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EQUILIBRES : le nouveau dispositif qui redonne du sens au métier

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Publié le 13/09/2024

En voie de généralisation, le dispositif EQUILIBRES induit un changement de paradigme pour les infirmiers libéraux, entre sa rémunération au tarif horaire et l’importance accordée à l’équipe. Son objectif : redonner du temps et donc du sens au métier.

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C’est l’un des tout premiers projets issus de l’Article 51 à être en cours de généralisation : EQUILIBRES (pour EQUipes d’Infirmières LIBres, Responsables et Solidaires) entend proposer un autre mode d’organisation et de rémunération pour les infirmiers libéraux (IDEL). Lancée en 2018 par l’association Soignons humain, l’expérimentation s’inspire d’un modèle venu des Pays Bas (voir encadré). Celui-ci s’appuie sur le travail d’équipe et réfléchit « la santé de manière très holistique, en remettant la relation, entre l’équipe et les patients, au centre », explique Mathieu Nochelski, co-fondateur de Soignons humain et infirmier, et anciennement cadre de santé pédagogique à l'IFSI Ambroise Paré (Lille) jusqu'en 2019. Le dispositif repose également sur un tarif horaire, qui vient remplacer le système traditionnel fondé sur la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) Avec un double objectif : redonner du temps aux IDEL afin qu’ils accompagnent au mieux les patients afin qu’ils s’autonomisent dans leur parcours de soin, et répondre à leur épuisement professionnel.

Déjà déployé dans trois régions, le dispositif a intégré 180 infirmiers et permis de soigner 23000 patients

Un système fondé sur le volontariat

Nationale et fondée sur le volontariat, l’expérimentation a intégré 180 infirmiers et a permis de soigner jusqu’à fin 2023 environ 25 000 patients dans les trois régions où elle a été déployée (Hauts de France, Ile-de-France et Occitanie), continue-t-il. « Nous avons eu rapidement un afflux » de volontaires. Une condition pour participer : arriver en équipe, composée au minimum de 3 professionnels, dont les possibles remplaçants. Et pour que la prise en soin des patients fonctionne, « le choix devait être fait pour l’ensemble du cabinet », précise Chrystèle Leman, co-fondatrice de l’association et infirmière, et qui a elle aussi été cadre de santé formatrice à l’IFSI Ambroise Paré jusqu'en 2019. « Ils ont dû s’engager sur une charte éthique qui reprenait les piliers de l’expérimentation, expliquait les droits et devoirs de chacun », ajoute Mathieu Nochelski.

Un dispositif inspiré par les Pays-Bas
EQUILIBRES s’inspire de l’approche Buurtzorg, née aux Pays-Bas sous l’impulsion de l’infirmier Jos de Blok. Confronté à un modèle qui fragmente la prise en charge entre infirmiers en fonction de la nature de chaque acte et provoque burn-out à répétition chez ces professionnels, il imagine un autre mode d’organisation fondé sur une rémunération au tarif horaire et qui favorise l’auto-organisation. L’équipe infirmière est accompagnée d’un facilitateur formé à la communication non-violente pour aider à aplanir les difficultés ou conflits éventuels entre professionnels et entre professionnels et patients. « Ce que les infirmiers ne voulaient pas gérer, c’était la complexité de la comptabilité et les contrats. L’intention de Jos de Blok a été de remettre de l’importance dans la relation avec l’équipe mais aussi avec les patients et les aidants », explique Mathieu Nochelski Au bout d’un an, ce nouveau mode d’organisation fait ses preuves en réduisant les dépenses associées notamment aux hospitalisations. Aujourd’hui, aux Pays-Bas, ce sont près de 17 000 IDEL qui travaillent de cette manière, pour plus de 1000 équipes.

L’équipe est remise en valeur, nous ne sommes plus seuls chacun de notre côté. Nous avons retrouvé de la bienveillance entre nous, et ça participe à améliorer la continuité des soins. 

