Faire des soins en instaurant une relation de confiance tout en gardant une distance professionnelle, c'est loin d'être simple, et d'autant plus hors du contexte hospitalier. A domicile ou en EHPAD, les limites ne sont-elles pas encore plus difficiles à établir ? Alors qu'elle est étudiante en première année, Manon-Mgt est confrontée à ce genre d'interrogation dès sa première semaine de stage. Et elle a décidé de faire part de ce problème sur le forum d'infirmiers.com. Apparemment, les professionnels de son service « font la bise » aux patients. Surprise, gênée, perdue, la jeune femme reçoit de précieux conseils de la part d'infirmiers expérimentés.
Une relation soignant/soigné, c'est une relation de confiance et d'aide mais qui doit aussi rester professionnelle. Les médecins comme les paramédicaux se doivent de garder une certaine distance afin de ne pas se laisser envahir par leurs propres émotions. Ce qui est loin d'être évident : rester trop en retrait vis-à-vis de ses patients entraîne une mauvaise compréhension de leur situation et de ce qu'ils vivent. En revanche, être trop proche de la personne que l'on doit avant tout soigner crée une atmosphère trop personnelle et peut épuiser psychologiquement les soignants.
Un soir, un usager m'a fait la bise
De la théorie à la pratique, il y a une marge et Manon-Mgt l'a appris à ses dépens. Jeune ESI actuellement en première année, elle vient d'effectuer sa première semaine de stage en service de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Arrivée au domicile des patients, elle s'étonne de voir les infirmiers leur faire la bise. Ne sachant comment réagir, elle finit par en faire de même, mais cette situation la dérange. Et pour cause, si ce geste est l'un des plus courant de notre vie quotidienne, il n'est pas sans signification : il brise la glace, il est synonyme de rapprochement avec quelqu'un que l'on connaît peu. La première bise
créant le précédent, il est difficile de revenir en arrière, d'où le malaise de Manon-Mgt. L'étudiante ne sachant avec qui évoquer cette problématique, s'est tournée vers les forumeurs qui, s'il lui apportent des indications sur la conduite à suivre, ne sont pas tous d'accord sur le fond du problème.
Bonjour,
Je suis en stage en SSIAD et je rencontre un problème vis à vis d'une relation soignant/soigné. Dans ce service, la plupart des soignants embrassent les usagers. Un soir, un usager m'a fait la bise (car ma collègue lui a fait juste avant) et je n'ai pas su réagir correctement, sauf que depuis je n'arrive pas à réinstaurer la distance qu'il devrait y avoir. Je me sens mal à l'aise par rapport à cette situation. Je ne sais pas comment faire sans le vexer...
Pouvez vous m'aider ?
Non, on n'est pas des copines, mais des professionnelles !
Qui peut embrasser, peut étouffer
Alfred de Musset
Jo-Bis a été la première a réagir à ce poste. Pour elle, c'est clair, l’accolade : c'est prohibé !
Surtout en SSIAD car Il est très difficile de garder ses distances, mais il le faut car les patients (et les familles) finiront par vous considérer comme une "copine". Or, vous n'êtes pas une copine, vous êtes une professionnelle du soin. Ils en useront et en abuseront. Comment conduire vers l'autonomie une personne qui vous considérera comme une simple "visite amicale" ? Comment vous défendre quand il le faudra, face à une famille qui va se montrer familière ?
Vous embrassez votre inspecteur des impôts ? Votre garagiste ?
A domicile, il est vrai que l'on rentre dans l'intimité du patient, alors avec un contact affectif (la bise), on entre dans la sphère affective du patient que nous le voulions ou pas. Vous direz : oui mais je suis soignante, je sais faire la différence ! OK, mais le patient lui, comment pouvez-vous être sûrs qu'il fera la différence ?
, argumente Jo-Bis, qui semble bien connaître le problème. Les patients à domicile
peuvent s'avérer beaucoup plus demandeurs et intolérants aux changements car ils ont leurs habitudes et peuvent attendre davantage du soignant. Ce qui est très dangereux dans cette histoire (et je pèse mes mots), c'est que quand un AS fait la bise : il met ses collègues en porte-à-faux, surtout ceux qui ont horreur d'embrasser les patients. Le "bisouilleur" sera "mieux vu", plus "gentil" .... Il sera plus sollicité par le patient pour les "menus services"
. On sent le vécu, et l'habituée du forum finit par raconter son expérience personnelle sur le sujet : Ne me dites pas que ce n'est pas vrai, je l'ai vu de mes yeux… et je ne vous raconte pas le bazar que ça a mis entre les collègues.
