Étudiante en soins infirmiers, Caroline Pellegrin nous offre une analyse pertinente de l'emploi de l'interrogation « ça va ? », si souvent utilisée à l'hôpital dans la relation soignant/soigné, mais qui en même devient peu à peu banalisée avec le temps...
Entamant ma troisième année d'études en soins infirmiers , je m'aperçois que pour ces dix mois restants, je me consacre en stage à trouver organisation, planification et technicité à tout prix pour que je puisse entériner petit à petit ma vie d'élève et pouvoir appréhender le statut de professionnelle en juillet 2017. Le fait d'anticiper si rapidement a valu une négligence de ma part que je ne peux omettre. En effet, la partie relationnelle est mon premier leitmotiv dans cette aventure professionnelle, une compétence acquise depuis mon premier stage et toujours validée par la suite. En un bref instant, je me suis laissée dépasser par ma recherche de perfectionnisme organisationnelle que j'en ai oublié le patient . Une action contraire aux valeurs enseignées mais surtout personnelles.
Ça va !
Le 9 septembre au matin, ayant eu du retard dans les prélèvements sanguins en début de service, je me hâte à la distribution des médicaments. Alors que je prépare les traitements de Monsieur J., l'infirmière me rejoint pour effectuer la surveillance de glycémie de ce patient diabétique. J'entre dans la chambre du patient en le resaluant (je l'avais vu plus tôt dans la matinée) et sans lui laisser le temps de me répondre je lui expédie un "ça va" qui n'amène aucun choix de réponses à part oui. Une phrase interrogative transformée en phrase impérative affirmative. N'ayant aucune appréciation de mon attitude car étant obnubilée par l'après, l'infirmière me la fait remarquer immédiatement. Elle m'explique qu'il y a une certaine ambiguïté dans mon questionnement qui laisserait penser à une esquive face à la souffrance de ce patient qui n'a pas choisi d'être là. Elle m'invite à reconsidérer cette question trop souvent banalisée mais qui a une importance capitale dans la relation soigné/soignant.
Comment ça va mal ?
Cette situation ne m'a pas mise en difficulté sur le moment. J'ai écouté les conseils justes et bienveillants de l'infirmière puis petit à petit je me suis mise à culpabiliser. En effet, cette relation humaine tant recherchée avant l'entrée en formation puis trouvée par l'aide apportée quotidiennement auprès des personnes soignées s'est envolée en un claquement de doigts en seulement deux petits mots. Par mon obsession de faire vite et bien, j'en ai oublié le principal. Je mets toujours en avant cette bienveillance à l'égard des patients dans mes écrits mais aussi dans mes attitudes professionnelles depuis le début de ma formation et ce jour, cet instant j'en ai oublié mon rôle principal.
Je ressens également de la gêne par le regard de l'autre. Quel image ai-je pu donner à ce patient qui attendait sûrement de s'exprimer pleinement comme les jours précédents sur son ressenti de l'hospitalisation ? A quel genre de personne a-t-on pu m'identifier ? Un embarras et une grosse remise en question qui me vaut des recherches sur ce thème et surtout des réponses pour éviter un autre avènement (par avènement j'entends naissance de cette personne que je ne suis pas et que je ne veux pas devenir).
Quel image ai-je pu donner à ce patient qui attendait sûrement de s'exprimer pleinement (…) sur son ressenti de l'hospitalisation ?
Ça ne va plus !
Par mon retard dans la planification des soins, je me suis concentrée sur l'organisation à venir pour ne rien oublier dans la programmation de la matinée ce qui a envahi mon esprit en omettant complètement Monsieur J. De plus, je pense que je me suis confortée à ma première impression quand j'avais prélevé Monsieur J. quelques heures avant où il m'avait affirmé que tout allait bien. Et enfin, j'ai du inconsciemment m'octroyer un moyen de défense tel que l'esquive pour éviter une interaction trop longue lors ce cette matinée mal agencée.
Et comment allez-vous, vous?
Franchement, je n'en ai aucune idée car sur le fait accompli, je ne suis même pas retourner lui demander. De plus, ce patient est atteint d'un méningiome traité chirurgicalement en juin 2016, il s'agit de tumeurs développées à partir des cellules méningothéliales de l’arachnoïde ayant amené des séquelles dont un syndrome frontal. En effet, les signes cliniques prévalents de Monsieur J. sont les troubles phasiques, cognitifs et une tendance dépressive. Est-ce que par son état de santé, je me suis tenue au fait que ses dires difficilement compréhensibles ne peuvent être légitimes car ils sont commandés par son syndrome frontal ? Est-ce que je me suis comportée de cette manière qu'avec ce patient ou également avec les précédents ce jour-là ? Est-ce que cela m'est déjà arrivé auparavant ? Impossible d'y répondre.
Ça va, ça vient d'où?
Cette expression conventionnelle est employé avec le pronom ça
qui est qualifié grammaticalement d'impersonnel. La question du ça va
est en attente d'une réponse négative ou positive. Une réponse fermée à une question impersonnelle. L'emploi quotidien de cette locution renvoie vers une habitude culturelle et une expression de salutation qui assure un lien interactif entre les individus. Dans le monde de la santé, cette question relève d'une évaluation obligatoire par les soignants aux vues des personnes soignées. Effectivement, l'appréciation de l'état de santé physique ou moral du malade par le biais de cette question amène à reconsidérer les thérapeutiques employées dans le but d'un retour à un état de bien-être complet. Comme le dit Carl Rogers (psychologue humaniste) : C’est le client lui-même qui sait ce dont il souffre, dans quelle direction il faut chercher, ce que sont les problèmes cruciaux et les expériences qui ont été profondément refoulées
.
