violence ordinaire
Modérateur : Modérateurs
violence ordinaire
Parce qu'il ne faut pas garder le silence...
J’ai été très émue par le témoignage d’Anne dans http://www.actusoins.com/27642/quand-un ... naire.html#, particulièrement troublée par les similitudes entre son histoire et la mienne, à quelques détails près : j’ai 52 ans et je n’ai pas obtenue mon diplôme….
En 2011 je suis licenciée d’un grand laboratoire français, injustement. Dans le cadre d’une restructuration j’étais prioritaire sur toutes les personnes de mon équipe de par ma situation familiale ; j’ai 2 enfants. Mais en raison de mes bons résultats, une collègue a postulé sur mon secteur et a obtenu mon poste grâce à son statut de déléguée du personnel.
Une grosse épreuve que j’ai surmontée grâce à mes amies.
Jeunette, mon rêve était de devenir infirmière, mais le destin en a décidé autrement : ma mère est décédée au CHU suite à une négligence du personnel. Il m’a été très difficile de franchir les portes d’un hôpital pendant de nombreuses années.
33 ans ont passée, un matin, il m’apparait comme une évidence que ce licenciement est un signe et que je dois enfin réaliser mon rêve. Je passe le concours d’entrée, je suis reçue avec 18 à l’oral.
Je pense avoir des difficultés pour valider mes partiels et m’intégrer à ma promo de p’tits jeunes, je suis persuadée que les stages seront pour moi sans problèmes, grâce à mon expérience professionnelle et mes qualités relationnelles. C’est tout le contraire. Avec une dizaine d’élevés de tout âge, nous formons un super groupe de copines avec lequel je passe des moments formidables, 3 années inoubliables de complicité.je valide tous mes partiels avec 14 ; 63 de moyenne. Par contre lors de certains stages, j’ai droit à quelques réflexions. « Quoi ? À 50 ans tu ne sais pas faire ça ? » « Je trouve débile à son âge de refaire des études » « t’es plus déléguée médicale alors vide les poubelles ». Je perçois un degré d’exigence de la part de mes tutrices bien supérieur à celle de mes collègues. Je validés 6 stages sur 7 avec de bons rapports. J’interromps mon stage S5 au bout de 5 semaines pour raison de santé (liés en partie à la maltraitance de 2 infirmières)…
En septembre 2014 je refais un stage de rattrapage. En quelques jours l’équipe menée par une infirmière m’a prise en grippe. Humiliation, agressions verbales, comme elle le dis "La confiance est piétinée, humiliée “au bout de 3 semaines l’angoisse remplace l’anxiété, je ne dors plus , je suis démolie….mais je dois aller jusqu’ ‘au bout, ma vie en dépend….un lundi matin : lors de ma prise de poste à 6 h, je constate que la poche de G5 de la patiente qui m'a été confiée est vide alors qu'il reste 6 heures de perfusion, que le dialaflow est sur la position maximum, la bouteille d'eau indispensable au bilan entrée/ sortie n'est plus là, une feuille avait été rajoutée dans le dossier infirmier étiquetée au nom d'un autre patient……,j’ai peur de ce que je crois comprendre, J’ai peur pour ma patiente, peur de celle que je suis devenue…..
Je demande à mon école un autre stage qui m’est refusé car quelques jours auparavant la directrice a reçu un rapport de la cadre du service faux en grande partie et très exagéré, sans m’en avoir informé…..je suis condamnée à arrêter ma formation.
Je n’arrive pas à comprendre……pourquoi ai-je inspiré tant de haine. Pourquoi ce désir de détruire ?
J’ai 52 ans, je n’ai pas mon DE, je ne trouve pas de travail, mais je suis vivante. Mes amies m’ont sauvée. Je vais m’en sortir pour mes fils….pour mes amies.
Comme toi je n’oublierai pas et parce qu’il ne faut pas garder le silence…….
J’ai été très émue par le témoignage d’Anne dans http://www.actusoins.com/27642/quand-un ... naire.html#, particulièrement troublée par les similitudes entre son histoire et la mienne, à quelques détails près : j’ai 52 ans et je n’ai pas obtenue mon diplôme….
En 2011 je suis licenciée d’un grand laboratoire français, injustement. Dans le cadre d’une restructuration j’étais prioritaire sur toutes les personnes de mon équipe de par ma situation familiale ; j’ai 2 enfants. Mais en raison de mes bons résultats, une collègue a postulé sur mon secteur et a obtenu mon poste grâce à son statut de déléguée du personnel.
Une grosse épreuve que j’ai surmontée grâce à mes amies.
Jeunette, mon rêve était de devenir infirmière, mais le destin en a décidé autrement : ma mère est décédée au CHU suite à une négligence du personnel. Il m’a été très difficile de franchir les portes d’un hôpital pendant de nombreuses années.
33 ans ont passée, un matin, il m’apparait comme une évidence que ce licenciement est un signe et que je dois enfin réaliser mon rêve. Je passe le concours d’entrée, je suis reçue avec 18 à l’oral.
Je pense avoir des difficultés pour valider mes partiels et m’intégrer à ma promo de p’tits jeunes, je suis persuadée que les stages seront pour moi sans problèmes, grâce à mon expérience professionnelle et mes qualités relationnelles. C’est tout le contraire. Avec une dizaine d’élevés de tout âge, nous formons un super groupe de copines avec lequel je passe des moments formidables, 3 années inoubliables de complicité.je valide tous mes partiels avec 14 ; 63 de moyenne. Par contre lors de certains stages, j’ai droit à quelques réflexions. « Quoi ? À 50 ans tu ne sais pas faire ça ? » « Je trouve débile à son âge de refaire des études » « t’es plus déléguée médicale alors vide les poubelles ». Je perçois un degré d’exigence de la part de mes tutrices bien supérieur à celle de mes collègues. Je validés 6 stages sur 7 avec de bons rapports. J’interromps mon stage S5 au bout de 5 semaines pour raison de santé (liés en partie à la maltraitance de 2 infirmières)…
En septembre 2014 je refais un stage de rattrapage. En quelques jours l’équipe menée par une infirmière m’a prise en grippe. Humiliation, agressions verbales, comme elle le dis "La confiance est piétinée, humiliée “au bout de 3 semaines l’angoisse remplace l’anxiété, je ne dors plus , je suis démolie….mais je dois aller jusqu’ ‘au bout, ma vie en dépend….un lundi matin : lors de ma prise de poste à 6 h, je constate que la poche de G5 de la patiente qui m'a été confiée est vide alors qu'il reste 6 heures de perfusion, que le dialaflow est sur la position maximum, la bouteille d'eau indispensable au bilan entrée/ sortie n'est plus là, une feuille avait été rajoutée dans le dossier infirmier étiquetée au nom d'un autre patient……,j’ai peur de ce que je crois comprendre, J’ai peur pour ma patiente, peur de celle que je suis devenue…..
