Parfois en place depuis plusieurs années, les traitements à base de benzodiazépines ou de dérivés (hypnotiques en particulier) comportent des risques non-négligeables d’addiction, difficiles à évoquer et à prendre en charge. La pratique est courante chez les personnes âgées, en particulier en France, second consommateur de benzodiazépines en Europe. Dans une étude qualitative publiée dans la revue "International Journal of Mental Health Nursing" en décembre 20201 des chercheurs français mettent en lumière l’importance de la formation à ces sujets et la place de la pratique avancée dans le sevrage et la prise en charge de ces addictions chez nos aînés.
Design de l’étude
8 entretiens semi-dirigés menés en service de psycho-gériatriePopulation étudiée pluridisciplinaire (4 infirmiers, 2 médecins, 1 psychologue, 1 interne en médecine)
1 entretien par soignant
Durée totale de l’étude : 24 semaines
4 axes explorés :
- Problématiques spécifiquement liées au grand âge
- Impact de la consommation de benzodiazépines ou de molécules dérivées
- Présence des soignants auprès des patients
- Prise en charge envisagée
Perception trompeuse
L’hypothèse de recherche prend avant tout racine dans l’analyse des données bibliographiques et dans les questionnements et besoins issus du terrain. En tant qu’IDE exerçant en addictologie, je me suis naturellement intéressée à la thématique lorsque j’ai entamé mon cursus de pratique avancée
, explique Camille Lefebvre-Durel, premier auteur de l’étude, titulaire d’un Master de pratique avancée (pathologies chroniques stabilisées) et étudiante IPA, mention santé mentale-psychiatrie. L’étude répond aussi à un réel besoin populationnel corrélé par ailleurs à l’idée reçue, largement partagée, selon laquelle les problèmes d’addiction ne pourraient pas toucher nos aînés. Et pourtant, la perception est trompeuse. En France à titre d’exemple, 38 % des femmes de plus de 80 ans consomment des benzodiazépines. Or chez les seniors, les changements environnementaux (isolement, perte d’autonomie…), physiologiques et pharmacocinétiques, sans compter les interactions médicamenteuses avec les traitements en cours pour d’autres pathologies, sont de nature à accroître la vulnérabilité, l’impact négatif (risque de chutes…) et le risque de dépendance.
Complémentarité des expertises
Dans la démarche de réduction des traitements (voire de sevrage), dit l’étude, les infirmiers – et en particulier ceux de pratique avancée – peuvent avoir un rôle central. Par leur expertise et leur transversalité, les IPA sont certes aptes à une coordination efficace du parcours patient, mais ils peuvent également aller plus loin dans la transversalité de la prise en charge, du suivi et dans la prescription
, relève Sébastien Kerever, coordinateur paramédical de la recherche en soins infirmiers au sein de l’AP-HP Nord et dernier auteur de la publication. Certes, ils ne sont pas initiateurs de la prescription des molécules elles-mêmes, mais ils proposent un suivi personnalisé aux patients. Une expertise qui leur permet une observation attentive et l’identification des besoins des personnes en situation de dépendance, tant sur le plan social que physiologique et psychologique. De concert, les auteurs plaident pour plus de dialogue entre la ville et l’hôpital et pour une complémentarité des expertises (avec le médecin spécialiste, le médecin traitant, l’infirmier de coordination…) qui concourent, selon eux, à la régularité de la prise en charge globale des patients et un renforcement de leur suivi.
Rupture par étapes
La rupture avec l’addiction ne se décrète pas, elle mérite d’être entreprise par étapes. D’abord l’évaluation du degré de dépendance du patient, puis l’observation comportementale (troubles cognitifs, agressivité, instabilité…) ; viennent ensuite le moment de fixer les objectifs d’une baisse progressive de la consommation et la prise en charge du patient sur une période de 22 semaines, comme le recommande la Haute Autorité de Santé. L’arrêt est d’autant plus difficile que la prise de ces traitements est parfois très ancienne (jusqu’à vingt ans selon les cas, alors que la prise d’hypnotiques et de benzodiazépines ne devrait pas excéder 4 et 12 semaines respectivement) ou que les molécules utilisées soulagent efficacement l’anxiété ou les insomnies des patients
, reconnaît C. Lefebvre-Durel.
Accompagner patients et soignants
Côté patient, éduquer est une nécessité indiscutable. Pour que la personne âgée soit elle aussi actrice de sa santé, il faut qu’elle soit informée de l’utilité, du cadre de prise et des risques de ces traitements, et ce dès la première prescription
, préconise S. Kerever. Les professionnels de santé n’échappent pas à la démarche, révèle l’étude. La prise en soin du sujet âgé est complexe ; par manque de temps ou par méconnaissance des risques (abus, mésusage) et des outils thérapeutiques alternatifs ou d’évaluation comme l’ECAB scale3, les soignants ont eux aussi besoin d’être accompagnés et d’apprendre à évaluer facilement et librement l’addiction potentielle ou avérée de leurs patients
, ajoute-t-il. Envisager des actions de formation (initiale ou continue) fait donc partie des voies à explorer. Malgré le nombre restreint d’entretiens réalisés (8 en tout), les résultats apportés pourraient constituer un socle préliminaire pour de futurs travaux. Des recherches interventionnelles centrées sur les compétences des IPA pour identifier des réponses efficaces à ce problème de santé publique qui embarrasse la société et met en danger nos aînés.
Notes
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- Benzodiazepine and Z drug cessation in elderly patients: A qualitative study on the perception of healthcare providers and the place of advanced practice nurses. Camille Lefebvre-Durel, Isabelle Bailly, Johanna Hunault, Ljiljana Jovic, Martine Novic, Florence Vorspan, Frank Bellivier, Olivier Drunat, Sébastien Kerever. Int J Ment Health Nurs. 2020 Dec 13 ; DOI: 10.1111/inm.12831
- https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/recommandations_bzd_-_version_finale_2008.pdf
- https://has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2009-10/9_ecab_scale_vf.pdf
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Anne Perette-Ficaja
Directrice des rédactions paramédicales
anne.perette-ficaja@gpsante.fr
@aperette
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