"Ce jour-là, face à mon premier patient..." ... Lorsque nous avons choisi ce thème pour lancer notre opération d'anniversaire "20 ans" en suggérant à la communauté d'Infirmiers.com de nous proposer une "mini nouvelle", nous pensions que cette phrase saurait résonner dans la mémoire de chacun. En effet, à la lecture de vos contributions, elle a su stimuler votre mémoire et réveiller les souvenirs. Le premier patient, chacun connaît son importance, il a pu être celui qui intimide ou qui donne confiance. Celui dont on se souvient pour le meilleur ou parfois le pire, celui qui vous regarde pour celui que vous êtes devenu à l'instant où vous l'avez croisé : un soignant. Trois textes ont retenu l'attention de la rédaction, celui d'Aurore, de Charles et de Stella, et nous avons donc souhaité les mettre en valeur en les commentant et en les partageant avec vous. Les autres contributeurs n'ont pas démérité, loin de là, mais dans un concours, il faut toujours des lauréats... Merci à tous et surtout, continuez à nous être fidèles, et maintenant, place à l'écriture !
La force du soignant et sa vulnérabilité parfois révélée...
Soigner, au delà de l'aspect technique, c'est aussi ouvrir son coeur et livrer ses émotions, toujours avec cette "juste distance" que l'on se doit d'observer pour ne pas se faire mal.
Pour Aurore, face à Philippe, son "premier patient"
, cela sera l'adieu aux larmes. Ce jour-là, face à mon premier patient, j’ai dû faire face à mes propres sentiments et mes propres transferts. J’ai dû apprendre à être professionnelle et à ne pas me laisser submerger par mes émotions. Ce jour-là face à mon premier patient, j’ai juste dit "merci". Je ne sais dire, d’ailleurs, quelle est l’émotion que j’ai ressentie à ce moment-là : fierté et joie teintée de la tristesse de cet instant, qui sonnait un peu comme un adieu. Philippe est parti dans la nuit. Il est parti comme il était venu, en regardant goutter la pluie par la fenêtre ouverte
. Le Merci qu’Aurore adresse à Philippe en dit long. Si les premières fois sont toujours uniques, elles permettent aussi d’acquérir une expérience qui, ajoutées à d’autres, aidera le soignant en devenir à rester solide.
Pour Charles "qui passe du temps dans cette chambre où l'on ne s'arrête pas
", il s'agit de nous rappeler que la stigmatisation d'une personne malade, d'autant lorsque s'inscrit en rouge dans son dossier trois lettres, loin d'être anodines. C’est un homme. Une cinquantaine d’année. Paraplégique. Porteur du VIH. On ne peut pas y passer à côté du VIH. VIH, c’est écrit en gros, en rouge, souligné de deux traits, sur la couverture de son dossier. VIH, cela revient souvent dans les propos des soignants. VIH, j’en entends parler plus que du déficit fonctionnel de cet homme. VIH, c’est comme une marque au fer rouge. Rouge, le fer, comme le stylo du dossier
. Charles, jeune infirmier alors, choisira le partage au lieu de maintenir la distance... Un geste, que ce professionnel n'a jamais oublié, et qu'il est probable que ni le patient ni les soignants n'aient jamais oublié non plus car en quelques secondes, il a permis à cette personne de redevenir un homme et non un malade.
Pour Stella, jeune étudiante en soins infirmiers, "qui soupçonne Alzheimer de jouer avec le cerveau de Mme Alpha"
, la rencontre avec "sa première patiente" va être autant questionnante que douloureuse. Ce jour-là donc, un rapport de force soignant-soigné se mettait insidieusement en place. Je me permettais d’insister afin de pouvoir réaliser ces soins "pour le bien de mon premier patient" et lui arracher subtilement un consentement éclairé. Mais elle semblait résister, batailler puis se resigner par moment. Les soins s’annonçaient… prometteurs à l'écoute des mots de Mme Alpha : "Tu es moche… tu es nulle… tu ne sais rien faire…"
On sent l'étudiante, forte de ses armes scolaires, qui veut bien faire, désemparée devant une situation qu'elle n'avait pas prévue, devant la violence de celle dont elle a la charge. Premier jour, premier choc, première chute.
Ecoutons les trois lauréats parler de leur récit
Quelques autres jolis mots extraits des textes des contributeurs...
Pierrette : Il y a eu le premier puis chacun un a un, a contribué à développer mes compétences pour devenir à l’infirmière que je suis. Il me reste 7 ans d’exercice, 7 ans à m’améliorer, 7 ans à rencontrer chaque patient comme un premier patient qui m’apprendra encore et encore.
Benjamin : La rencontre à l'Autre est un formidable voyage dont les mots nécessaires à sa description ne se lisent qu'avec le cœur. Et la relation qui naît de cette rencontre est si délicieuse, si intime qu'il appartient à chaque soignant de faire du patient un réel compagnon de chemin, un co-pilote sur la route constitutive d'une identité soignante qu'il nous faut défendre conjointement
.
Marie-Christine : Ce jour là, face à ma première patiente, j'ai senti qu'une histoire allait s'écrire, une page du livre de ma vie qu'il serait difficile de tourner. Bien plus qu'une relation de soignante à soignée, il s'agit d'une histoire d'amitié. Je suis là. Il ne me reste que le silence. De son absence Je ne veux pas l'oublier. Ce serait ne plus l'aimer.
Odile : Au-delà du voile, tu poses encore ton regard sur moi. La petite fille que j’étais a bien grandi, mais il n'est pas rare que lorsque je prépare une piqûre, je songe à cette orange ; alors, tandis que je pense à toi, ma toute première patiente, je sens au fond de moi un feu qui s'allume et qui m'accompagne jour après jour au chevet des personnes que je veille
.
Vanessa : Ce jour-là, face à mon premier patient… en soins palliatifs… Mme A. Je me suis sentie vulnérable… Elle venait de me remercier pour tous les bons soins que je lui faisais de manière quotidienne…me disant que derrière mon statut d’étudiante, elle voyait une vraie infirmière, le plus beau des compliments et sa façon à elle de me dire au revoir…
Awa : Comment ne pas être sensible et réceptive à cette petite mamie dont j’avais partagé le quotidien durant des semaines. La complexité de ma future profession me mènera plus tard à aborder cela dans mon mémoire de fin d’étude : "L’ambivalence de la notion de juste distance professionnelle infirmière". Comment pouvons-nous être proche et à la fois distant de nos patients ou résidents ?
Ce jour-là, j’ai croisé votre regard. J’ai croisé un regard. J’ai croisé le regard qui me fit définitivement entrer dans la conviction profonde du pari réussi de la reconversion professionnelle. Regard fugace, immortel. Regard gratuit aussi car vous n’attendez rien en retour, aveugle que vous êtes. Instant rare, magique qui rend dicible les fenêtres de l’âme. Nicolas
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