Ça va puissant ?!
Les voix ont un pouvoir sur les mots. Une seule intonation sur une syllabe et tout change
(dit Claire France dans son livre Autour de toi Tristan). Les soignants, quelques soient leurs valeurs, ont un pouvoir sur leur prestance face aux malades. En effet, le positionnement de vulnérabilité des personnes soignées est telle qu'une seule fausse note jouée par le professionnel peut s'entendre. En attente de guérison, de réponses et de réconfort les patients observent, écoutent et analysent chaque blouse blanche dans leur balai quotidien de toucher, de technicité, d'écoute et de prise de parole. La voix est un outil considérable dans la communication.
Elle permet un dialogue et une interaction dans le but de transmettre un message mais sa tonalité peut modifier l'information transmise. La personne soignée est certes en recherche de soins efficaces mais surtout de soins humains où la parole et l'écoute doivent être rassérénantes.
C’est peut-être là l’épreuve suprême de la sollicitude, que l’inégalité de puissance vienne à être compensée par une authentique réciprocité dans l’échange.
Ça va mieux comme ça ?
En cherchant plus en profondeur, je découvre qu'il faut que je cherche dans l'holisme de cette situation. Je vais donc consacrer cette dernière partie sur des recherches accentuées autour du champ lexical de l'allocentrisme. Par ce concept j'entends l'approche centrée sur le patient et les mots y découlant. C'est également l'antonyme confirmé ci-avant de mon comportement face à Monsieur J.
Premièrement, mon exploration débouche sur la communication: C'est un processus de transmission d'informations. Ce terme vient du latin communicare
qui signifie mettre en commun
. Dans une relation soignant/soigné, celle-ci est basée sur une coopération de la personne soignée grâce au savoir-faire du professionnel de santé. Selon Carl Rogers, qui a basé sa théorie sur la communication en thérapie, il appuie celle-ci sur l'approche centrée de la personne. Grâce à différents concepts qui amènent à cette allocentrisme, il oriente les professionnels de santé vers des attitudes à adopter pour arriver à atteindre un état d'unification
entre la personne soignée et son soignant. Carl Rogers évoque également, la congruence qui peut être définit par la sincérité, l'authenticité de l'intérieur de soi interagissant de façon harmonieuse à l'égard d'une personne. Malgré un engagement de ma part dans la mise en relation avec Monsieur J., je me suis arrêtée à une proclamation automatique et formelle cachée par mon introversion. Un manque de savoir-être qui peut amener vers l'absence d'un climat de confiance. Le concept de la confiance s'appuie sur le fait qu'une personne se sente en sécurité et respectée par autrui. Il oriente donc une relation d'aide et de soutien auprès d'une personne soignée en le considérant comme un être unique. Ce qui amène vers le schème de l'empathie décrit comme tel par Rogers est une façon de sentir le monde intérieur du client et ses significations intimes comme s’il était le nôtre, quoique en n’oubliant jamais que ce n’est pas le nôtre
. Le large éventail de ces notions conceptuelles résulte sur celui de l'allocentrisme et la bienveillance.
La perfection n'étant qu'utopique qu'elle soit d'ordre personnelle et professionnelle, je vais donc passé dans le versant idéologique recherché dans notre métier. Claude Curchod, infirmier et auteur des relations soignants-soignés
aux éditions Masson met en avant le «mythe du soignant vertueux
: empathique, toujours à l’écoute, disponible, non jugeant, empli de compassion, expert en communication». Ces différentes conceptions érigent le portrait de l’infirmière idéale, emprunt d’une neutralité émotionnelle
. Cette image du soignant vertueux et infaillible est ainsi dénoncée car trop éloignée de sa réalité et donc de la reconnaissance de son humanité
. En effet, notre humanité constituée de défauts, de qualités, d'imperfections, de remise en questions ne peut être abolie sous prétexte d'une blouse blanche. C'est en se retrouvant face à une souffrance, une difficulté, une animosité que notre soi intérieur développe des mécanismes de défenses. Leurs remises en question nous font avancer dans l'exploration de notre humanité et notre humanité façonne notre humanitude.
Ça va.
Quelque soit ma difficulté de ce 9 septembre ou de demain, je dois me recentrer sur non pas l'intonation de ma voix ou sur la façon de demander l'état du "maintenant ", mais plutôt sur la rencontre du moment, de l'heure actuelle, de l'oubli du ressenti précédent et accueillir toutes ordres émotionnelles à chaque instant pour atteindre cette sollicitude envers l'être en souffrance et demandeur d'écoute. A aucun moment j'aurai la prétention d'acquérir ces différents concepts de façon continuelle mais par ce travail de recherche, je pense avoir trouvé une autre manière d'aborder mes rencontres avec les patients. Enfin, je terminerai en citant Paul Ricoeur : "C’est peut-être là l’épreuve suprême de la sollicitude, que l’inégalité de puissance vienne à être compensée par une authentique réciprocité dans l’échange".
Caroline PELLEGRIN Étudiante en soins infirmiers (3e année) caro-anto@hotmail.fr
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