Je demande à mon école un autre stage qui m’est refusé car quelques jours auparavant la directrice a reçu un rapport de la cadre du service faux en grande partie et très exagéré, sans m’en avoir informé…..je suis condamnée à arrêter ma formation.
Je n’arrive pas à comprendre……pourquoi ai-je inspiré tant de haine. Pourquoi ce désir de détruire ?
J’ai 52 ans, je n’ai pas mon DE, je ne trouve pas de travail, mais je suis vivante. Mes amies m’ont sauvée. Je vais m’en sortir pour mes fils….pour mes amies.
Comme toi je n’oublierai pas et parce qu’il ne faut pas garder le silence…….
Avoir son diplôme... et décider de ne pas exercer
Ton témoignage, ainsi que celui d'Anne et ceux de plus en plus nombreux sur la question, me donne envie de réagir à mon tour au travers de ma propre expérience....
J’avais 33 ans et j’étais mère d’une petite fille de 6 mois lorsque j’ai entamé ma formation d’infirmière en 2009, aux lendemains d’un burn-out en règle dans l’agence de communication événementielle où je travaillais depuis plus de dix ans.
Ma famille sur quatre générations était composée de médecins et infirmiers et, après les cinq ans de suite de soins que nous avions vécu à la maison suite au grave accident de montagne de mon grand frère, je n’étais ni étrangère au soin, ni à l’univers des couloirs d’hôpitaux, de la maladie, de la souffrance ou de la mort.
Ma reconversion, dans une phase de vie où je gagnais très bien ma vie et où je n’aurais eu qu’à partir dans un grand groupe pour lever un peu le pied et récolter le fruit du travail durement accompli pendant une décennie, était motivée par un seul désir : donner du sens à mon métier, là où j’en trouvais de moins en moins dans l’univers parfois surfait des événements institutionnels. Travailler dans le soin, c’était pour moi revenir à l’essence même de la vie qu’on oublie facilement dans le monde de l’entreprise, et à ce qui devrait nous motiver à vivre ensemble : prendre soin de l’autre, aider, accompagner, aider, soulager.
Bienveillance, bienfaisance, bientraitance… Autant de termes qui, au sortir de ces années sans pitié où seul le poids de l’Euro trouvait grâce aux yeux des groupes au sein desquels on évoluait, trouvaient en moi une vraie résonance.
Mon parcours scolaire aura été un sans faute : 16/20 de moyenne générale sur les trois ans d’études, pas un seul partiel à rattraper, pas un stage de loupé, des appréciations positives en règle et les mots rassurants des soignants comme des formateurs me disant que je suis faite pour ce métier. On me promettait une jolie carrière et plusieurs offres d’emploi alléchantes se sont même présentées quelques semaines avant l’obtention officielle de mon diplôme. Il n’y avait donc à priori aucune erreur de casting.
Et pourtant. POURTANT.
Du haut de mes 33 ans de l’époque et de l’expérience acquise pendant quinze ans de vie seule en France et à l’étranger, je n’aurais jamais pu imaginer l’atmosphère dans laquelle j’allais évoluer pendant trois ans.
Je n’aurais jamais pu imaginer que mes convictions seraient à ce point ébranlées pendant trois années d’études, pas tant par la réalité du métier au chevet du patient, que celle en salle de soins et dans les couloirs d’hôpitaux.
Je n’aurais jamais pu imaginer l’ambiance délétère qui régnait la plupart du temps au sein des services et des équipes, tous plus pressurisés et maltraités par l’Institution les uns que les autres, et qui se répercutait directement sur les relations entre soignants et la qualité médiocre des soins conférés aux patients, malgré toutes les bonnes volontés du monde. Je n’aurais jamais pu imaginer les lourdeurs d’une hiérarchie hyper-verticale où la parole des sacro-saints supérieurs n’est pas discutable et où toute réflexion et prise de position des « petites gens » que nous sommes pour tenter d’améliorer les pratiques se fait au risque de devenir la bête noire d’un service du jour au lendemain. Je n’aurais jamais imaginé le sort réservé aux stagiaires, en bas de chaîne, et qui cristallisent l’ensemble des frustrations et insatisfactions d’un corps de métier unanimement en souffrance. Je n’aurais jamais imaginé la toute-puissance et les égos surdimensionnés qui font tourner des services sans remise en question sur leurs fonctionnements et sans possibilité d’échange réel avec les équipes pluridisciplinaires (à l’exception de la psychiatrie qui, pour ces raisons-là, était le seul domaine dans lequel je pouvais encore envisager travailler en sortie de diplôme) ; je n’aurais jamais imaginé les petits actes de maltraitance quotidienne subie par les plus faibles et fragiles d’entre nous et qui, pour au moins 15 d’entre eux entre le début et la fin de formation, de tous âges et de toutes compétences initiales confondues, ont arrêté leur formation pour ces raisons-là, malgré leurs résultats scolaires honorables et leur motivation à apprendre.
Apprendre ! Gros mot s’il en est, à en juger par les réactions de nombreux soignants de tous horizons qu’on découvre en parcourant les témoignages publiés sur votre site ou sur des forums de témoignages.
Je venais du monde sans pitié de l’entreprise où, pourtant, on chérissait nos stagiaires : de la main d’œuvre gratuite ou presque, corvéable à merci, motivée et souple.
Je suis arrivée, animée par mon besoin de retrouver des relations vraies et saines entre les gens, dans un monde supposé représenter à lui seul toute l’humanité et la bienveillance incarnées, pour finalement me trouver immergée dans un monde fatigué, essoufflé, dur, hostile, prisonnier d’habitudes ancestrales qu’il est plus facile de conserver (tout en s’insurgeant unanimement contre la barbarie de certaines pratiques) plutôt que de remettre réellement en question une bonne fois pour toutes, ce qui constituerait en soit un chantier colossal à mener en plus des tâches déjà lourdes à gérer au quotidien.
