Etre acteur dans une fonction transversale : Innover dans nos modes d'interaction, le levier du management transversal.
Si les technologies de santé évoluent, les attentes se font aussi de plus en plus exigeantes. A cet égard, on peut constater un grand décalage entre l'efficacité technicienne à l'hôpital et les lacunes concernant le confort et le traitement du patient, souvent victime d'un manque de coordination et de coopération des équipes. Ce décalage entre l'évolution des exigences des patients et des technologies et la rigidité des relations dans le travail nécessite en priorité des changements dans les modes d'interactions. Cela implique en amont l'abandon d'un certain nombre de prémisses dans le management hospitalier et une réactualisation de nos schémas traditionnels de pensée dont découlent des comportements souvent très contre-productifs parce qu'égocentrés.
A l'hôpital comme dans toute organisation, beaucoup de dysfonctionnements résultent de rapports humains inappropriés qui génèrent des blocages. Dans le monde du travail, à l'hôpital comme ailleurs, l'autorité doit changer de visage : ne plus se réduire au fait de commander ou de dicter mais s'enrichir de nouvelles dimensions. Ces nouvelles dimensions de l'autorité requièrent en premier lieu une nouvelle perception de ceux que l'on encadre, une manière différente de composer avec eux : cela passe par l'aptitude à valoriser, à reconnaître, à mobiliser les ressources humaines sur des objectifs définis dans les règles de l'art, véritable enjeu du management de projet. La négociation d'objectif est sans aucun doute la partie la plus délicate.
Tout système humain ou sociales régi par ces deux tendances fondamentales, l'une vers l'évolution, l'autre vers l'homéostasie ou "maintien du système en l'état". Ce rapport dialectique entre l'homéostasie et l'évolution explique toute la complexité du management dans les systèmes humains. La plupart des changements accomplis dans les organisations résultent essentiellement de mesures correctrices d'adaptation au fur et à mesure des situations à gérer et des problèmes à résoudre assurant à ce titre la permanence du système. L'accès au vrai changement ou évolution dans un système humain nécessite que les prémisses qui régissent les interactions en son sein subissent des transformations. Mais cette modification ne peut s'opérer que si elle découle en amont d'un nouveau regard sur la réalité. Les choses ne changent que si l'on change de point de vue pour les considérer.
Décréter un changement déclenche généralement un peu plus d'immobilisme dans les organisations ou institutions ; ressenti alors comme un diktat, une remise en cause, il est vécu comme une agression et les systèmes concernés réagissent alors en opposant toute l'énergie de leurs résistances. A cet égard, on peut constater, notamment en France, que les institutions, qui ont le plus fait l'objet et les frais de tentatives de réforme, s'avèrent précisément celles qui ont le plus de mal à évoluer.
Le respect et la valorisation des personnes et des équipes dynamisent leurs ressources d'évolution. Paradoxalement, c'est au moment où l'on s'accepte et où l'on se sent accepté que l'on est préparé à changer, c'est à dire à utiliser ses ressources et ses compétences pour évoluer. Si l'on pouvait chiffrer les pertes dues au non respect et à la non-prise en compte de l'écologie des systèmes humains, on prendrait alors conscience du coût de ces attitudes dommageables dans la conduite du changement.
Conduire le changement nécessite de s'appuyer sur les ressources du système concerné (personne, service, hôpital, organisation...) : c'est la condition de base pour obtenir sa coopération et bénéficier de ses formidables possibilités d'évolution. Mettre l'accent sur ses défauts et les dysfonctionnements d'un service, d'une institution ou d'une personne dans le but de les éliminer pour faire progresser, a toutes les chances d'activer des résistances au changement et de renforcer le système dans ses propres dysfonctionnements. Provoquer un changement dans un système ne consiste pas à tenter d'éliminer ses dysfonctionnements (cela s'avère toujours vain) mais plutôt à en déceler les fonctions utiles pour ensuite les exploiter comme un moteur du changement.
Toute conduite de changement ne peut se fonder sur la dévalorisation, la disqualification et le mépris car c'est précisément cela qui bloque le processus naturel d'évolution qui caractérise tout système humain et social.
La grande majorité des conflits et blocages entre services opérationnels et fonctionnels, services administratifs et services soignants résultent de cette fameuse "distinction - séparation", à l'origine des cloisonnements, des rapports de force qui bloquent et polluent les relations de travail. En clarifiant les critères à satisfaire dans chacune des fonctions, en cherchant à mettre en commun ce qui rassemble, une première étape décisive de la communication est franchie : celle de la mobilisation sur un projet commun qui favorisera l'autre étape, celle de la conjugaison des différences et des compétences et du désir de s'en enrichir.
Il ne suffit pas d'expliquer ni d'argumenter pour faire changer, ce qui est primordial c'est d'éveiller chez les autres leurs désir de faire autrement. "Le tour de main" réside dans cette fameuse construction du désir de changer pour obtenir la coopération et la solidarité.
Hormis leurs compétences techniques et leurs compétences de gestionnaire, l'efficacité des responsables, notamment les chefs de projet dans le management transversal, dépend de leur capacité stratégique à composer avec autrui, à transformer les désaccords et les résistances en ressources afin de mobiliser les acteurs sur un projet générateur de changements bénéfiques. Cela dépend en priorité de leur qualité d'écoute et d'observation pour détecter chez leurs collaborateurs les "leviers" sur lesquels agir pour les motiver.
Mais les modules interactionnels qui nous ont tous façonnés conduisent davantage à administrer la dépendance et la soumission qu'à organiser et orchestrer la coopération ou favoriser l'enrichissement des différences. Les rapports humains fondés sur l'interdépendance et la solidarité, la coopération et l'entraide sont plus productifs et satisfaisants que les rapports établis sur la subordination, la domination et la soumission qui génèrent l'irresponsabilité de chacun.
Ce sont moins les structures qui ont besoin d'être modernisées et réactualisées que les modes d'interactions qui les construisent et les alimentent. Bien que les organisations se dotent depuis plusieurs années de structures transversales de coordination, les anciens comportements fondés sur la vision traditionnelle d'une organisation hiérarchique et bureaucratique, cloisonnée en chapelles, demeurent, même si chacun admet leur contre-performance. Le fait de mettre l'accent sur les distinctions de statuts, de fonctions et de formation favorise et perpétue les cloisonnements intellectuels et techniques. Les distinctions maintiennent des liens de subordination générant davantage le mépris ou l'obéissance passive que le respect. Les relations fondées sur des dyades complémentaires, fortement hiérarchisées telles chef et subordonné, concepteur et exécutant, dirigeant et dirigé, enseignant et élève, médecin et soignant, thérapeute et malade, génèrent des résistances ou sabotages plus ou moins manifestes car elles mutilent la créativité, l'implication et la responsabilité de chacun. L'enjeu de ce type de rapport devient alors moins la coopération pour l'atteinte d'un objectif commun que la lutte pour son propre pouvoir ou la reconnaissance de son propre territoire.
En fait, ce qui devrait caractériser et distinguer les membres d'un service, ce sont les objectifs que chacun doit atteindre pour contribuer à la finalité de l'objectif commun et collectif. Dans cet esprit, le management ne dilue plus l'identité de chacun mais paradoxalement consiste à la développer.
Françoise KOURILSKY,
Communication Management Conduite du changement. Coaching et formation, in : conférence du 10 décembre 2001. Éducation du Patient et Enjeux de Santé, Vol. 21, n°1, 2002, p. 35 - 36
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