Cela se passe quelque part en Guadeloupe... et c’est Pierrette Meury, une IDEL avec 20 ans de métier qui nous le raconte... Ce texte « coup de gueule » témoigne de ce que vivent aujourd’hui les infirmiers à domicile ou ce que l’on pourrait appeler « Chronique d’une pénurie médicale annoncée ! ».
Laissez-moi vous raconter les 24 heures que je viens de vivre, 24 heures de la vie ordinaire d’une infirmière à domicile... Les 24 heures qui précèdent le décès d’une dame âgée….
Samedi, 13h – Geneviève, la fille d ‘une patiente âgée que j’avais suivie pour des soins post-opératoires, il y a quelques mois, m’appelle. « Depuis hier, je cherche à joindre notre médecin traitant, en vain. Maman n’est pas bien, elle semble épuisée, répond peu et reste couchée ». « Maman » a 90 ans, a le physique d’un petit oiseau fragile avec un appétit de moineau. Habituellement, elle déambule dans le domicile et a perdu l’usage de la parole il y a quelques années. Elle communique par signes, sans désorientation. Depuis une semaine, « maman » s’alimente très peu et boit avec parcimonie un verre d’eau maximum par 24 heures. Il fait chaud et je devine qu’elle aura besoin d’hydratation.
14h – Je pars avec le nécessaire pour perfuser, au cas où… Arrivée sur place, je prends les constantes, correctes. La patiente asthénique, apyrétique, répond par des battements de paupière qu’elle a mal à la tête. La fille refuse une hospitalisation. Je procède à un bilan le plus complet possible.
15h – J’appelle le service de garde, attente… Second appel... attente… Le médecin ne peut pas venir à domicile. J’explique les résultats de l’observation complète (transit, urines, signes de déshydratation, satO2, pouls, TA, température, pas de signes AVC...). J’obtiens l’accord pour la pose d’un litre de G5 en sous-cutané sur 24 heures. La perfusion posée, je me rends à la maison de garde pour récupérer la prescription qui me couvre sur le plan juridique et me permettra le paiement de mon soin auprès de la sécurité sociale . Il est 17 heures.
Dimanche, 8 h – Genevieve me téléphone, « maman semble fiévreuse, elle souffre, elle gémit, ne supporte pas le moindre mouvement ». Je suis en soins, loin de chez elle. Je lui conseille d’appeler le SAMU pour qu’une prise en charge antalgique correcte soit possible et qu’un médecin l’examine. Elle appelle en précisant « pas d’hospitalisation, patiente 90 ans... ». Le SAMU ne se déplace pas pour ce genre de prise en charge, le médecin de garde sur le secteur va rappeler…
10h - J’arrive à domicile avec un flacon de Perfalgan 1g (reste d’une prise en charge HAD, puisque rien n’est récupéré par la clinique...). Depuis ce matin, aucun appel médical... ils attendent et la patiente poursuit ses gémissements. Examens paramédical : abdomen souple, pas de globe, patiente consciente, asthénique, perfusion en cours, gémissement continu, TA 11/8 pouls 112, température 37°8, crie au moindre mouvement, aux effleurements. J’appelle le SAMU pour obtenir une prescription téléphonique. Le régulateur m’oriente vers le médecin de la maison de garde. Je m’entends dire que celui-ci ne peut pas faire de prescription téléphonique, qu’il me faut appeler le SAMU. Je lui explique que je suis déjà orientée par le SAMU vers lui, il est embarrassé, le médecin de garde ne vient pas à domicile... Je le supplie que devant une patiente en fin de vie, très algique, nous devons humainement trouver une solution… Il appelle son confrère à la maison médicale de garde afin qu’il me reçoive avec le bilan d’observation. Arrivée sur place, je patiente 40 minutes, et obtiens finalement une prescription d’antalgique palier 1 par voie rectale. Merci monsieur le médecin de garde ! Merci pour elle, il est midi, je n’ai pas terminé ma tournée de soins. Les 24 heures qui arrivent ne s’annoncent pas sereines, avec un protocole palier 1...
« Une infirmière dégoutée que son action ait si peu d’efficacité malgré l’énergie engagée »
Deux heures pour quels résultats ?
Deux heures d’exercice infirmier, en soins de premiers recours. Deux heures de bilan (pour ne pas dire consultation) infirmière. Deux heures de participation à la permanence des soins. Je suis infirmière, je ne suis pas professionnelle du premier recours, il n’existe ni budget, ni texte me permettant de participer à la permanence des soins, la consultation infirmière n’a pas de reconnaissance et l’expertise infirmière a-t-elle une valeur ?
Une situation de pénurie médicale, des infirmiers qui compensent tant bien que mal le déficit médical, présents tous les jours sur le terrain en raison de leur obligation de continuité de soins. Un cadre très strict de la garde médicale qui interdit au médecin de quitter la maison de garde. Un médecin qui m‘explique qu’il était déjà de garde, hier, sur une autre commune, que seul un médecin sur sept accepte ces astreintes, un manque criant de médecins…
Une dame âgée qui va vers sa fin de vie en criant de douleur pendant des heures. Une prise en charge antalgique insuffisante parce qu’aucun cadre juridique n’a permis à ce médecin disponible et débordé au local de garde de me prescrire autre chose, parce qu’aucun médecin n’a pu venir au domicile.
Une infirmière dégoûtée que son action ait si peu d’efficacité malgré l’énergie engagée. Une infirmière qui envisage de quitter la profession pour laquelle elle se bat depuis 20 ans, pour laquelle elle n’a pas cessé de se former depuis 30 ans. Une infirmière fatiguée de constater que l’expertise infirmière, méprisée, ne lui a pas permis de figurer dans le premier recours. Une infirmière révoltée de constater qu’en période de pénurie médicale, la ressource évidente que représentent les infirmiers est ignorée. Et pourtant, humainement comment dire « non je ne suis pas reconnue dans le premier recours » face à la demande d’une patiente qui crie durant son agonie ?
Une reconnaissance des infirmiers libéraux
Le but de ce texte n’est surtout pas de montrer du doigt le déficit sur un secteur géographique en particulier, ni de désigner certains acteurs comme responsables. Chacun fait ce qu’il peut avec les moyens qu’il a, dans le cadre où il est autorisé à le faire. L’objectif est d’alerter sur ce que devient notre système de santé, sur l’urgence de trouver une solution pour répondre au déficit financier et médical. L’urgence impose de se tourner vers les professionnels formés et aptes, les infirmiers, de les reconnaître dans le premier recours, de reconnaître la consultation et l’évaluation infirmière, de les autoriser à la prescription de protocoles antalgiques, de soins de supports, et de toute molécule dans un cadre réglementaire et protocolisé, de reconnaître leur expertise et leurs compétences. Tout simplement.
Pierrette MEURY
Infirmière à domicile, Le Moule, Guadeloupe.
Master 2 Sciences cliniques infirmières, spécialité « Coordination parcours de soins ». Diplômes universitaires : Soins palliatifs, douleur, plaies et cicatrisation, niveau 2 éducation thérapeutique. Certificat coaching ( ICIcoach).
pmeury@wanadoo.fr
Geneviève, Psychologue et fille de la patiente, souhaite co-signer ce texte.
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