L’engagement dans une profession soignante oblige une réflexion sur ce que nous devenons ou voulons devenir. Faut-il chercher à devenir un Autre ou résister et chercher à rester soi-même ? Entrer dans le moule est-ce perdre sa personnalité ? Y a-t-il réellement un « moule professionnel » ? Autant de questions au cours de la formation initiale qu’il convient de rationaliser afin de se construire professionnellement et personnellement. A la veille de la Journée Internationale de l'Infirmière , un texte qui invite à une salutaire introspection.
Nous sommes sans cesse tiraillés entre la volonté que l’on nous reconnaisse comme un professionnel de la même façon que l’on reconnait les autres mais nous souhaitons en même temps que l’on nous reconnaisse comme différent des autres et donc comme un professionnel singulier.
Je suis un Infirmier comme les autres
Bien sûr, nous souhaitons une reconnaissance sur nos propres compétences, ce qui permet d’intégrer une famille professionnelle, se sentir « confrère ». Cette notion de confraternité apparait clairement dans notre nouveau code de déontologie depuis 2016. Cette notion est loin d’être anodine. Elle implique une mutation du collègue au confrère et cette mutation transforme un professionnel que l’on côtoie dans l’exercice de notre profession en un membre de notre famille professionnelle. La symbolique est essentielle dans les liens qui doivent se tisser dans un vivre-ensemble professionnel. Nous parlons ainsi d’un rapprochement qui se construit par une proximité et une similarité de fonctionnement mais aussi et surtout une dimension qui confère un sentiment d’intelligence partagée, de solidarité, d’appartenance et de complémentarité. Dans cette famille il convient donc de nous reconnaitre les uns les autres comme issus du même sang professionnel et cette reconnaissance devient un devoir moral et déontologique. Cette dimension identitaire vise une recherche d’universalité : devenir « même » que les autres. Elle favorise le sentiment d’appartenance et de confort dans un groupe social qui est d’autant plus en pleine santé qu’il fait circuler cette réciprocité.
Dans cette famille il convient donc de nous reconnaitre les uns les autres comme issus du même sang professionnel et cette reconnaissance devient un devoir moral et déontologique.
Je suis un Infirmier pas tout à fait comme les autres
Il existe une autre forme de reconnaissance attendue, celle que nous souhaitons pour être reconnu pour nous-même. Il s’agit là de susciter un intérêt singulier pour les autres. Cette identité propre vise une construction du « soi-même ». Paul Ricœur parle ici d’ipséité dans son ouvrage « Soi-même comme un autre ». L’ipséité se révèle alors comme une démarche qui privilégie la singularité, cette dimension que l’on ne partage avec personne d’autre et par laquelle nous existons en propre. Cette identité se construit aussi en termes de compétences techniques et morales mais sur un plan qui va permettre de nous distinguer individuellement.
Alors, faut-il être même ou différent ?
Quelle forme d’identité conviendrait-il alors de choisir pour devenir un infirmier performant et bien « construit » ? Cette question piège invite à penser qu’une de ces deux formes identitaires serait prévalente sur l’autre et ce serait une erreur grossière d’imaginer cela. En effet, la construction identitaire professionnelle doit absolument s’envisager dans une recherche permanente qui s’équilibre entre le singulier et l’universel. Se cantonner dans l’une ou l’autre des identités cloisonnerait l’individu dans une insuffisance. Le trop « singulier » risque de pousser l’individu à ériger sa logique en vérité et ce type de positionnement aboutit le plus souvent à un isolement soignant aux conséquences potentiellement délétères pour le patient. Un soignant qui ne communique qu’avec lui-même est celui qui aura développé une « ipséïté » démesurée, une réflexivité qui ne sort pas de la boucle d’un entre lui-même. Cette insuffisance projette l’individu dans une éthique de conviction qu’il ne cherche pas à partager dans sa famille professionnelle et qui devient un poison grandissant pour les patients, pour ses confrères et pour lui-même.
Quelle forme d’identité conviendrait-il alors de choisir pour devenir un infirmier performant et bien « construit » ?
De la même façon, l’identité professionnelle pure cantonne le soignant dans une « mêmeté » qui le confine aux tréfonds de la profession. Il peut s’y complaire, s’y cacher, s’y reclure, mais aussi hélas s’y ennuyer et ne plus se reconnaitre en tant que lui-même et perdre ainsi le sentiment d’exister professionnellement. Quand cette forme d’identité prend le dessus, elle absorbe le soi-même au profit de l’universel et le soignant ne devient qu’une partie du Tout sans existence propre. Le sentiment de devenir un objet utile au système peut promouvoir le désenchantement, le désengagement, la démotivation et la perte de sens.
Alors Même et Différent bien sûr !
Notre construction professionnelle doit donc se faire dans une juste mesure capable de mettre en tension à la fois le même et différent ! « Même » dans le sens d’une appartenance à une famille professionnelle et « différent » en termes de singularités propres. C’est bien dans cette complexité que l’infirmier doit se déplier, se déployer à hauteur des exigences d’une profession et se dépasser lui-même en termes d’humanité. C’est à cette condition que l’individu peut se déployer et contribuer au progrès et à la pertinence de sa profession. Penser le « même et le différent » en même temps est un exercice complexe mais il s’agit bien de la clé qui permet d’ouvrir le champ des possibles et de fermer celui de l’insuffisance.
Il reste encore une dimension essentielle à développer. Sans elle, le professionnel ne peut s’accomplir, pire, sans elle le professionnel manque de la plus belle des lumières, celle qui le guide vers le meilleur possible, celle dont parlait Paul Ricoeur, il s’agit de la dimension éthique qui consiste à « viser une vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes. » L’éthique soignante est cet effort naturel qui pousse à persévérer dans son être-infirmier et doit être nourri tout le long d’une carrière. A l’heure de l’universitarisation de notre profession, cet effort devient une propédeutique du Soin infirmier. L’éthique reste ce je-ne-sais-quoi essentiel qui change tout et qui garantit une posture réflexive pour une profession brillante qui met sa puissance au service de la vulnérabilité d’autrui. Elle est le liant entre le singulier et l’universel et elle oblige l’un à se rapprocher de l’autre pour ne jamais lâcher prise sur ce que doit être un Soin.
« Même » dans le sens d’une appartenance à une famille professionnelle et « différent » en termes de singularités propres.
Christophe PACIFIC
Cadre supérieur de santé, Docteur en philosophie
christophe.pacific@orange.fr
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