Bien qu’il soit impossible de généraliser la situation à l’échelle nationale ou d’un lieu de stage à un autre, les étudiants en soins infirmiers paient un lourd tribut à la crise sanitaire. Parfois excessivement mobilisés sur le terrain, ils déplorent une altération de leur formation. Le 26 janvier dernier, Brigitte Lecointre, présidente de l’ANFIIDE (1) et Michèle Appelshaeuser, présidente du CEFIEC (2), cosignaient un courrier adressé au Ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran. L’objet de ce communiqué : alerter les pouvoirs publics sur un problème crucial
, celui des conditions d’apprentissage des étudiants en soins infirmiers en temps de pandémie.
Une formation mise à mal
La crise sanitaire a lourdement pesé sur le cursus de formation des IFSI. Instaurés en mars dernier, les cours en distanciel ont perduré avec la rentrée de septembre dans de nombreux instituts et le spectre du retard de la diplomation plane sur la formation. On ne forme pas des infirmiers derrière un écran. Le métier ne s’y prête pas, même avec un bon suivi pédagogique. Les élèves ont besoin d’échanger, c’est un métier qui s’exerce en équipe. Il y a une notion de perte de chances en lien avec la profession choisie qui émerge
, s’inquiète M. Appelshaeuser. Rappelons que sur trois ans de formation, pour les étudiants entrés en IFSI en septembre 2019, deux années sont déjà impactées. Le risque de décrochage est grand, auquel s’ajoute celui de la précarité sociale et financière dans laquelle certains d’entre eux sombrent, faute de jobs étudiants. L’inquiétude face à l’évolution sanitaire incite le CEFIEC à encourager le maintien d’un cursus d’enseignement de qualité et le développement de la notion de tutorat des élèves étudiants. L’encadrement des jeunes en formation est très perturbé. On demande à des professionnels fatigués avec une charge mentale très lourde et qui font face à des situations très difficiles, d’encadrer des étudiants
, fait remarquer M. Appelshaeuser. Même si la formation et la transmission font partie du décret de compétences des infirmiers, elles sont aujourd’hui vécues comme une charge supplémentaire. La fonction de tutorat est parfois abandonnée
.
Glissements de tâches
Le territoire n’étant pas égal face à la pandémie, le CEFIEC craint l’apparition d’une notion de régionalisation des diplômes. Dans le Grand-Est par exemple, les jeunes sont mobilisés sans relâche depuis des mois, alors que la situation est plus calme dans d’autres régions. Depuis le début de la crise sanitaire, de nombreux étudiants reconnaissent avoir assuré des tâches qui habituellement ne leur incombent pas et pour lesquelles ils ne sont pas formés. En raison d’un manque structurel de personnels dans les hôpitaux, les étudiants sont réquisitionnés. On leur demande parfois de remplir le rôle d’un professionnel en exercice
, souligne la présidente du CEFIEC. Que ce professionnel soit mieux ou moins bien placé dans la hiérarchie hospitalière. Si certains étudiants se sont sentis valorisés par cette prise de responsabilités et le fait de se trouver au cœur de l’action, d’autres ont eu le sentiment d’avoir été mobilisés de façon abrupte et d’être utilisés pour panser les carences de l’hôpital. Nous avons des retours assez alarmants
, s’inquiète Bleuenn Laot qui préside la FNESI (3). 85 % des étudiants ont été mobilisés avec l’impression d’être les petites mains de l’hôpital, de boucher les trous
. Certains ont été appelés à effectuer des stages d’aides-soignants. Ils en ont les compétences, mais on ne peut pas leur demander de réaliser un stage complet d’aide-soignant. Faute de conditions d’encadrement suffisantes, d’autres se sont retrouvés face à des situations cliniques complexes pour lesquelles ils n’étaient ni formés ni préparés, prenant ainsi des risques tant pour les patients que pour eux-mêmes.
Une formation encore attractive ?
Ce bilan pose évidemment la question de l’attractivité de la profession. Entre un cursus de formation ébranlé par la crise, une expérience du terrain d’emblée très rude et un avenir encore incertain d’un point de vue sanitaire, les vocations pourraient s’amenuiser. La crise sanitaire a mis en exergue des problèmes qui existaient déjà. Les français ont réalisé que nous manquions de ressources dans les hôpitaux comme des lits de réa, des respirateurs, des équipements pour soigner et nous protéger
, explique M. Appelshaeuser. La présidente du CEFIEC compte sur les effets du Ségur de la santé pour obtenir une revalorisation supplémentaire des salaires infirmiers. La revalorisation salariale dans le cadre du Ségur est certes une avancée. Mais elle est insuffisante, car les salaires en France restent très en retrait par rapport à ceux observés dans les autres pays européens alors que le décret de compétences de la profession couvre un champ plus large et que les responsabilités des infirmiers ne cessent de croître
, constate-t-elle. Afin de soutenir les étudiants et faire en sorte qu’ils cessent d’être utilisés à tout va, la FNESI multiplie depuis des mois les rencontres avec son ministère de tutelle. Si la fédération a toujours bénéficié d’une écoute attentive, elle regrette que les choses n’aient pour l’instant pas suffisamment évolué. Nous militons pour un cadrage strict et une prise en charge financière des mobilisations, pour une limitation de la mobilisation à deux semaines par semestre, pour une formation de nos cadres formateurs plus en adéquation avec les besoins du terrain et pour un accompagnement psychologique de nos étudiants à l’image de ce qui commence à se faire dans les universités
, martèle la présidente de la FNESI. À défaut, et si la situation sanitaire devait perdurer le cursus de formation des infirmiers continuerait d’être impacté, avec le risque de faire de nous de mauvais soignants
, conclut B. Laot.
Notes
- Association Nationale Française des Infirmières et Infirmiers Diplômés et des Étudiants
- Comité d’Entente des Formations Infirmières e Cadres
- Fédération Nationale des Étudiants.e.s en Soins Infirmiers
Vanessa AvrillonJournaliste santé
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