Le travail en équipe, premier pilier du dispositif

« Le pilier essentiel du projet, c’est celui de l’équipe », souligne Chrystèle Leman. Celui-ci s’incarne dans l’engagement des IDEL à organiser des temps d’échange pour évoquer aussi bien les modes d’organisation que les patients, leurs parcours de soins et l’évolution éventuelle de leurs besoins. Si ces temps ne sont pas rémunérés par le dispositif tel qu’il est pensé, ils sont toutefois jugés aussi bien facilitateurs que nécessaires. « Quand on est IDEL, on est à domicile, seul face aux patients ; on est avec notre conscience professionnelle », témoigne Kheira Selmani, IDEL depuis 2016 et dont le cabinet a intégré l’expérimentation en 2022. « Là, l’équipe est remise en valeur, nous ne sommes plus seuls chacun de notre côté. Nous avons retrouvé de la bienveillance entre nous, et ça participe à améliorer la continuité des soins. »

Le soutien d’un coach dédié

Chaque équipe a été formée à tenir organiser ces réunions et est par ailleurs soutenue par un coach dédié, envoyé par l’association. Aux professionnels de définir les modalités de ces réunions. Si l’équipe de Kheira Selmani se réunit une fois par mois, où elle « présente ce qui a émergé dans nos prises en charge, dans nos vécus », celle de Sandrine Tournier, IDEL depuis 2012, y ajoute des temps d’échange tous les trois jours, pour coller à son mode de fonctionnement : deux IDEL qui travaillent chacune 3 jours d’affilée et une remplaçante. « EQUILIBRES nous oblige à prendre ces temps, qui ne nous paraissaient pas forcément importants avant, mais qui le sont parce que nous travaillons toujours en décalé », témoigne-t-elle. Le dispositif pousse également les IDEL à revoir la manière dont ils envisageaient jusque-là le travail en équipe et à s’interroger sur celle dont ils accompagnent les patients. « Petit à petit, ils en viennent à se demander s’ils orientaient réellement leur réflexion vers la recherche de solutions pour les patients », observe Mathieu Nochelski. « Quand ils commencent à découvrir comment ils fonctionnent individuellement et en équipe, cela peut provoquer des choses très intéressantes dans leur accompagnement. »

L’idée du dispositif n’est pas de « courir après les actes » mais plutôt d’éduquer les patients afin qu’ils soient acteurs de leur santé.

Un tarif horaire qui favorise l’approche holistique

Un accompagnement qui, à domicile, s’oriente sur une prise en charge holistique avec une visée d’autonomisation des patients. L’idée du dispositif n’est pas de « courir après les actes » mais plutôt d’éduquer les patients afin qu’ils soient acteurs de leur santé et que les IDEL se rendent « le plus invisibles possible », poursuit Sandrine Tournier. Cette orientation suppose de prendre plus de temps auprès du patient, notamment lors des premières semaines de prise en charge, ce qui est rendu possible par un mode de rémunération différent de la NGAP. Les infirmiers d’EQUILIBRES sont en effet rémunérés selon un taux horaire : 53,94€ de l’heure, négocié avec l’Assurance maladie, indique Mathieu Nochelski. À noter que les IDEL demeurent « pleinement des libéraux ». Ils interviennent ainsi auprès des patients suite à une prescription médicale, et conservent leur affiliation à l’Urssaf et à la Carpimko.

Pour déclarer ce qu’ils accomplissent (actes comme actions de prévention ou d’éducation), les IDEL ont recours au OMAHA system, soit un logiciel qui intègre le plan de soin de chaque patient, ses antécédents, son degré d’autonomie ou encore s’il est atteint d’une pathologie chronique, détaille Kheira Selmani. D’autres données – environnementales, psycho-sociales – sont également mentionnées. « Et en fonction de ces données, on pose son diagnostic en fonction des besoins : soins quotidiens, aide à la toilette, surveillance de l’état cutané et de la glycémie si le patient est diabétique. » Dans un souci d’autonomisation du patient, des objectifs peuvent être fixés, comme parvenir à construire seul son pilulier. L’outil sert également de facto à assurer la continuité des soins entre les différents infirmiers. « Comme dans une structure de soin, le logiciel permet de tracer tout ce qu’il se passe dans la vie des patients », résume Sandrine Tournier.

