Officiellement installée dans le paysage sanitaire depuis 1957, année de la création d’un premier établissement de ce type, l’hospitalisation à domicile (HAD) a pour mission de répondre à des besoins spécifiques de prise en charge de patients lourds, sortant d’hospitalisation ou pour leur éviter un passage par l’hôpital. Mais pour les libéraux, les établissements d’HAD, qu’ils soient privés ou rattachés à la fonction publique hospitalière, sont coupables de grignoter leur activité, malgré l’encadrement réglementaire strict auquel ils sont soumis. "Concurrence déloyale"
, "vol de patientèle"
, "non-respect des critères de prise en charge"
…, les reproches qui leur sont adressés se justifient-ils toutefois encore ? Panorama d’une relation complexe, qui se caractérise dans les faits par une hétérogénéité des pratiques et des situations.
Des relations encore conflictuelles
Les griefs contre l’HAD n’ont que peu, voire pas, changé et restent, en grande majorité, associés à un non-respect de la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP). Se retrouve le sentiment persistant de "captation de patientèle", un phénomène d’autant moins toléré lorsque l’infirmier libéral n’est pas autorisé à suivre son patient lorsque celui-ci est admis en HAD. "Parfois, on découvre que l’un de nos patients est pris en charge par l’HAD, à sa sortie d’hospitalisation par exemple, sans qu’on en ait été averti. Et ça peut générer des situations conflictuelles, effectivement"
, explique François Casadei, président de l’URPS de Normandie. Et c’est sans compter les structures d’HAD qui se positionnent sur des prises en charge "un peu ineptes"
, qui ne requièrent a priori pas leur intervention. "Dans notre région, quelques établissements ont tendance à prendre en charge un peu tout et n’importe quoi, à se charger de soins qui ne relèvent pas de la compétence de l’HAD"
, constate de son côté Lucienne Clautres-Bonnet, présidente de l’URPS de la région PACA.
L’HAD en quelques chiffres |
Et lorsque les établissements font appel à des libéraux, il arrive que ceux-ci éprouvent l’impression "de boucher les trous, d’être inclus dans les équipes HAD uniquement afin que celles-ci répondent aux critères qui leur sont imposés"
. D’où, parfois, le sentiment chez les libéraux d’un manque de reconnaissance de leurs compétences, qui seraient considérées comme étant moindres que celles des infirmières opérant au sein des structures, et d’une prise en charge dégradée du patient car découpée en actes multiples, opérés par une pluralité de professionnels. Autre pierre d’achoppement en cas de collaboration : des rémunérations jugées inadéquates par rapport aux actes réalisés par les libéraux. A titre d’exemple,"la majoration de coordination infirmière (MCI) n’est pas facturable auprès des structures par les libéraux, alors qu’elle est dans la nomenclature"
, souligne François Casadei. Et Mme Claustres-Bonnet d’ajouter que certains établissements ne versent les rémunérations que "a minima, 45 jours, voire deux mois après la facturation"
.
La captation de patientèle est encore une réalité dans certains endroits
Du côté des HAD, on ne nie pas l’existence de ces problématiques. "La captation de patientèle est encore une réalité dans certains endroits"
, admet le Dr Elisabeth Hubert, directrice de la FNEHAD, qui temporise néanmoins en rappelant que "les établissements sont très contrôlés par les caisses d’assurance maladie. S’ils prennent en charge des malades trop légers, pour lesquels une HAD ne se justifie pas, ils s’exposent à des risques réels de poursuites"
. Et d’ajouter que les libéraux se refusent parfois à réaliser les astreintes de nuit qui leur sont transférées par les établissements ou à multiplier les passages à domicile : "En HAD, nous avons des patients très lourds. Et il arrive, dans certains endroits, que nous éprouvions des difficultés à assurer la continuité des soins."
Pour autant, ces cas de figure seraient, selon elle, minoritaires.
Une hétérogénéité de situations
L’état des relations entre libéraux et structures HAD varie d’un territoire à l’autre et dépend en réalité principalement du mode de fonctionnement de ces dernières. "On constate surtout des difficultés lorsque les établissements HAD ne travaillent pas, ou alors très peu, avec des infirmiers libéraux parce qu’ils ont conservé des équipes salariées pour faire les soins à domicile"
, explique ainsi le Dr. Elisabeth Hubert, qui estime à 10 % la part des structures, "souvent les plus anciennes"
, répondant à cette définition. Un constat que partagent les URPS, qui s’accordent sur la véritable hétérogénéité des situations, en milieu urbain comme rural. "En PACA, certains travaillent exclusivement avec des salariés et très peu avec des libéraux. Ils ne font appel aux libéraux que lorsqu’ils sont dans l’incapacité de répondre aux demandes et qu’ils risquent des ruptures de prises en charge"
, illustre Lucienne Claustres-Bonnet. Au contraire, les établissements d’HAD dont les équipes salariées ne sont chargées que de la coordination et qui font exclusivement appel aux IDEL pour réaliser les soins semblent plus vertueux. "Notre dernière réunion organisée avec le délégué de la FNEHAD a permis de réintroduire la collaboration entre IDEL et HAD. Car les structures se sont progressivement séparées de leurs infirmiers salariés et en sont venues à recourir essentiellement aux libéraux"
, confirme M. Casadei.