Je ne blâme personne en particulier. Si ce n’est l’Institution qui, victime de ses lourdeurs et de sa pesanteur, forme des générations de soignants en souffrance sans trouver d’autre réponse que de toujours diminuer les budgets et pondre des réformes politicardes absolument pas en prise avec la réalité du métier. Entretenant par là-même le cycle de maltraitances entre soignants dont il est de plus en plus souvent ouvertement question.
Mais pourquoi faudrait-il à tout prix traverser le parcours du combattant pour gagner ses lettres de noblesse dans le métier ?
Pourquoi faudrait-il souffrir à tout prix pour prouver qu’on est digne d’être soignant ?
Pourquoi faudrait-il invariablement traverser un long et lent bizutage en règle de trois longues années (… alors je ne parle pas des étudiants en médecine) pour prouver notre motivation et raison d’être dans ce métier ?
Pourquoi l’étudiant qui n’aurait pas eu son « stage de merde » en règle serait moins crédible que tous les autres ?
Pourquoi faudrait-il sans cesse opposer deux mondes à priori complémentaire et qu’on pose comme contradictoires, celui des soignants d’un côté, et celui des aspirants soignants de l’autre ?
Le temps n’est-il pas venu de mettre de côté une bonne fois pour toutes les bonnes veilles valeurs judéo-chrétiennes qui bercent la profession et l’entretiennent inlassablement dans cette idée inconsciente « qu’il faut souffrir pour trouver le salut » ?
En 2015, dans un corps de métier qui aspire à gagner ses lettres de noblesse, dans un monde de soin malmené et en constante évolution, il me semble que si.
Il serait grand temps.
La faute à qui ?
A l’Institution, qui pressurise, néglige et maltraite chaque jour un peu plus ses soignants épuisés, exaspérés, trouvant de moins en moins de sens à leur tâche et de temps pour témoigner de leur humanité en dehors des chambres des patients ?
A la formation, si décalée de la réalité du métier et qui forme des bombes à retardement en herbe incapables de se remettre en question, si l’on en croit les témoignages des anciens ?
A l’inertie du Groupe, de l’Equipe, au sein de laquelle chacun se protège individuellement au risque parfois de cautionner l’inacceptable, et à des habitudes séculaires qu’il serait trop coûteux de bouleverser et de changer une bonne fois pour toutes?
A un désir inconscient de revanche des anciens sur les jeunes générations, qui ne verraient pas l’intérêt de stopper une fois pour toutes ces actes de violence ordinaires dont ils ont été eux-mêmes les victimes quelques années plus tôt sous prétexte que « c’est de bonne guerre » ?
A la dureté du milieu du Soin, orchestré par des soignants souvent très compétents au chevet du patient mais qui, habitués à prendre sur eux toute la misère du monde 7 à 12 heures par jour dans des conditions de travail souvent délétères, trouvent une sorte d’exutoire malsain dans le déchargement de leurs foudres sur les stagiaires et autres petites mains ?
Je venais chercher dans ce métier une nourriture spirituelle. J’étais prête à encaisser les salaires de misère, les horaires invraisemblables, le poids des hiérarchies infantilisantes, pour me nourrir intellectuellement au contact des équipes pluridisciplinaires et donner du sens à mon métier. Je n’ai entr’aperçu que des équipes fatiguées, maltraitées et parfois maltraitantes, travaillant à la chaîne, figées dans des fonctionnements immuables et une bureaucratie omniprésente parfois vides de sens, n’ayant pour seul coin de soleil, les pauvres, que la perspective heureuse de leurs vacances et de leurs jours de congés, et les considérations parfois douteuses de certaines sur ces stagiaires qu’elles sont un jour été, visant finalement à les rassurer elles-mêmes sur leur propre sort et surtout sur le fait que cette étape est heureusement passée…
Quoi qu’il en soit, je n’ai de cesse de m’étonner du nombre de témoignages de personnes souffrant de relations interprofessionnelles asservissantes, de tous profils et de tous âges, soignants comme aspirants soignants, souffrances qui doivent être partagées par un grand nombre depuis bien longtemps, et de constater que rien ne bouge.
Alors qu’il en va de la santé de la Corporation et l’Institution elle-même.
Corporation qui, au regard des témoignages fréquents, est fragilisée comme jamais.
Tout cela me laisse bien pessimiste. Et, au risque de me faire happer moi aussi par le poids de l’institution et du système, j’ai préféré sortir du circuit avant que ce dernier me casse en deux. Diplôme en poche, je n’ai jamais exercé. Et devant l’incompréhension générale et les regards désapprobateurs de bien des gens qui m’entourent, suis partie, soulagée, chercher un peu d’humanité dans un autre univers que celui du soin. Avec comme quête de Sens, celle finalement de simplement mener une existence en accord avec mes principes de vie et valeurs fondamentales, sans maltraitance ni violence ni prise de pouvoir d’aucune forme. Dans un monde où mes valeurs profondes ne seraient pas lentement écrasées par le poids de l’institution et piétinées par des habitudes ancestrales jamais remises en question. Dans un monde où je pourrais simplement être moi, sans concession ni faux-semblant ni peur d’être mise au rebut par le Groupe pour avoir simplement osé exprimer une désapprobation.
Certains appelleront ça lâcheté. J’appelle ça réalisme et intégrité personnelle.
Je n’ai pas la capacité de changer l’institution à moi seule.
Elle, en revanche, pour y avoir assisté avec nombre de mes anciens collègues, a bien la capacité à me casser en deux. Je ne cautionne pas ce que j’ai vu en interne, au sein même du monde soignant, je ne cautionne pas la manière dont l’Institution vous traite et qui explique bien des débordements par effet « boule de neige », je ne cautionne les témoignages de souffrances et de harcèlement moral de tous registres que je lis de plus en plus souvent sur les sites professionnels, je ne cautionne pas ce à quoi j’ai assisté pendant mes trois ans de formation au sein des équipes, sans pour autant en avoir été la victime directe, alors que j’aimais pourtant ce métier « dans l’absolu » et partageais les valeurs soignantes « dans l’absolu » également.
Mais l’envers du décor aura eu raison de ma bonne volonté.
C’est très personnel, je respecte et admire celles et ceux qui tiennent bon contre vents et marées et je les bénis d’exister car ce sont eux qui me soigneront demain, mais en ce qui me concerne le décalage avec mes valeurs aura simplement été trop grand.
Et le jour où la décision, très coûteuse à prendre, a été finalement affirmée, je me suis sentie soulagée d’un grand poids.
Non, je n’étais peut-être pas faite pour ce métier, malgré les bons résultats scolaires et encouragements de la profession. Cela ne fait pas tout.