C’est surtout ce logiciel qui permet aux IDEL d’être rémunérés. Ils y enregistrent le temps passé auprès de chaque patient pour chaque acte et action, les données étant ensuite transmises à Soignons humain, qui fait le lien avec l’Assurance maladie, expliquent les deux co-fondateurs de l’association. « C’est moins de charge mentale pour les IDEL, au bénéfice du patient », relève Chrystèle Leman, car loin de la complexité de la NGAP et la menace des contrôles qu’elle fait planer. « Dans le carcan du dispositif traditionnel, 90% des IDEL se forment sur le Bilan de soins infirmiers et la NGAP. » À noter que les temps dédiés à la coordination des soins avec les autres professionnels de santé, réalisés à domicile, sont également rémunérés.

L’essentiel : retrouver du sens …et du temps

Le dispositif EQUILIBRES n’induit pas ou très peu de diminution de la charge de travail, estiment par ailleurs les deux IDEL. « Nous avons moins de patients dans le fil de la journée qu’avant parce que nous prenons plus de temps pour chacun », explique ainsi Sandrine Tournier. Un patient qui gagne en autonomie et requiert donc moins de passages de l’IDEL permet en effet de libérer des créneaux pour d’autres patients. Côté financier, les professionnels ne constatent pas de gain substantiel non plus. Mais l’essentiel est ailleurs. Dans le confort de travail et l’amélioration des conditions d’exercice, dans la souplesse et la possibilité de proposer des solutions co-construites avec les patients et qui supposent de redonner du sens au lien soignant-soigné. « Cela nous redonne du sens », abonde Kheira Selmani, qui y voit également un moyen de remobiliser « un certain regard professionnel ». « On se recentre sur les besoins auxquels on est les seuls à pouvoir répondre. »

Les deux infirmières soulignent ainsi l’intérêt de pouvoir prendre du temps pour échanger avec les patients grâce au taux horaire. « Le fait d’être valorisée en fonction du temps, ça donne du sens à notre rôle. Être infirmier, c’est s’asseoir avec les patients, voir comment ils vont, pas seulement piquer et panser. Les infirmiers en nomenclature le font, et c’est ce temps que le patient va retenir. Ce qu’il veut, c’est tout le côté relationnel, qui est invisible dans la nomenclature. Alors que c’est essentiel », complète Sandrine Tournier.

9 millions d’euros économisés par an

Ce sentiment de sens retrouvé, c’est également ce que mettent en avant la Drees et l’Assurance maladie dans leur rapport d’évaluation de novembre 2023, qui identifie « un retour d’expérience très positif des infirmiers expérimentateurs ». Et côté finances, la CNAM y voit aussi un avantage : au global, elle constate « une diminution moyenne par patient et par an de -1624 € (-25% en faveur de EQUILIBRES) », soit un différentiel de près de 9 millions d’euros, grâce au maintien à domicile des patients et à une réduction des hospitalisations. « Le temps passé auprès d’un patient n’est jamais perdu. Certes, on va peut-être passer un peu plus de temps au départ, et ça va peut-être coûter un peu plus cher. Le rapport l’a montré : ce n’est pas forcément sur les soins infirmiers qu’on fait de l’économie, mais on va économiser beaucoup de choses derrière », éclaire ainsi Chrystèle Leman.

Quel processus de généralisation ?

Engagé depuis le 3 janvier et la publication du décret qui le cadre, le processus de généralisation prendra 18 mois. Les deux co-fondateurs espèrent également une révision du tarif horaire, avec une augmentation de 7 à 8% pour compenser l’inflation. « C’est une vraie transformation, un vrai changement », fait valoir Mathieu Nochelski, qui doit pousser la CNAM à modifier « un peu son état d’esprit » pour appliquer le dispositif à une plus vaste échelle. Pour autant, il ne s’agit pas d’imposer EQUILIBRES comme unique modèle à l’avenir, insistent les deux cadres de santé. « Les IDEL s’inquiètent pour l’avenir de leur métier. Nous ouvrons une porte pour répondre aux besoins de certains, c’est une première réponse », conclut Chrystèle Leman.


Source : infirmiers.com