La deuxième vague de l'épidémie de Covid-19 est là, partout, en métropole comme dans les territoires ultra-marins. Et les malades déferlent à nouveau dans des services hospitaliers, déjà durement éprouvés. La situation semble désormais moins inquiétante en Guadeloupe, où le coronavirus perd timidement du terrain. Mais au CHU comme ailleurs, les soignants du service des réanimation sont épuisés ; l'accalmie apparente leur laisse le temps de repenser à ceux qui ont souffert : à Lydie, à Georges, à Maelys, à Charles, à Nathalie et à tous les autres. Repenser aux efforts déployés, à la violence, à l'angoisse, à la peine, aux pertes douloureuses... en somme, au prix à payer. Ils partagent leur émotion avec notre rédaction, nous les en remercions.
Celle qui en a déjà payé le prix, c’est Elisa, cette victime du Covid. Celle dont on tente de (se) persuader que le décès n’aurait pu être évité car elle avait des comorbidités. On aurait tout aussi bien pu dire qu’elle avait une famille, un travail et qu’elle venait d’accoucher le jour où elle est entrée en réanimation. Mais sans doute était-ce trop anxiogène alors on n’a retenu que ses comorbidités.
Celui qui va en payer le prix, c’est Georges, ce patient épargné par le Covid, mais qui se voit maigrir à vue d’œil. Celui qui a vu ses rendez-vous décalés à plusieurs reprises et qui n’ose plus se rendre à l’hôpital par crainte d’y contracter le virus. Il ne reste qu’à espérer que lorsque la crise sera terminée, pour lui, il ne soit pas trop tard...
Celle qui va en payer le prix, c’est Lydie, cette infirmière rappelée sur ses premiers congés depuis plusieurs mois et qui est venue travailler chaque jour en pleurs et la boule au ventre.
Celui qui va en payer le prix, c’est Olivier, cet infirmier qui avait quitté le service pour protéger sa santé et sa vie de famille et qui est revenu dès le début de la crise prêter main forte à ses collègues.
Celle qui va en payer le prix, c’est Nathalie, cette infirmière tombée malade du Covid, stigmatisée et culpabilisée pour un supposé manquement aux gestes barrières et au sacro-saint devoir d’exemplarité.
Celui qui va en payer le prix, c’est Meddy, ce médecin, pilier de l’hôpital, qui a jeté toutes ses forces dans la bataille et qui se retrouve vidé, en quête de sens, au point de ne savoir s’il aura le courage de continuer.
Celle qui va en payer le prix, c’est Elodie, cette kiné qui passe ses journées à mobiliser des patients qui pèsent trois fois son poids et pour qui l’obésité est une chose concrète, pas une vague comorbidité.
Celui qui va en payer le prix c’est Nicolas, ce logisticien qui constamment récupère et dispatche le matériel nécessaire à la prise en charge des patients jusqu’à l’épuisement physique.
Celle qui va en payer le prix, c’est Magali, cette jeune médecin brillante qui a été sollicitée plus que de raison au point que son corps dise stop et qu’elle se retrouve arrêtée de longues semaines.
Celui qui va en payer le prix, c’est Alain, cet aide-soignant qu’on a tiré de sa retraite pour la deuxième fois de l’année et qui se demande quand elle pourra enfin commencer.
Celle qui va en payer le prix, c’est Maelys, cette infirmière référente qui a passé plusieurs semaines à former des dizaines d’infirmières aux techniques de la réanimation mettant de côté pour un long moment sa vie personnelle.
Celui qui va en payer le prix, c’est Maxime, cet aide-soignant lassé d’avoir à convaincre ses proches de la réalité de cette seconde vague. Autant les applaudissements du mois de mars l’ont porté, autant le scepticisme actuel lui donne l’épuisante sensation de ramer à contre-courant.
Celle qui va en payer le prix, c’est Vanessa, cette infirmière de l’HAD qui, comme tant d’autres, s’est retrouvée à prendre en charge des patients trop graves pour elle sans avoir eu le temps d’un encadrement digne de ce nom.
Celui qui en a payé le prix, c’est Charles, cet interne qui a fini sa nuit plié en deux de douleurs et perfusé, la faute à un calcul bloqué du fait de n’avoir pu se poser pour boire suffisamment pendant sa garde de 24h.
Celle qui va en payer le prix, c’est Mathilde, cette agent de service hospitalier qui a dû expliquer quotidiennement aux familles en détresse à l’entrée du service qu’un seul visiteur était autorisé par jour et par patient, laissant les autres à la porte avec leurs angoisses.
Ceux qui vont en payer le prix ce sont les internes, éternelle variable d’ajustement des hôpitaux, trimbalés de gauche et de droite au détriment de leur formation.
Ceux qui vont en payer le prix ce sont tous les étudiants (infirmiers, aides-soignants, infirmiers anesthésistes) qui pour la deuxième fois de l’année sont venus nous prêter main forte plutôt que d’être sur leur terrain de stage à apprendre leur métier.
Enfin, celui qui va en payer le prix, c’est ce système de santé. Celui qui a voulu nous faire croire qu’à l’hôpital nul n’est irremplaçable et que tout le monde est interchangeable. Celui qui oblige les hôpitaux à privilégier les contrats précaires des jeunes soignants plutôt que de récompenser l’expérience et les compétences, bien trop coûteuses à ses yeux.
Le plus gros de la vague est passé et pourtant nous ne sommes pas soulagés. Elle laissera des traces indélébiles sur beaucoup d’entre nous et remettra en cause plus d’une vocation si rien n’est fait rapidement. Aujourd’hui, la vague déferle en métropole. A tous les soignants, nous souhaitons énormément de courage. Cela sera long, très long, d’autant que vous vous sentirez plus isolés que jamais. Tenez bon, il y aura forcément une lumière au bout du tunnel ... mais à quel prix...
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