Soignants, je vous admire. De tenir bon le cap et de vous accrocher malgré l’agitation d’un océan d’abandon, d’oubli, de lois et de réformes toutes plus invraisemblables les unes que les autres. De vous donner corps et âme à vos patients pour la grande majorité d’entre vous, en dépit des conditions de travail délétères et de la face immergée de l’iceberg dont on ne peut malheureusement prendre conscience qu’en évoluant professionnellement dans l’univers du soin.
Soignants, je vous plains. De ne pas être entendus dans votre souffrance, de ne pas être soutenus par votre hiérarchie et encore moins par l’Institution, de ne pas avoir les moyens de travailler correctement, et de vous voir confier chaque jour qui passe une tâche nouvelle venant se rajouter à la longue liste de celles à accomplir déjà pour hier.
Soignants, je vous en veux. Dans ce contexte général qui au contraire devrait vous souder entre vous, vous réunir et vous donner envie de vous entr’aider, je vous en veux de pas prendre davantage soin les uns des autres, d’avoir la mémoire bien trop courte pour certains, de ne pas oser vous soulever en masse contre les maltraitances dont vous êtes souvent les victimes et dont vous préférez faire pâtir vos stagiaires, de ne pas remettre davantage en question des habitudes séculaires dans le traitement de vos pairs et qui, petit à petit, vous perdent.
Soignants, je vous souhaite bon courage pour la suite. Qui certes ne dépend pas que de vous, mais une partie quand-même, et celle-là contribuera à l’état d’esprit des générations futures, à leur bien-être dans leur futur métier et à la manière dont ils l’exerceront … donc à leur professionnalisme.
J’avais 33 ans et j’étais mère d’une petite fille de 6 mois lorsque j’ai entamé ma formation d’infirmière en 2009, aux lendemains d’un burn-out en règle dans l’agence de communication événementielle où je travaillais depuis plus de dix ans.
Ma famille sur quatre générations était composée de médecins et infirmiers et, après les cinq ans de suite de soins que nous avions vécu à la maison suite au grave accident de montagne de mon grand frère, je n’étais ni étrangère au soin, ni à l’univers des couloirs d’hôpitaux, de la maladie, de la souffrance ou de la mort.
Ma reconversion, dans une phase de vie où je gagnais très bien ma vie et où je n’aurais eu qu’à partir dans un grand groupe pour lever un peu le pied et récolter le fruit du travail durement accompli pendant une décennie, était motivée par un seul désir : donner du sens à mon métier, là où j’en trouvais de moins en moins dans l’univers parfois surfait des événements institutionnels. Travailler dans le soin, c’était pour moi revenir à l’essence même de la vie qu’on oublie facilement dans le monde de l’entreprise, et à ce qui devrait nous motiver à vivre ensemble : prendre soin de l’autre, aider, accompagner, aider, soulager.
Bienveillance, bienfaisance, bientraitance… Autant de termes qui, au sortir de ces années sans pitié où seul le poids de l’Euro trouvait grâce aux yeux des groupes au sein desquels on évoluait, trouvaient en moi une vraie résonance.
Mon parcours scolaire aura été un sans faute : 16/20 de moyenne générale sur les trois ans d’études, pas un seul partiel à rattraper, pas un stage de loupé, des appréciations positives en règle et les mots rassurants des soignants comme des formateurs me disant que je suis faite pour ce métier. On me promettait une jolie carrière et plusieurs offres d’emploi alléchantes se sont même présentées quelques semaines avant l’obtention officielle de mon diplôme. Il n’y avait donc à priori aucune erreur de casting.
Et pourtant. POURTANT.
Du haut de mes 33 ans de l’époque et de l’expérience acquise pendant quinze ans de vie seule en France et à l’étranger, je n’aurais jamais pu imaginer l’atmosphère dans laquelle j’allais évoluer pendant trois ans.
Je n’aurais jamais pu imaginer que mes convictions seraient à ce point ébranlées pendant trois années d’études, pas tant par la réalité du métier au chevet du patient, que celle en salle de soins et dans les couloirs d’hôpitaux.
Je n’aurais jamais pu imaginer l’ambiance délétère qui régnait la plupart du temps au sein des services et des équipes, tous plus pressurisés et maltraités par l’Institution les uns que les autres, et qui se répercutait directement sur les relations entre soignants et la qualité médiocre des soins conférés aux patients, malgré toutes les bonnes volontés du monde. Je n’aurais jamais pu imaginer les lourdeurs d’une hiérarchie hyper-verticale où la parole des sacro-saints supérieurs n’est pas discutable et où toute réflexion et prise de position des « petites gens » que nous sommes pour tenter d’améliorer les pratiques se fait au risque de devenir la bête noire d’un service du jour au lendemain. Je n’aurais jamais imaginé le sort réservé aux stagiaires, en bas de chaîne, et qui cristallisent l’ensemble des frustrations et insatisfactions d’un corps de métier unanimement en souffrance. Je n’aurais jamais imaginé la toute-puissance et les égos surdimensionnés qui font tourner des services sans remise en question sur leurs fonctionnements et sans possibilité d’échange réel avec les équipes pluridisciplinaires (à l’exception de la psychiatrie qui, pour ces raisons-là, était le seul domaine dans lequel je pouvais encore envisager travailler en sortie de diplôme) ; je n’aurais jamais imaginé les petits actes de maltraitance quotidienne subie par les plus faibles et fragiles d’entre nous et qui, pour au moins 15 d’entre eux entre le début et la fin de formation, de tous âges et de toutes compétences initiales confondues, ont arrêté leur formation pour ces raisons-là, malgré leurs résultats scolaires honorables et leur motivation à apprendre.
Apprendre ! Gros mot s’il en est, à en juger par les réactions de nombreux soignants de tous horizons qu’on découvre en parcourant les témoignages publiés sur votre site ou sur des forums de témoignages.
Je venais du monde sans pitié de l’entreprise où, pourtant, on chérissait nos stagiaires : de la main d’œuvre gratuite ou presque, corvéable à merci, motivée et souple.
Je suis arrivée, animée par mon besoin de retrouver des relations vraies et saines entre les gens, dans un monde supposé représenter à lui seul toute l’humanité et la bienveillance incarnées, pour finalement me trouver immergée dans un monde fatigué, essoufflé, dur, hostile, prisonnier d’habitudes ancestrales qu’il est plus facile de conserver (tout en s’insurgeant unanimement contre la barbarie de certaines pratiques) plutôt que de remettre réellement en question une bonne fois pour toutes, ce qui constituerait en soit un chantier colossal à mener en plus des tâches déjà lourdes à gérer au quotidien.
