Voila quelques mots, quelques phrases puisées par un cadre de santé enseignant dans le journal de formation d’un groupe d’étudiants de première année qui revient de son premier stage d’une durée de 5 semaines. Un récit qui questionne les pratiques et les codes professionnels des infirmiers de terrain...
« La rentrée tant espérée est enfin là. J'ai vécu les premières heures de la formation en soins infirmiers. Maintenant, place pour une nouvelle aventure : la découverte du monde professionnel. Le compte à rebours démarre et les premières minutes en stage vont commencer. Le stress monte, les battements cardiaque s’accélèrent, les nuits sont plus courtes … et je rêve les yeux ouverts…
Je rêve que je fais mes premiers pas dans un service. Les murs sont blancs et bleus pastels.
Des soignants en tenue me sourient, se présentent et m’invitent à les suivre pour ma première journée. Au fils des jours, ils me donnent vraiment envie et me confortent dans mon choix. Ils ont une approche respectueuse de la personne soignée, de la famille et de leurs collègues. Il y a une vraie solidarité dans la réalisation des activités soignantes. Ils m’invitent à y participer et à prendre une place dans leur équipe. Au réveil, ce matin, je me sens mieux, mais malgré tout, la peur au ventre, je pars pour faire mes premiers pas dans une unité de soins.
Je vous propose donc de me suivre au rythme des pages de mon journal de formation entre étonnement, stupeur, découverte et surprise. Je me fais ainsi la porte parole des réflexions exprimées par des étudiants de première année de retour de leur premier stage de la formation infirmière. Suivons-les et écoutons-les… »
La première journée...
« Premier soir, comme nous l’on suggéré les formateurs avant de partir de l’Ifsi, je prends mon cahier de formation pour noter mes impressions de la journée. La première réflexion qui me vient est une surprise. J’ai découvert que l’on pouvait soigner sans prendre soin d’une personne et que les soignants ont parfois trop tendance à rester centré sur la maladie et non sur le malade. En réfléchissant, je me dis que personne ne peut s’improviser soignant. Il faut que l’individu ait envie de prodiguer des soins pour le bien-être d’une personne malade et/ou dépendant. Il faut qu’elle ait autant de connaissances techniques que relationnelles. Mais cela n’est pas suffisant. Après ma première journée, je crois qu’il est primordial d’avoir une conscience professionnelle et personnelle aussi, car le soignant doit respecter le malade. Ce soir, je me dis qu’il est important de mener une réflexion quotidienne sur sa pratique professionnelle afin que la réalisation d’un acte ne soit pas banalisé. C’est peut-être cela qui manque aux soignants aujourd’hui… prendre du temps pour analyser sa pratique quotidienne…».
La première toilette...
« Deuxième jour, j’ai fait ma première toilette au lit. Heureusement qu’une étudiante aide-soignante était avec moi car elle m’a aidée et surtout guidée. Mais heureusement aussi que nous avons discuté de ce soin à l’Ifsi car sinon cela aurait été très dur. Ce qui est dommage, c’est que l’élève s’est fait disputer à cause de moi. Une soignante est venue lui reprocher d’avoir passé trop de temps dans la chambre. On nous a même accusées de trop parler avec le patient. Je ne comprends pas ce reproche. Le patient, lui, était satisfait et nous a remerciés. Cela vaut de l’or pour moi. En plus, pour la première fois depuis que je l’ai rencontré, il avait le regard qui pétillait… Je me suis mise alors à regarder les soignants travailler afin de détecter ce qu’ils pouvaient attendre de moi et ne plus me faire disputer. Je remarque qu’ils ne considèrent pas tous le malade de la même façon. Il y a ceux qui sont là pour les patients, attentifs, à leur écoute, respectueux. A côté d’eux, il y en a d’autres pressés et stressés. Ceux-là font comprendre aux patients qu’ils n’ont pas ou peu de temps à leur consacrer. Dans cette deuxième catégorie, je pourrais faire encore une sous-partie. En effet, certains soignants sont désagréables avec les patients alors que d’autres prennent le temps de leur expliquer poliment qu’ils ne sont pas tout seuls, que cet après-midi il manque une infirmière et que la charge de travail est importante pour satisfaire tout le monde…
Je me demande qui vais-je devenir ? Par moment je ne sais pas si j’aurais pu faire mieux que certaines infirmières. Leurs conditions de travail ne sont pas faciles tiraillées entre tous les collaborateurs (médecins, internes, cadre de l’unité, famille, assistante sociale…). Elles doivent tout savoir, répondre avec le sourire à tout le monde et, en plus, ne pas prendre de retard dans l’organisation des soins. Ce soir, je suis crevée ! ».
