2020, année d’une crise sanitaire à l’échelle planétaire, est également celle où Infirmiers.com fête ses 20 ans . A cette occasion, nous avons sollicité notre large communauté de soignants en proposant un concours de mini-nouvelles sur le thème suivant : "Ce jour-là, face à mon premier patient..." trois textes parmi la vingtaine de contributions reçues ont particulièrement retenu l’attention des trois journalistes de la rédaction. Chacune défend et argumente son choix. Voici pourquoi la nouvelle de Charles Ouzilleau a séduit Roxane Curtet…
Roxane Curtet, journaliste Infirmiers.com, face au texte de Charles Ouzilleau, infirmier au sein de l'UTAT (Unité Transversale d'Activités Thérapeutiques) centre hospitalier de l’Estran, Pontorson.
Ce texte n’a pas eu ma préférence parce que j’ai trouvé sa forme originale, ni parce qu’il était particulièrement bien écrit (même si c’est le cas), je l’ai choisi surtout pour son sujet. L’attitude de ce jeune infirmier était courageuse. Il démontre qu’un geste a priori anodin peut dire beaucoup. Contrairement au conte de Blanche neige, la pomme bien rouge
n’était pas empoisonnée, contrairement à la Bible il ne s’agissait pas du fruit défendu (quoi que)… Non, dans cette histoire la pomme représente le fruit du savoir. Savoir qu’une personne atteinte du VIH reste une personne et que l’on doit la respecter en tant que telle, savoir comment on risque d’être contaminé, savoir ce qui relève de la connaissance ou de la crainte irrationnelle.
Cette histoire, c’est celle d’un jeune professionnel qui veut faire bonne figure, jusqu’au moment où il entre en rébellion
. Cependant, il n'agit pas contre son équipe, qui dans le fond se veut bienveillante, mais pour être en accord avec son ressentie, pour ce patient marqué au fer rouge du mot que l’on craint : VIH ! Ce texte rappelle qu’il est parfois judicieux de désobéir si c’est au nom de ses convictions profondes. Ce geste, ce professionnel ne l’a jamais oublié, mais il est probable que ni le patient ni les soignants n'aient oublié non plus car en quelques secondes, il a permis à cette personne de redevenir un homme et non un malade
. De quoi faire réfléchir…
"Ce jour-là, face à mon premier patient…"
Le jour où j’ai croqué la pomme
« Raconter » cette rencontre m’oblige à fouiller dans ma mémoire.
C’est loin, déjà !
J’ai beau me triturer le cerveau, je ne suis pas certain de le retrouver ce fameux premier patient.
Premier stage.
Premières rencontres.
Nous sommes en 1992. Seine Saint Denis. Service de médecine. Rééducation fonctionnelle.
Le patient dont je me souviens, celui qui m’a marqué, celui qui, peut-être, a orienté ma pratique n’est vraisemblablement pas le premier rencontré.
C’est un homme. Une cinquantaine d’année. Paraplégique. Porteur du VIH.
On ne peut pas y passer à côté du VIH.
VIH, c’est écrit en gros, en rouge, souligné de deux traits, sur la couverture de son dossier.
VIH, cela revient souvent dans les propos des soignants.
VIH, j’en entends parler plus que du déficit fonctionnel de cet homme.
VIH, c’est comme une marque au fer rouge.
Rouge, le fer, comme le stylo du dossier.
Tout ce qui pénètre dans cette chambre est manipulé avec d’infinies précautions.
On jette tout ce qui en ressort.
Tout, ou presque.
On marque les couverts, faute de pouvoir les balancer.
Je débute. J’observe. Je me fais petit. Je garde ma place. Je ne bronche pas.
Et j’en passe du temps dans cette chambre où l’on ne s’attarde pas.
Puis, j’essaie de comprendre.
Je m’ouvre aux soignants.
Je garde ma place.
Je marche sur des œufs.
On m’explique, gentiment.
Je ne parviens pas à adhérer.
Je garde ma place. Je ne bronche pas.
Un jour, j’entre dans cette chambre, l’homme est au lit, bien sûr.
D’autres personnes l’entourent. La famille.
Présentation. Remerciements.
On sort une pomme d’un sachet plastique.
Rouge la pomme.
On me la propose. Je l’accepte.
D’autres constantes à prendre.
Je sors de la chambre.
Des soignants dans le couloir.
A pleine dents, je la bouffe, la pomme.
Ecoutons les lauréats parler de ce qu'ils ont écrit et voulu partager...
Infirmiers.com remercie tous les contributeurs qui ont envoyé un texte à la rédaction. Aucun d’eux n’a démérité !
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