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Quand logique hygiéniste et logique éducative s'affrontent...

Publié le 20/07/2018
enfants, crèche, repas

enfants, crèche, repas

Une étudiante en soins infirmiers (L1) à Saint-Etienne, a effectué un stage au sein d'une crèche en octobre 2017. Elle évoque une observation où deux logiques s'opposent : une logique hygiéniste privilégiant des règles de propreté pour une bonne santé et sécurité du jeune enfant et une logique pédagogique axée sur son développement. La réflexion qui en résulte a mis à l’épreuve ses connaissances théoriques en hygiène et elle nous fait part de ses réflexions tout à fait pertinentes.

L'étonnement ou comment des étudiants en soins infirmiers racontent leurs premiers questionnements en stage

Formatrices et formateur dans un institut de formation en soins infirmiers Croix-Rouge à Saint-Etienne, Yamina Lefevre, Zohra Messaoudi et Christian Teyssier ont demandé à leurs étudiants de 1ere année, dans le cadre de l'unité d'enseignement Hygiène et infectiologie (UE 2.10) de réaliser une analyse de situation à partir d'un étonnement vécu lors de leur premier stage. Dans la continuité des trois premiers textes que nous avons publiés en 2015 , textes jugés parmi les plus pertinents par leurs enseignantes, puis d'une nouvelle série déployée en 2016 , suivis de nouvelles publications en 2017 , de nouveaux étonnements s'offrent à nous en 2018 . Merci pour ce partage, il serait en effet dommage que ces riches réflexions de profanes restent anecdotiques.



Les enfants de la crèche mangent là où ils jouent par terre, marchent debout avec leurs chaussures et quelquefois à quatre pattes ou en couche… Ils mettent les mains à la bouche, puis les reposent par terre... Attention aux mesures d'hygiène !

Etudiante en première année en institut de formation en soins infirmiers, j'ai effectué mon premier stage en crèche, à Saint-Étienne, pour une durée de cinq semaines. Le service accueillait environ 18 enfants à la journée ; des enfants entre 18 et 24 mois. Deux auxiliaires de puériculture (AP) et une éducatrice de jeunes enfants (EJE) étaient présentes quotidiennement pour les encadrer.

Description de la situation

Lors de mon troisième jour de stage, je suis de poste du matin. Il est un peu plus de 11h30, les auxiliaires et éducatrices appellent les enfants à se rassembler devant la porte du service pour passer à table. Ils se répartissent alors sur trois tables (moyenne de six enfants par table). L’EJE commence à servir l’entrée en attisant la curiosité des enfants sur les légumes du jour. Elle essaie de les autonomiser en leur montrant comment manger avec leur cuillère. Le repas se déroule quand l’enfant X fait tomber un morceau de légume par terre. Il recule alors sa chaise et ramasse le morceau pour le remettre dans sa bouche. L’éducatrice voit l’enfant faire, lui sourit et continue l’aide au repas. Cette situation m’a interpellé en termes d’hygiène. Pourquoi cela m’a-t-il choqué ? Quels sont les risques liés à cette situation ? Je me suis interrogé pour essayer de les comprendre ainsi que les raisons qui ont motivé la professionnelle à ne pas réagir comme je l'imaginais. J'ai été également amené à réfléchir aux enjeux de santé présents derrière cette situation qui portent sur les principes d’hygiène en collectivité.

L'analyse de la situation

Tout d’abord, je souhaiterai rappeler la crèche n’est pas un milieu de soins médicaux avec des risques aussi importants qu’en milieu hospitalier. Elle reste cependant un lieu de vie en collectivité où les comportements de chacun peuvent avoir des conséquences sur les autres. L’hygiène est donc tout autant indispensable pour le bien-être des enfants qui restent des êtres d’autant plus fragiles face aux infections, que pour le personnel. J’ai eu la chance de voir pendant les deux premiers jours de mon stage comment s’organise la cuisine pour la crèche, quelles sont les règles concernant l’hygiène, la propreté et la validité des aliments… J’ai également passé une journée avec un agent d’entretien pour comprendre les enjeux de son travail et l’importance de l’hygiène en crèche. J’y ai découvert d’importants et d’innombrables protocoles, très précis, pour tous les gestes de nettoyage/désinfection de chaque surface avec des produits différents et bien particuliers. En effet, j'ai pu constater que les agents d’entretien nettoient les sols des services tous les matins de 7h à 7h30 et opèrent selon un roulement pour s'occuper des espaces de jeux (toboggan, piscine à balle…).  J’ai donc conscience que même si l’enfant X a ramassé sa nourriture par terre, les sols avaient été désinfectés 4h plus tôt.

Cependant, cette situation m’a tout de même surprise. Selon, le Dr Martin, intervenante au sein de notre formation à l'Ifsi, une infection est la pénétration, puis le développement de micro-organismes dans un être vivant pouvant amener à une maladie infectieuse. Ces micro-organismes peuvent être bactéries ou virus :

  • les bactéries vivent partout dans/sur l’environnement et les êtres vivants. Elles se multiplient entre 4 et 45°C, selon les espèces ;
  • les virus, quant à eux, vivent uniquement dans les cellules vivantes qu’ils utilisent pour survivre et se multiplier (cellule hôte) et sont très fragiles. Beaucoup sont détruits par les détergents, les désinfectants, les antiseptiques, la chaleur… Pour autant, certains peuvent toutefois survivre dans l’environnement comme les Rotavirus (épidémie de gastro-entérites aiguës).

Il y a alors un risque important pour que des bactéries et virus soient présents sur les sols du service là où les enfants jouent toute la journée.