Si j'étais patient, qu'est-ce que je voudrais ?
« Troisième jour, aujourd’hui je découvre une nouvelle infirmière... un vrai bonheur ! Elle a le goût et le plaisir des relations humaines et surtout de la considération pour autrui et sa situation. Nous avons eu ensemble un long échange sur l’état d’un patient. Je ne comprends pas, depuis le début de mon stage, les orientations cliniques mises en place et les choix thérapeutiques, j’ose enfin lui poser les questions qui me hantent. Même si j’ai encore du mal et ne suis pas pleinement d’accord avec elle, je comprends qu’il est important de respecter le choix du patient. Mais cela m'est difficile, la personne est si jeune… Je suis d’accord qu’il faut accompagner et accepter la décision du patient que c’est une forme de respect de sa dignité de soigné, mais à vivre c’est trop dur… Avec tout ce que j’ai vu, je pense qu’il est vrai que pour pouvoir s’intéresser au patient, pour arriver à organiser son soin pour le rendre le meilleur possible, il faut avoir une certaine sensibilité envers la personne qu'il est. Il faut s’inquiéter de son état, tant psychique que physique. J’espère que dans ma pratique, je n’oublierai pas que j’ai à faire à des personnes et que, dans ma situation de soin, je fais partie de leur vie. Je peux aussi, de temps en temps, me demander : et moi demain en tant que patient qu’est-ce-que je veux ? »
Un début d'autonomie...
« Ma réflexion du soir. Les soignants me laissent faire de plus en plus de gestes. Ce qui est important c’est de pouvoir allier compétences relationnelles et compétences techniques. Connaître les pathologies concernant les patients et la surveillance qui en découle. Savoir aussi qu’il existe des protocoles concernant les gestes techniques va me permettre d’optimiser la prise en soins. Mais, sans le côté humain, le soin perd de sa valeur. Le soignant va gagner à écouter, à comprendre sans juger, à guider sans contraindre ».
Une saine réflexion...
« A 13 heures, pendant les transmissions, j’ai eu un flash... Avant de perdre mon idée, je l’écris. Prendre soin, c’est créer un climat de confiance permettant au soigné de s’épanouir, d’apprendre et de faire face aux difficultés. Il ne faut jamais oublier que l’on a un être humain devant soi, une vie entre ses mains. (…) Je suis dans le train, il est maintenant 15 h et je note ma phrase. En relisant, je me dis qu’il est évident qu’il serait plus facile de soigner des machines, mais le soignant louperait tout le côté humain. Le soin pour moi est une expérience qui permet l’épanouissement mutuel du patient et du professionnel. »
Une semaine, déjà !
« Dernier jour de la première semaine. Si je fais le point et que je choisis trois mots, je retiens fatiguée, difficile, écoute. Globalement, je ne pensais pas que l’infirmière avait autant de tâches administratives et qu’elle passait si peu de temps auprès du patient. Je la vois toujours courir ou être dans la salle de soins à préparer des médicaments, à répondre au téléphone, à remplir des dossiers sur l’ordinateur. Les aides-soignantes sont plus proches et connaissent mieux la vie du patient et ses caractéristiques. Elles font de l’humour pour réaliser un soin plus difficile ou douloureux, elles parlent avec le patient de sa famille, de ses petits enfants, du jardin… L’infirmière, elle, est le plus souvent sur des généralités car elle connaît moins la personne sauf quand elle fait la tournée avec l'aide-soignante... J’ai découvert deux types de soignants. Je sais déjà à qui je souhaite ressembler. Pour moi trois éléments sont indispensable pour devenir infirmier-infirmière :
- avoir un véritable amour de son métier pour pouvoir l’exercer correctement, même si les conditions de travail sont difficiles ;
- considérer le patient en tant que personne singulière et aller à sa rencontre pour construire un chemin avec lui ;
- mettre en avant tous les jours, et à chaque rencontre, deux valeurs : le respect et la dignité. »
Une belle rencontre...