Je ne blâme personne en particulier. Si ce n’est l’Institution qui, victime de ses lourdeurs et de sa pesanteur, forme des générations de soignants en souffrance sans trouver d’autre réponse que de toujours diminuer les budgets et pondre des réformes politicardes absolument pas en prise avec la réalité du métier. Entretenant par là-même le cycle de maltraitances entre soignants dont il est de plus en plus souvent ouvertement question.
Mais pourquoi faudrait-il à tout prix traverser le parcours du combattant pour gagner ses lettres de noblesse dans le métier ?
Pourquoi faudrait-il souffrir à tout prix pour prouver qu’on est digne d’être soignant ?
Pourquoi faudrait-il invariablement traverser un long et lent bizutage en règle de trois longues années (… alors je ne parle pas des étudiants en médecine) pour prouver notre motivation et raison d’être dans ce métier ?
Pourquoi l’étudiant qui n’aurait pas eu son « stage de merde » en règle serait moins crédible que tous les autres ?
Pourquoi faudrait-il sans cesse opposer deux mondes à priori complémentaire et qu’on pose comme contradictoires, celui des soignants d’un côté, et celui des aspirants soignants de l’autre ?
Le temps n’est-il pas venu de mettre de côté une bonne fois pour toutes les bonnes veilles valeurs judéo-chrétiennes qui bercent la profession et l’entretiennent inlassablement dans cette idée inconsciente « qu’il faut souffrir pour trouver le salut » ?
En 2015, dans un corps de métier qui aspire à gagner ses lettres de noblesse, dans un monde de soin malmené et en constante évolution, il me semble que si.
Il serait grand temps.
La faute à qui ?
A l’Institution, qui pressurise, néglige et maltraite chaque jour un peu plus ses soignants épuisés, exaspérés, trouvant de moins en moins de sens à leur tâche et de temps pour témoigner de leur humanité en dehors des chambres des patients ?
A la formation, si décalée de la réalité du métier et qui forme des bombes à retardement en herbe incapables de se remettre en question, si l’on en croit les témoignages des anciens ?
A l’inertie du Groupe, de l’Equipe, au sein de laquelle chacun se protège individuellement au risque parfois de cautionner l’inacceptable, et à des habitudes séculaires qu’il serait trop coûteux de bouleverser et de changer une bonne fois pour toutes?
A un désir inconscient de revanche des anciens sur les jeunes générations, qui ne verraient pas l’intérêt de stopper une fois pour toutes ces actes de violence ordinaires dont ils ont été eux-mêmes les victimes quelques années plus tôt sous prétexte que « c’est de bonne guerre » ?
A la dureté du milieu du Soin, orchestré par des soignants souvent très compétents au chevet du patient mais qui, habitués à prendre sur eux toute la misère du monde 7 à 12 heures par jour dans des conditions de travail souvent délétères, trouvent une sorte d’exutoire malsain dans le déchargement de leurs foudres sur les stagiaires et autres petites mains ?
Je venais chercher dans ce métier une nourriture spirituelle. J’étais prête à encaisser les salaires de misère, les horaires invraisemblables, le poids des hiérarchies infantilisantes, pour me nourrir intellectuellement au contact des équipes pluridisciplinaires et donner du sens à mon métier. Je n’ai entr’aperçu que des équipes fatiguées, maltraitées et parfois maltraitantes, travaillant à la chaîne, figées dans des fonctionnements immuables et une bureaucratie omniprésente parfois vides de sens, n’ayant pour seul coin de soleil, les pauvres, que la perspective heureuse de leurs vacances et de leurs jours de congés, et les considérations parfois douteuses de certaines sur ces stagiaires qu’elles sont un jour été, visant finalement à les rassurer elles-mêmes sur leur propre sort et surtout sur le fait que cette étape est heureusement passée…
Quoi qu’il en soit, je n’ai de cesse de m’étonner du nombre de témoignages de personnes souffrant de relations interprofessionnelles asservissantes, de tous profils et de tous âges, soignants comme aspirants soignants, souffrances qui doivent être partagées par un grand nombre depuis bien longtemps, et de constater que rien ne bouge.
Alors qu’il en va de la santé de la Corporation et l’Institution elle-même.
Corporation qui, au regard des témoignages fréquents, est fragilisée comme jamais.
Tout cela me laisse bien pessimiste. Et, au risque de me faire happer moi aussi par le poids de l’institution et du système, j’ai préféré sortir du circuit avant que ce dernier me casse en deux. Diplôme en poche, je n’ai jamais exercé. Et devant l’incompréhension générale et les regards désapprobateurs de bien des gens qui m’entourent, suis partie, soulagée, chercher un peu d’humanité dans un autre univers que celui du soin. Avec comme quête de Sens, celle finalement de simplement mener une existence en accord avec mes principes de vie et valeurs fondamentales, sans maltraitance ni violence ni prise de pouvoir d’aucune forme. Dans un monde où mes valeurs profondes ne seraient pas lentement écrasées par le poids de l’institution et piétinées par des habitudes ancestrales jamais remises en question. Dans un monde où je pourrais simplement être moi, sans concession ni faux-semblant ni peur d’être mise au rebut par le Groupe pour avoir simplement osé exprimer une désapprobation.
Certains appelleront ça lâcheté. J’appelle ça réalisme et intégrité personnelle.
Je n’ai pas la capacité de changer l’institution à moi seule.
Elle, en revanche, pour y avoir assisté avec nombre de mes anciens collègues, a bien la capacité à me casser en deux. Je ne cautionne pas ce que j’ai vu en interne, au sein même du monde soignant, je ne cautionne pas la manière dont l’Institution vous traite et qui explique bien des débordements par effet « boule de neige », je ne cautionne les témoignages de souffrances et de harcèlement moral de tous registres que je lis de plus en plus souvent sur les sites professionnels, je ne cautionne pas ce à quoi j’ai assisté pendant mes trois ans de formation au sein des équipes, sans pour autant en avoir été la victime directe, alors que j’aimais pourtant ce métier « dans l’absolu » et partageais les valeurs soignantes « dans l’absolu » également.
Mais l’envers du décor aura eu raison de ma bonne volonté.
C’est très personnel, je respecte et admire celles et ceux qui tiennent bon contre vents et marées et je les bénis d’exister car ce sont eux qui me soigneront demain, mais en ce qui me concerne le décalage avec mes valeurs aura simplement été trop grand.
