Au lendemain du 17 mars, date d’anniversaire du premier confinement, les conséquences de la pandémie demeurent prégnantes. « La crise n’est pas encore terminée pour tout le monde », a déploré Laëtitia Atlani-Duault, la présidente de l’institut Covid-19 Ad Memoriam lors d’un point presse organisé conjointement avec la Fédération hospitalière de France (FHF). Ses effets continuent de creuser les inégalités et pèsent toujours sur le système de santé.
Une dette de santé publique qui risque de devenir une bombe à retardement.
La preuve en est, si 4 ans après le début de la crise, « plusieurs signes positifs » marquent une reprise de l’activité hospitalière en 2023, « il faut être plus vigilant que jamais », a prévenu Arnaud Robinet, le président de la Fédération. Car selon son état des lieux du système de santé, construit à partir des données nationales du public et du privé, l’équivalent de 3,5 millions de séjours d’hospitalisation n’ont pas eu lieu entre 2019 et 2023 en médecine, actes peu invasifs et chirurgie. Soit une « dette de santé publique qui risque de devenir une bombe à retardement. »
Des retards de prise en charge qui s'accumulent
La reprise de l’activité cache en effet des disparités préoccupantes « qui doivent interroger les pouvoirs publics. » Dans le détail, les chirurgies lourdes, les activités de greffe, et celles de médecine les plus complexes « sont bien en-deçà du niveau attendu ». Prises en charge digestives (-11%), cardiologie (-13%), système nerveux (-11%) et rhumatologie (-12%) accusent ainsi tous une hausse du sous-recours.
Le non-recours particulièrement en hausse chez les plus de 45 ans
En médecine, « la rupture se fait sur toutes les spécialités, à l’exception de la pneumologie parce que l’atteinte Covid est essentiellement pulmonaire. Les retards s’accumulent dans le temps », a complété le professeur Pierre Michel, le président de la Commission médicale d’établissement du CHU de Rouen. Autre sujet d’inquiétude : ce non-recours se concentre à 99% sur les plus de 45 ans. La FHF constate ainsi une baisse de 8,4% des séjours en médecine chez cette population, soit 428 000 séjours des 433 000 (93 000 en ambulatoire et 340 000 en hospitalisation complète) qui n’ont pas eu lieu en 2023. Autre exemple, celui du diabète. Le suivi a repris son cours chez les plus jeunes, mais pas chez les plus âgés. « Or les complications arrivent rapidement quand ces patients ne sont pas surveillés », a poursuivi Pierre Michel. Les années 2021 et 2022 ont ainsi été marquées par un sur-recours dû aux complications du diabète.
Retard de détection et perte de chance pour certains cancers
Et si, côté actes peu invasifs, un rattrapage est observé sur les endoscopies thérapeutiques, les endoscopies diagnostiques, elles, ne parviennent pas à combler leur retard. Au total, ce sont 260 000 de ces actes qui n’ont pas pu être réalisés depuis 2020. La dette de sous-recours sur cette activité du soin équivaut ainsi à 320 000 séjours en 2023. Or ce sous-recours implique « des retards pris sur la détection de certains cancers, qui entraîne une perte de chance », s’est inquiété Arnaud Robinet.
Enfin, côté greffe, les transplantations d’organes, qui avaient chuté de 25% pendant la période Covid, marquent une certaine reprise. Mais leur niveau reste en-dessous de la situation pré-crise sanitaire. Face à une activité de prélèvement qui se maintient pourtant, 3 200 greffes n’ont pas été réalisées en 2023 par rapport à ce qui était attendu, dont 2 200 transplantations rénales.