« Milieu de la troisième semaine de stage, je peux enfin réaliser seule un recueil de données. Je suis fière de moi et de la réussite de la réalisation de cet acte. J’espère que mon tuteur validera le soin. Sinon, tant pis… Moi, j’ai passé un super moment avec le patient. Nous avons très bien discuté et j’ai pris le temps (car l’infirmière me l’a autorisé).
C’était une rencontre constructive pour la suite de sa prise en soin. Pour moi, le premier contact définit la qualité de la relation. Cela permet de conditionner la suite de l’hospitalisation. Le patient va se sentir écouté et en sécurité, et je pense que pour ce monsieur la mission est remplie ».
Seule au monde...
« Changement d’équipe. Voilà trois jours que personne ne s’occupe de moi. J’ai l’impression de faire partie déjà du décor… Heureusement qu’il y a les patients et les internes. Ils me font des sourires et parlent avec moi. Je me sens moins seule. Au niveau de l’équipe des infirmières, les échanges sont impossibles. Je sens que je les dérange. Personne ne souhaite m’expliquer ou me montrer un soin… Toute la journée j’ai eu envie de crier « arrêtez-vous ! regardez-moi ! je suis perdue, guidez-moi ! ». J’ai regardé le planning, demain une infirmière et une aide-soignante que je connais travaillent, ouf !»
Un métier difficile... mais...
« Journée difficile… Je découvre que le métier de soignant est difficile. Il y a une confrontation perpétuelle à la fragilité de l’être humain. Ce soir, je ressens une certaine appréhension en ce qui concerne ma capacité à endosser non seulement mes propres faiblesses mais aussi la vulnérabilité des soignants. Je me questionne… En étant confronté quotidiennement à la maladie et à la souffrance pendant de nombreuses années arriverais-je toujours à rester optimiste auprès des malades et dans ma vie de tous les jours ?... Mes souhaits pour demain :
- je veux pouvoir accompagner les personnes soignées de manière sensée ;
- j’aimerai garder le plaisir du soin, le désir d’avancer et d’apprendre tous les jours davantage, et ceci afin de répondre au maximum au besoin du patient, mais aussi lui donner un peu de joie, de soulagement et de bonheur dans l’épreuve qu’il est entrain d’endurer ;
- j’aimerai être une infirmière qui, au fils des jours et des années, respecte les valeurs du patient tout autant que sa dignité ;
- j’aimerai partager autant que possible mes savoirs, mon expérience professionnelle avec mes collègues, les étudiants et bien sur apprendre en retour ;
- je veux avoir des capacités relationnelles et techniques afin de pouvoir adapter mes soins à toutes les personnes fragilisées qui en auront besoin et cela tout au long de ma carrière… Sinon, il sera grand temps que je change de métier… ».
Fin de stage...
« A la fin de mon stage, je me dis que devenir soignant, c’est voir le malade comme un humain et non comme quelqu’un qu’on soigne parce qu’il est atteint d’une pathologie. Pour cela, le soignant doit mettre le patient en confiance en s’intéressant à lui, en discutant avec lui et ceci pendant la réalisation des soins qui lui seront prodigués. A la fin de ces cinq semaines de stage, je retiens que chaque personne est unique et qu’il faut prendre le temps d’accueillir l’autre avec ses caractéristiques. Je pense qu’il faut être à l’écoute des attentes du patient et agir dans le respect de ses valeurs. Durant mon deuxième stage, je souhaite être une étudiante infirmière présente auprès des patients. Mon but sera de comprendre leur situation pour pouvoir soulager leurs souffrances et pas seulement rester sur des aspects techniques du soin.»
Isabelle BAYLE Cadre de santé infirmier Ifsi de Savernes isabelle.bayle@gmail.com
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