Et le jour où la décision, très coûteuse à prendre, a été finalement affirmée, je me suis sentie soulagée d’un grand poids.
Non, je n’étais peut-être pas faite pour ce métier, malgré les bons résultats scolaires et encouragements de la profession. Cela ne fait pas tout.
Soignants, je vous admire. De tenir bon le cap et de vous accrocher malgré l’agitation d’un océan d’abandon, d’oubli, de lois et de réformes toutes plus invraisemblables les unes que les autres. De vous donner corps et âme à vos patients pour la grande majorité d’entre vous, en dépit des conditions de travail délétères et de la face immergée de l’iceberg dont on ne peut malheureusement prendre conscience qu’en évoluant professionnellement dans l’univers du soin.
Soignants, je vous plains. De ne pas être entendus dans votre souffrance, de ne pas être soutenus par votre hiérarchie et encore moins par l’Institution, de ne pas avoir les moyens de travailler correctement, et de vous voir confier chaque jour qui passe une tâche nouvelle venant se rajouter à la longue liste de celles à accomplir déjà pour hier.
Soignants, je vous en veux. Dans ce contexte général qui au contraire devrait vous souder entre vous, vous réunir et vous donner envie de vous entr’aider, je vous en veux de pas prendre davantage soin les uns des autres, d’avoir la mémoire bien trop courte pour certains, de ne pas oser vous soulever en masse contre les maltraitances dont vous êtes souvent les victimes et dont vous préférez faire pâtir vos stagiaires, de ne pas remettre davantage en question des habitudes séculaires dans le traitement de vos pairs et qui, petit à petit, vous perdent.
Soignants, je vous souhaite bon courage pour la suite. Qui certes ne dépend pas que de vous, mais une partie quand-même, et celle-là contribuera à l’état d’esprit des générations futures, à leur bien-être dans leur futur métier et à la manière dont ils l’exerceront … donc à leur professionnalisme.
Re: Avoir son diplôme... et décider de ne pas exercer
Merci pour ce pavé (malheureusement il faut écrire un pavé pour décrire tout ce que vous décrivez), merci de décrire si justement cet état de faits. Moi aussi je suis affligée par ce qu'est devenu le milieu du soin. Aide soignante et auxiliaire depuis plus de trente ans et ancienne élève IDE de 2010 a 2012, non diplômée de 52 ans aujourd'hui...moi aussi tout comme Chris54 après deux années d'études validées dans l'IFSI tout bascule et sur un rapport circonstancié fabriqué de toute pièce sur un stage en troisième année, je suis priée par la directrice de l'établissement de disparaître des effectifs de l'IFSI. Aucune possibilité de reprendre ma troisième année dans un autre IFSI ..on se charge de me faire bonne presse dans d'autres lieux. Ce qui devait être la concrétisation d'un projet de reconversion professionnelle long de 8 ans se termine par une perte de confiance en moi, d’anxiété ect.. que j'évacue progressivement et une impasse professionnelle suite a un handicap physique qui m'empêche de poursuivre le métier d'aide soignant a cause des ports de charge. Autour de moi des soignants et anciens soignants dans ma famille qui ne comprennent pas ce qui s'est passé pour moi et d'autres de mes collègues. Quand on a décidé en haute instance ou quand quelqu'un ne rentre pas dans le moule on le jette sans aucun état d’âme, en le mettant plus bas que terre de préférence.CecileM74 a écrit :Ton témoignage, ainsi que celui d'Anne et ceux de plus en plus nombreux sur la question, me donne envie de réagir à mon tour au travers de ma propre expérience....
J’avais 33 ans et j’étais mère d’une petite fille de 6 mois lorsque j’ai entamé ma formation d’infirmière en 2009, aux lendemains d’un burn-out en règle dans l’agence de communication événementielle où je travaillais depuis plus de dix ans.
Ma famille sur quatre générations était composée de médecins et infirmiers et, après les cinq ans de suite de soins que nous avions vécu à la maison suite au grave accident de montagne de mon grand frère, je n’étais ni étrangère au soin, ni à l’univers des couloirs d’hôpitaux, de la maladie, de la souffrance ou de la mort.
Ma reconversion, dans une phase de vie où je gagnais très bien ma vie et où je n’aurais eu qu’à partir dans un grand groupe pour lever un peu le pied et récolter le fruit du travail durement accompli pendant une décennie, était motivée par un seul désir : donner du sens à mon métier, là où j’en trouvais de moins en moins dans l’univers parfois surfait des événements institutionnels. Travailler dans le soin, c’était pour moi revenir à l’essence même de la vie qu’on oublie facilement dans le monde de l’entreprise, et à ce qui devrait nous motiver à vivre ensemble : prendre soin de l’autre, aider, accompagner, aider, soulager.
Bienveillance, bienfaisance, bientraitance… Autant de termes qui, au sortir de ces années sans pitié où seul le poids de l’Euro trouvait grâce aux yeux des groupes au sein desquels on évoluait, trouvaient en moi une vraie résonance.
Mon parcours scolaire aura été un sans faute : 16/20 de moyenne générale sur les trois ans d’études, pas un seul partiel à rattraper, pas un stage de loupé, des appréciations positives en règle et les mots rassurants des soignants comme des formateurs me disant que je suis faite pour ce métier. On me promettait une jolie carrière et plusieurs offres d’emploi alléchantes se sont même présentées quelques semaines avant l’obtention officielle de mon diplôme. Il n’y avait donc à priori aucune erreur de casting.
Et pourtant. POURTANT.
Du haut de mes 33 ans de l’époque et de l’expérience acquise pendant quinze ans de vie seule en France et à l’étranger, je n’aurais jamais pu imaginer l’atmosphère dans laquelle j’allais évoluer pendant trois ans.
Je n’aurais jamais pu imaginer que mes convictions seraient à ce point ébranlées pendant trois années d’études, pas tant par la réalité du métier au chevet du patient, que celle en salle de soins et dans les couloirs d’hôpitaux.