Un taux de fermeture de lits de 7%
Pour expliquer les difficultés de reprise, la FHF avance sans surprise les tensions toujours existantes en personnel. En septembre 2023 déjà, elle constatait certes une embellie en termes de recrutement mais soulignait toutefois que les difficultés en ressources humaines persistaient. Six mois plus tard, le discours n’a pas changé. Le taux de fermeture conjoncturel de lits n’a ainsi pas diminué et se stabilise autour de 7%, les services de médecine étant les plus touchés (7,2% en 2023). Sur les 365 hôpitaux sondés (dont 45% des établissements publics et 28 des 32 CHU existants), seuls 22% d’entre eux déclarent n’avoir fermé ponctuellement aucun lit. Et si la FHF constate un rebond au niveau de l’ouverture des blocs opératoires de 81% (contre 78% en 2022) et s’attend à des réouvertures en 2024 en médecine chirurgie et obstétrique, elle s’alarme des perspectives très limitées au sein des unités de soins de longue durée (USLD), qui accueillent essentiellement des personnes âgées atteints de polypathologies.
39% des hôpitaux déclarés « hôpital en tension »
« Il y a différentes explications » à ce phénomène, a indiqué Arnaud Robinet, tout en précisant que les tensions en ressources humaines en étaient la cause principale. Le pourcentage des fermetures temporaires ou conjoncturelles dues au manque de personnel atteint 63% en 2023. Et preuve que les tensions deviennent désormais la norme, 39% des hôpitaux se sont déclarés « hôpital en tension » en 2023, entraînant la prise de mesures adaptées ; 15% ont été contraints de déclencher le dispositif « plan blanc ». « Cette situation de tension est récurrente et alarmante », a réagi Zaynab RIET, déléguée générale de la Fédération hospitalière de France, car ces modes de fonctionnement qui tendent à se répéter sont censés être « exceptionnels ». Un plan blanc suppose « de réquisitionner les professionnels, de les faire revenir de congés. C’est lourd de conséquence sur le mode de fonctionnement de l’établissement », a-t-elle rappelé.
Un renoncement aux soins qui s'accentue
L’autre explication avancée par la FHF repose sur un possible renoncement croissant aux soins, qui se traduit par un plus fort afflux vers les urgences et des durées d’hospitalisation plus longues. Une hypothèse que semble accréditer un sondage effectué par IPSOS*. Les résultats indiquent que 63% des Français ont renoncé à au moins un acte de soins au cours des 5 dernières années. Les raisons invoquées : les délais pour obtenir un rendez-vous chez un professionnel (53%) ou le prix des consultations (42%). Comparés à ceux d’une enquête similaire réalisée en 2019, soit avant la crise Covid, ils illustrent des obstacles croissants à l’accès aux soins. En matière de distance géographique, toutes les distances d’accès à une structure ou à un professionnel de santé (pharmacien, hôpital de proximité, généraliste, pédiatre…) ont augmenté de 6 minutes en moyenne.
Une dette de santé publique sans précédent qui induit un réel risque pour la santé des patients
Les délais pour obtenir un rendez-vous s’allongent également : il faut en moyenne 10 jours pour pouvoir consulter un généraliste (contre 4 en 2019), deux mois pour un ORL (contre 1 mois et une semaine en 2019) ou encore 3 semaines et 3 jours pour un pédiatre (contre 2 semaines et 4 jours en 2019). Parallèlement, 38% des personnes atteintes de maladies chroniques jugent que leur prise en charge s’est détériorée.
Conséquence : 50% des Français interrogés déclarent s’être rendus à l’hôpital pour avoir été dans l’incapacité d’obtenir un rendez-vous, en raison d’un retard de diagnostic ou à cause du report d’un traitement. Avec à la clé de véritables pertes de chances.
La FHF appelle à se concentrer sur les filières prioritaires
« Nous avons contracté une dette de santé publique sans précédent » et qui induit un réel risque pour la santé des patients, a martelé Arnaud Robinet. Il « faut prendre le sujet à bras le corps », a-t-il ajouté, enjoignant le gouvernement à donner plus de moyens aux hôpitaux publics. « Les CHU doivent être accompagnés spécifiquement, ce qui suppose des choix, comme concentrer les efforts sur les filières prioritaires » sujettes aux tensions et au renoncement aux soins. En 2023, les CHU ont enregistré un triplement de leur déficit.
*L’enquête a été menée sur un échantillon représentatif de 1 500 Français et s’est déroulée du 29 février au 6 mars.
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