La collaboration avec l’HAD s’accompagne d’un volet technique très intéressant au niveau de la prise en charge à domicile
Prise en charge de la coordination entre professionnels, organisation de formations, intégration dans une équipe pluriprofessionnelle… dès lors qu’un établissement HAD s’appuie sur une équipe de soin composée exclusivement de libéraux, les avantages ne manqueraient en réalité pas. D’autant plus, ajoute Elisabeth Hubert, qu’une telle collaboration permet aux IDEL "de renouer avec des soins très techniques, complexes"
, qu’ils n’ont pas la possibilité d’effectuer au sein de leur seul exercice libéral. "Elle s’accompagne d’un volet technique, qui est très intéressant au niveau de la prise en charge à domicile"
, confirme François Casadei, qui souligne par ailleurs que, lorsque l’infirmier libéral est pleinement intégré dans l’équipe HAD, "la prise en charge globale du patient en est renforcée"
. "Et il y a des situations où l’HAD est absolument nécessaire"
, comme lors de la réalisation de pansements à pression négative ou dès lors que certains soins requièrent des consommables spécifiques, difficilement accessibles aux libéraux. Quant aux établissements eux-mêmes, travailler avec les IDEL leur apporte "une souplesse de proximité, qui permet de plus grandes réactivité et adaptabilité, donc un fonctionnement plus fluide"
, soutient Elisabeth Hubert. En effet, dans les territoires éloignés, le recours aux libéraux apparaît indispensable car il évite aux structures les déplacements de longue distance.
Un dialogue constant
Est-ce à dire que l’image défavorable dont pâtit l’HAD auprès des infirmiers libéraux serait avant tout due à une poignée d’établissements mauvais élèves, dont le nombre tendrait par ailleurs à se réduire, entraînant une amélioration générale des relations ? Si Lucienne Claustres-Bonnet juge que "rien n’a changé"
, que "la situation ne s’est pas améliorée, mais [qu']elle ne s’est pas détériorée non plus"
, la directrice de la FNEHAD, elle, se veut beaucoup plus optimiste : "Tout n’est pas parfait, loin de là. Mais je pense que, globalement, nous avons atteint avec les infirmiers libéraux une relation plus apaisée"
. Cette détente s’expliquerait en partie par les concertations qui se sont mises en place entre la fédération et les quatre principaux syndicats d’IDEL (SNIIL, ONSIL, FNI et Convergence Infirmière) à la fin des années 2000 et qui ont permis "d’établir un document contractuel type qui soit à peu près admissible par tous"
définissant clairement les compétences et prérogatives de chacun. Sans qu’il soit toutefois nécessairement appliqué par l’ensemble des établissements adhérents de la fédération, reconnaît-elle, puisqu’il n’a pas été signé par les organisations syndicales et n’a donc pas valeur d’obligation.
Au niveau régional, les URPS demeurent les interlocuteurs privilégiés des établissements d’HAD en cas de situation conflictuelle. "En tant que président, j’ai souvent organisé des réunions bilatérales entre HAD et URPS afin que nous harmonisions nos relations et que nous travaillions mieux ensemble"
, précise ainsi François Casadei. Des discussions qui peuvent ensuite donner lieu à des chartes de bonnes pratiques partagées entre les structures et les libéraux. Le virage ambulatoire emprunté par le système de soin, et dans lequel sont amenées à s’intégrer de plus en plus de CPTS , autres interlocutrices que l’HAD ne pourra pas négliger, contraint de facto les deux parties à trouver un terrain d’entente plus solide. "L’HAD fait partie de l’offre de soin ; il nous faut nécessairement travailler ensemble"
, défend M. Casadei. Et Elisabeth Hubert de renchérir : "Nous ne sommes pas toujours obligatoirement d’accord sur tout. Mais il existe désormais un vrai dialogue entre HAD et IDEL. Et de plus en plus d’établissements de HAD travaillent maintenant en partenariat étroit avec les libéraux"
.
Accédez au deuxième volet de l’enquête : Infirmiers libéraux et HAD, quand une collaboration réussie est possible
Audrey ParvaisJournaliste audrey.parvais@gpsante.fr
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