Je n’aurais jamais pu imaginer l’ambiance délétère qui régnait la plupart du temps au sein des services et des équipes, tous plus pressurisés et maltraités par l’Institution les uns que les autres, et qui se répercutait directement sur les relations entre soignants et la qualité médiocre des soins conférés aux patients, malgré toutes les bonnes volontés du monde. Je n’aurais jamais pu imaginer les lourdeurs d’une hiérarchie hyper-verticale où la parole des sacro-saints supérieurs n’est pas discutable et où toute réflexion et prise de position des « petites gens » que nous sommes pour tenter d’améliorer les pratiques se fait au risque de devenir la bête noire d’un service du jour au lendemain. Je n’aurais jamais imaginé le sort réservé aux stagiaires, en bas de chaîne, et qui cristallisent l’ensemble des frustrations et insatisfactions d’un corps de métier unanimement en souffrance. Je n’aurais jamais imaginé la toute-puissance et les égos surdimensionnés qui font tourner des services sans remise en question sur leurs fonctionnements et sans possibilité d’échange réel avec les équipes pluridisciplinaires (à l’exception de la psychiatrie qui, pour ces raisons-là, était le seul domaine dans lequel je pouvais encore envisager travailler en sortie de diplôme) ; je n’aurais jamais imaginé les petits actes de maltraitance quotidienne subie par les plus faibles et fragiles d’entre nous et qui, pour au moins 15 d’entre eux entre le début et la fin de formation, de tous âges et de toutes compétences initiales confondues, ont arrêté leur formation pour ces raisons-là, malgré leurs résultats scolaires honorables et leur motivation à apprendre.
Apprendre ! Gros mot s’il en est, à en juger par les réactions de nombreux soignants de tous horizons qu’on découvre en parcourant les témoignages publiés sur votre site ou sur des forums de témoignages.
Je venais du monde sans pitié de l’entreprise où, pourtant, on chérissait nos stagiaires : de la main d’œuvre gratuite ou presque, corvéable à merci, motivée et souple.
Je suis arrivée, animée par mon besoin de retrouver des relations vraies et saines entre les gens, dans un monde supposé représenter à lui seul toute l’humanité et la bienveillance incarnées, pour finalement me trouver immergée dans un monde fatigué, essoufflé, dur, hostile, prisonnier d’habitudes ancestrales qu’il est plus facile de conserver (tout en s’insurgeant unanimement contre la barbarie de certaines pratiques) plutôt que de remettre réellement en question une bonne fois pour toutes, ce qui constituerait en soit un chantier colossal à mener en plus des tâches déjà lourdes à gérer au quotidien.
Je ne blâme personne en particulier. Si ce n’est l’Institution qui, victime de ses lourdeurs et de sa pesanteur, forme des générations de soignants en souffrance sans trouver d’autre réponse que de toujours diminuer les budgets et pondre des réformes politicardes absolument pas en prise avec la réalité du métier. Entretenant par là-même le cycle de maltraitances entre soignants dont il est de plus en plus souvent ouvertement question.
Mais pourquoi faudrait-il à tout prix traverser le parcours du combattant pour gagner ses lettres de noblesse dans le métier ?
Pourquoi faudrait-il souffrir à tout prix pour prouver qu’on est digne d’être soignant ?
Pourquoi faudrait-il invariablement traverser un long et lent bizutage en règle de trois longues années (… alors je ne parle pas des étudiants en médecine) pour prouver notre motivation et raison d’être dans ce métier ?
Pourquoi l’étudiant qui n’aurait pas eu son « stage de merde » en règle serait moins crédible que tous les autres ?
Pourquoi faudrait-il sans cesse opposer deux mondes à priori complémentaire et qu’on pose comme contradictoires, celui des soignants d’un côté, et celui des aspirants soignants de l’autre ?
Le temps n’est-il pas venu de mettre de côté une bonne fois pour toutes les bonnes veilles valeurs judéo-chrétiennes qui bercent la profession et l’entretiennent inlassablement dans cette idée inconsciente « qu’il faut souffrir pour trouver le salut » ?
En 2015, dans un corps de métier qui aspire à gagner ses lettres de noblesse, dans un monde de soin malmené et en constante évolution, il me semble que si.
Il serait grand temps.
La faute à qui ?
A l’Institution, qui pressurise, néglige et maltraite chaque jour un peu plus ses soignants épuisés, exaspérés, trouvant de moins en moins de sens à leur tâche et de temps pour témoigner de leur humanité en dehors des chambres des patients ?
A la formation, si décalée de la réalité du métier et qui forme des bombes à retardement en herbe incapables de se remettre en question, si l’on en croit les témoignages des anciens ?
A l’inertie du Groupe, de l’Equipe, au sein de laquelle chacun se protège individuellement au risque parfois de cautionner l’inacceptable, et à des habitudes séculaires qu’il serait trop coûteux de bouleverser et de changer une bonne fois pour toutes?
A un désir inconscient de revanche des anciens sur les jeunes générations, qui ne verraient pas l’intérêt de stopper une fois pour toutes ces actes de violence ordinaires dont ils ont été eux-mêmes les victimes quelques années plus tôt sous prétexte que « c’est de bonne guerre » ?
A la dureté du milieu du Soin, orchestré par des soignants souvent très compétents au chevet du patient mais qui, habitués à prendre sur eux toute la misère du monde 7 à 12 heures par jour dans des conditions de travail souvent délétères, trouvent une sorte d’exutoire malsain dans le déchargement de leurs foudres sur les stagiaires et autres petites mains ?
Je venais chercher dans ce métier une nourriture spirituelle. J’étais prête à encaisser les salaires de misère, les horaires invraisemblables, le poids des hiérarchies infantilisantes, pour me nourrir intellectuellement au contact des équipes pluridisciplinaires et donner du sens à mon métier. Je n’ai entr’aperçu que des équipes fatiguées, maltraitées et parfois maltraitantes, travaillant à la chaîne, figées dans des fonctionnements immuables et une bureaucratie omniprésente parfois vides de sens, n’ayant pour seul coin de soleil, les pauvres, que la perspective heureuse de leurs vacances et de leurs jours de congés, et les considérations parfois douteuses de certaines sur ces stagiaires qu’elles sont un jour été, visant finalement à les rassurer elles-mêmes sur leur propre sort et surtout sur le fait que cette étape est heureusement passée…
Quoi qu’il en soit, je n’ai de cesse de m’étonner du nombre de témoignages de personnes souffrant de relations interprofessionnelles asservissantes, de tous profils et de tous âges, soignants comme aspirants soignants, souffrances qui doivent être partagées par un grand nombre depuis bien longtemps, et de constater que rien ne bouge.
Alors qu’il en va de la santé de la Corporation et l’Institution elle-même.
Corporation qui, au regard des témoignages fréquents, est fragilisée comme jamais.