Or, les enfants de la crèche mangent là où ils jouent par terre, marchent debout avec leurs chaussures et quelquefois à quatre pattes ou en couche… Ils mettent les mains à la bouche, puis les reposent par terre. Il n’y a pas de coin cantine, les repas se déroulent dans la même pièce que le lieu d’accueil et d’éveil. Il y a alors un risque important pour que des bactéries et virus soient présents sur les sols du service là où les enfants jouent toute la journée. Les bactéries n’ont certes pas d’ailes mais elles sont véhiculées dans l’espace par la poussière, les gouttelettes contaminées (imaginons un enfant malade qui met à la bouche un jouet, puis qui va le reposer par terre…), des postillons…, toujours selon le Docteur Martin. Les transmissions de bactéries et virus sont alors propices.

Par ailleurs, nous avons vu dans le cours « Infections associées aux soins » que le patient pouvait s’infecter à cause de différents facteurs de risques (patient source, micro-organismes, le patient hôte lui-même, mais aussi l’environnement). Les matériaux en commun sont susceptibles, si insuffisamment désinfectés, d’être source de bactéries. Les jouets que les enfants se font passer, de mains en mains, puis mis à la bouche, reposés par terre, sont donc source de bactéries.

Surprise à plus d'un titre...

Dans la situation que j’ai pu observer, la chaîne de transmission des bactéries est parfaitement respectée au lieu d’être stoppée… Le réservoir de bactéries étant le sol, le mode de transmission est le contact entre le sol et la main de l’enfant, la porte d’entrée est la bouche de l’enfant X, l’invasion va être buccale, puis digestive. C’est cela qui m’a surpris. De plus, je sais que l’éducatrice a conscience des normes d’hygiène car elle a été aide-soignante auparavant et elle a donc les connaissances. J’ai alors compris en quoi la situation m’avait perturbée. En effet, j'avais vu en cours les multiples risques liés à un manquement à l’hygiène, mais je n’ai cependant pas compris pourquoi l’éducatrice avait agit de cette manière car je n’avais alors aucune explication.

Toujours selon Mme Martin, lors de son cours sur les précautions standards, les procédures d’hygiène de base sont les mesures devant être respectées par l’ensemble des professionnels de santé. Elles reposent sur une application rigoureuse, en routine, de l’hygiène des mains et des précautions standards lors de l’exposition à des produits biologiques ou lors de contact avec des muqueuses. Cette phrase exprime bien la nécessité des professionnels à se conformer à des règles d’hygiène préétablies pour la sécurité des enfants, mais aussi en regard de leur propre sécurité.

Deux logiques distinctes s’opposaient. Une logique hygiéniste privilégiant évidement des règles de propreté pour une bonne santé et sécurité, et une logique pédagogique axée sur le développement de l’enfant.

Je me suis alors dit qu’elle devait y avoir une raison pour avoir laissé l’enfant manger le légume tombé par terre. Je suis donc allée voir l'éducatrice pour comprendre sa réflexion et qu’on puisse en discuter. Elle m'a d’abord écouté pour savoir comment j’avais vécu cette situation, m’a entendu et m’a dit qu’on pouvait effectivement penser que cette situation pouvait être néfaste pour l’enfant, puis m’a expliqué ses raisons. J’ai alors compris que deux logiques distinctes s’opposaient. Une logique hygiéniste privilégiant évidement des règles de propreté pour une bonne santé et sécurité, et une logique pédagogique axée sur le développement de l’enfant.

L’éducatrice m’a expliqué que l’enfant, en ramassant le morceau de légume, affinait sa motricité, développait son sens de la curiosité et son autonomie. La crèche étant régie par un projet pédagogique, elle m’a dit que les autres auxiliaires auraient réagi de la même manière. J’ai alors intégré toute la complexité de la situation. Il me paraissait important de prendre en compte la protection et prévention de l’hygiène pour la santé de l’enfant, mais l'éducatrice m’a montré que différentes logiques existent et qu’en fonction de la situation elle en privilégiait certaines. Elle m’a dit que les enfants n’étaient pas des patients contagieux comme à l’hôpital, puisque la crèche refuse un enfant s’il arrive fiévreux ou malade un matin… 

Pour conclure…

Grâce à cette analyse de la pratique professionnelle, j'ai pu me questionner sur un thème important dans le métier infirmier : l’hygiène. J’ai réussi à comprendre et à envisager les risques liés à la situation observée. J’ai aussi compris que dialoguer avec le collègue ou le professionnel référant concernant une situation  permet de se questionner et comprendre les gestes effectués sans forcément juger, même si au premier abord ils peuvent nous paraître insensés. Enfin, je pense que concernant la situation que j’ai vécue, il y a eu un manquement aux précautions standards d’hygiène. En effet, même si j’accorde une très grande importance à la pédagogie éducative et active auprès des enfants, je n’aurais peut-être pas la même réaction si j'étais confrontée à une situation similaire dans mon futur professionnel. On pourrait être éducatif de la même façon en montrant à l’enfant les risques pour lui (comme on le fait lorsqu’on l’emmène aux toilettes et qu’on lui explique les règles d’hygiène) et je pense que le développement moteur peut être stimulé à d’autres moments de la journée et pendant d’autres activités.

Ressources bibliographiques

Différents cours de Mme Martin :

  • Agents infectieux Bactériologie et Antibiotiques
  • Infections associées aux soins
  • Précautions standards

Une étudiante en soins infirmiers (L1 2017/2020)
Croix-Rouge Formation Rhônes-Alpes, Saint-Etienne.


Source : infirmiers.com