Abraham, 4 ans, suite à une déformation cardiaque congénitale. Tu es resté insensible aux larmes de ta femme qui te suppliait d’amener Abraham à l’hôpital
! reproche le fils. Ton frère est monté directement au paradis. Il est devenu un ange parmi les anges
répond le père. Ta foi n’a pas guéri Abraham, elle l’a tué !
rétorque le fils. Ce triste évènement serait à l’origine de la vocation médicale de Christiaan Bernard (et de son frère Marius), son éloignement de la religion et de la mésentente avec son père.
Tout en se confrontant pour tenter de régler le désaccord qui les oppose depuis des décennies autour de la science et de la spiritualité, tous deux nous invitent à une réflexion éthique sur la transplantation d’organes d’un être en mort cérébrale pour sauver d’autres êtres souffrants, la nécessité de transgresser des règles pour permettre les avancées médicales, le respect dû au corps post-mortem… sans oublier qu’avec les sommes astronomiques dépensées pour tenter de sauver un seul homme, on pourrait en sauver des milliers d’autres de la misère et de la faim. En somme, qui du médecin ou de l’homme d’Eglise soigne le mieux l’humanité ?
Pour le père, Il y a dans le cœur une part de sacré que tu ne peux pas détruire.
Pour le fils, Il n’y a rien de sacré, le cœur est juste un muscle avec des tuyaux
. Le metteur en scène de Cœur ouvert, Yvon Martin, commente leurs points de vue : Deux visions de l’humanité : l’une technique, la froide et mécanique médecine, les faits, ce qui est observable, reproductible, la science des bistouris et de la chair, des nerfs et des sutures et l’autre, inobservable, celle qui n’est pas reproductible, la foi dans une réalité supérieure, la vision d’une réalité par delà la chair et les nerfs, celle où l’on tente d’aimer l’humanité en aimant et en chérissant un dieu sans preuve de son existence.
Donner de soi pour redonner la vie à d’autres êtres
La grande aventure de la transplantation cardiaque aurait été impossible sans l’amour de Denise Darvall, décédée à 20 ans. Avant de mourir, Claude Cohen lui prête la rédaction de ce magnifique plaidoyer anonyme en faveur du don d’organes : ne me parlez pas de mon lit de mort, dites plutôt mon lit de vie. Laissez mon corps pour qu’il serve à donner à d’autres une vie plus riche. Qu’on donne mes yeux à celui qui n’a jamais vu le lever du soleil, le visage d’un bébé, ou l’amour dans le regard d’une femme, ou d’un homme. Qu’on donne mon cœur, à celui dont le cœur n’a été qu’une cause permanente de souffrance… Qu’on donne mon sang à l’adolescent qu’on a sorti des débris de sa voiture afin qu’il vive assez longtemps pour voir jouer ses petits- enfants… Qu’on donne mes reins à celui qui doit courir de semaine en semaine au rein artificiel. Qu’on prenne mes os, mes muscles, tous les nerfs et les tissus de mon corps et qu’on trouve le moyen, grâce à eux, de faire marcher un enfant paralysé. Qu’on brûle ce qui restera de moi et qu’on répande mes cendres à tous vents, pour aider les fleurs à pousser. S’il faut mettre quelque chose en terre, que ce soit mes fautes, mes faiblesses et tous mes préjugés à l’encontre de mes semblables. Si vous faites tout ce que je vous ai demandé, je vivrai éternellement
.
Cœur ouvert2 nous offre un magnifique moment de théâtre merveilleusement interprété par Bruno Paviot et Marc Brunet. Leur jeu et leur ton sont réalistes, ils sont tout entiers au service de la cause que chacun défend. Il nous propose une belle approche de l’éthique médicale, une occasion de nous interroger sur l’opportunité du don du sang ou du don d’organes envers les êtres souffrants. A voir certainement, à méditer absolument.
Isabelle Levy, conférencière - consultante spécialisée en cultures et croyances face à la santé, elle est l’auteur de nombreux ouvrages autour de cette thématique. @LEVYIsabelle2
Notes
- Adapté par Yvon Martin.
- Théâtre Essaïon - Avignon, 3 rue de la Carreterie, jusqu’au 31 juillet 2021 à 20 h. Théâtre Essaïon - Paris, 6 rue Pierre au Lard (4e), à partir du 8 septembre 2021, du mercredi au samedi à 21h15.
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