Tout cela me laisse bien pessimiste. Et, au risque de me faire happer moi aussi par le poids de l’institution et du système, j’ai préféré sortir du circuit avant que ce dernier me casse en deux. Diplôme en poche, je n’ai jamais exercé. Et devant l’incompréhension générale et les regards désapprobateurs de bien des gens qui m’entourent, suis partie, soulagée, chercher un peu d’humanité dans un autre univers que celui du soin. Avec comme quête de Sens, celle finalement de simplement mener une existence en accord avec mes principes de vie et valeurs fondamentales, sans maltraitance ni violence ni prise de pouvoir d’aucune forme. Dans un monde où mes valeurs profondes ne seraient pas lentement écrasées par le poids de l’institution et piétinées par des habitudes ancestrales jamais remises en question. Dans un monde où je pourrais simplement être moi, sans concession ni faux-semblant ni peur d’être mise au rebut par le Groupe pour avoir simplement osé exprimer une désapprobation.
Certains appelleront ça lâcheté. J’appelle ça réalisme et intégrité personnelle.
Je n’ai pas la capacité de changer l’institution à moi seule.
Elle, en revanche, pour y avoir assisté avec nombre de mes anciens collègues, a bien la capacité à me casser en deux. Je ne cautionne pas ce que j’ai vu en interne, au sein même du monde soignant, je ne cautionne pas la manière dont l’Institution vous traite et qui explique bien des débordements par effet « boule de neige », je ne cautionne les témoignages de souffrances et de harcèlement moral de tous registres que je lis de plus en plus souvent sur les sites professionnels, je ne cautionne pas ce à quoi j’ai assisté pendant mes trois ans de formation au sein des équipes, sans pour autant en avoir été la victime directe, alors que j’aimais pourtant ce métier « dans l’absolu » et partageais les valeurs soignantes « dans l’absolu » également.
Mais l’envers du décor aura eu raison de ma bonne volonté.
C’est très personnel, je respecte et admire celles et ceux qui tiennent bon contre vents et marées et je les bénis d’exister car ce sont eux qui me soigneront demain, mais en ce qui me concerne le décalage avec mes valeurs aura simplement été trop grand.
Et le jour où la décision, très coûteuse à prendre, a été finalement affirmée, je me suis sentie soulagée d’un grand poids.
Non, je n’étais peut-être pas faite pour ce métier, malgré les bons résultats scolaires et encouragements de la profession. Cela ne fait pas tout.
Soignants, je vous admire. De tenir bon le cap et de vous accrocher malgré l’agitation d’un océan d’abandon, d’oubli, de lois et de réformes toutes plus invraisemblables les unes que les autres. De vous donner corps et âme à vos patients pour la grande majorité d’entre vous, en dépit des conditions de travail délétères et de la face immergée de l’iceberg dont on ne peut malheureusement prendre conscience qu’en évoluant professionnellement dans l’univers du soin.
Soignants, je vous plains. De ne pas être entendus dans votre souffrance, de ne pas être soutenus par votre hiérarchie et encore moins par l’Institution, de ne pas avoir les moyens de travailler correctement, et de vous voir confier chaque jour qui passe une tâche nouvelle venant se rajouter à la longue liste de celles à accomplir déjà pour hier.
Soignants, je vous en veux. Dans ce contexte général qui au contraire devrait vous souder entre vous, vous réunir et vous donner envie de vous entr’aider, je vous en veux de pas prendre davantage soin les uns des autres, d’avoir la mémoire bien trop courte pour certains, de ne pas oser vous soulever en masse contre les maltraitances dont vous êtes souvent les victimes et dont vous préférez faire pâtir vos stagiaires, de ne pas remettre davantage en question des habitudes séculaires dans le traitement de vos pairs et qui, petit à petit, vous perdent.
Soignants, je vous souhaite bon courage pour la suite. Qui certes ne dépend pas que de vous, mais une partie quand-même, et celle-là contribuera à l’état d’esprit des générations futures, à leur bien-être dans leur futur métier et à la manière dont ils l’exerceront … donc à leur professionnalisme.
Re: violence ordinaire
Ton témoignage est tout simplement magnifique, il méritait bien plus que le mien d'être publié . Peut être un peu long mais surtout il dénonce de façon très juste tout le système !!
Je n'aurais jamais été capable d' exprimer aussi bien mon ressenti,surtout en terme de désillusion
Félicitation et merci pour ton soutien
Je n'aurais jamais été capable d' exprimer aussi bien mon ressenti,surtout en terme de désillusion
Félicitation et merci pour ton soutien
Re: violence ordinaire
Ton témoignante ma vraiment émus!
Dans 3 mois je serai diplômé et beaucoup de questions se mêlent dans mon esprit ...
On me parle de personnalité pour travailler dans un service ou un autre ... Ca veut dire quoi ? que tu parce que tu ne fais pas de sport, tu n'es donc pas apte a travailler en urgence ? Que si tu porte un jean's tu ne peut que travailler en gériatrie ? Que faire ...
On me me parle de mode scolaire et de mode infirmier diplôme ... Ca veut dire quoi ? Que parce que tu es diplômé tu change la façon dont tu soigne tes patients parce que tu as 5 autres patients à prendre en charge et que tu dois changer ta façon de faire ? Que faire ...
On me parle de métier de relation soignant soigné et de but de prendre soins ... Mais à partir du moment où tu passe les 3/4 du temps devant ton pc et ton dossier pour retabliser tes soins et offrir des sous a ton hopital et donc offrir de meilleur soins ... Le meilleure soins serait-il celui de produire de l'argent ? ... Que faire ...
Tous ça sur une décision après 3 ans de formation ...
Dans 3 mois je serai diplômé et beaucoup de questions se mêlent dans mon esprit ...
On me parle de personnalité pour travailler dans un service ou un autre ... Ca veut dire quoi ? que tu parce que tu ne fais pas de sport, tu n'es donc pas apte a travailler en urgence ? Que si tu porte un jean's tu ne peut que travailler en gériatrie ? Que faire ...
On me me parle de mode scolaire et de mode infirmier diplôme ... Ca veut dire quoi ? Que parce que tu es diplômé tu change la façon dont tu soigne tes patients parce que tu as 5 autres patients à prendre en charge et que tu dois changer ta façon de faire ? Que faire ...
On me parle de métier de relation soignant soigné et de but de prendre soins ... Mais à partir du moment où tu passe les 3/4 du temps devant ton pc et ton dossier pour retabliser tes soins et offrir des sous a ton hopital et donc offrir de meilleur soins ... Le meilleure soins serait-il celui de produire de l'argent ? ... Que faire ...
Tous ça sur une décision après 3 ans de formation ...