Vous pourriez aller chercher le journal ?
En effet, la professionnelle a une anecdote bien précise en tête. Elle évoque l'histoire d'un AS avec qui elle travaillait qui s'est enfoncé dans une relation affective
et qui, non content de léchouiller à tout va
, a fini par rendre des services comme aller chercher le pain ou le journal. Du coup, comme ça a été le cas pour Manon-Mgt, ses collègues se sont sentis obligé de faire de même
, sans que Jo-bis n'en soit informée. Et oui, sachant qu'ils dépassaient en peu leur champ de compétence en se chargeant des courses, tous préféraient taire leurs petites attentions vis-à-vis des patients. Jusqu'au jour où, bien sûr, tout ne se passa pas comme prévu : une AS, en raison d'un problème sur sa tournée n'a pas pu aller faire les "achats".
Réaction immédiate des proches, habitués à ces « services » : La famille m'a appelée pour me dire que ça n'avait pas été fait ! Que c'était inadmissible ! J'ai cru tomber de ma chaise !!
. Heureusement, la professionnelle n'a pas perdu ses moyens : Je leur ai "gentiment répondu" que la mission d'un SSIAD n'était pas de faire les courses mais d'assurer les soins. Point. Et qu'en tant que famille c'était leur rôle
. La surprise des proches face à cette information, certes d'une logique implacable, l'a néanmoins déstabilisée : La question qui tue : "Mais alors pourquoi elles le font ?" (malaise...)
.
La distance juste, elle dépend de beaucoup de choses
Si l'intéressée conclut cette histoire par un voilà où mène la bise
, on peut concevoir qu'il y a tout de même un fossé entre faire « les emplettes » et un « bécot » pour se dire bonjour ? Beaucoup souligne la vision en peu trop manichéenne de Jo-Bis. Par exemple, Cosmos : C'est un sujet assez récurrent... et il est difficile de mettre une délimitation... Cela dépend de beaucoup de choses... Après, on est humain... A domicile ou en EHPAD, ce n'est pas comme un centre hospitalier...
. Un avis partagé par Wylette : ça me fait penser au tutoiement et vouvoiement... ce n'est pas tout ou rien, ce n'est pas noir ou blanc
. Donc cela dépend… mais de quoi ? De tout, du lieu, comme des deux personnes en présence, avec leurs préjugés, leur manière d'être et leur éducation. Chaque situation et chaque prise en charge est différente. Ainsi, selon le psychisme du soignant et son relationnel avec le patient et ses proches, les réactions peuvent varier fortement. Certains paramédicaux se sentiront dépassés là ou d'autres ne verront pas de problème.
De même pour les patients, ils peuvent interpréter de plusieurs façon la manière d'agir des soignants. D'où les questions de Lenalan : est-ce que le fait de faire la bise induit un autre comportement (de familiarité ou de manque de respect, par exemple) de la part de cette personne? Est-ce que ça a modifié ta façon de t'occuper des patients?
Il est certain qu'en maison de retraite où pour les patients chroniques pris en charge à domicile, la relation est plus complexe qu'à l'hôpital car ces personnes sont suivies de manière régulière. Les infirmiers ou aide-soignants font partie de leur quotidien, ils entrent en contact avec la famille, en particulier des aidants
. Tout cela crée forcément des liens soignant/soigné plus importants notamment si on est confronté à des enfants ou adolescents
. D'autre part, les patients, eux aussi, ont besoin de connaître un minimum ceux qui les soignent ne serait-ce que pour se rassurer. En EHPAD il nous arrive de faire la bise (pas tous les jours, pas avec les familles et pas avec tout le monde), ça ne joue pas sur la distance, parce que la distance est un ensemble de choses et pas seulement un élément
, ajoute Lenalan.
Si une distance est nécessaire, plusieurs moyens distincts peuvent être mis en place pour la garder, tous propres à chaque professionnel de santé. Chacun se fixe « ses » limites en fonction des situations et des personnes rencontrées. Cependant, une fois que ces lignes de conduite sont clairement établies, n'est-il pas mieux de les respecter pour ne pas se laisser déborder ?
Ce n'est pas tout ou rien, ce n'est pas noir ou blanc
Plus à sa place de soignante ?
Pour une étudiante en première année qui vit ses premières expériences avec des patients, ses limites personnelles ont été outrepassées au point que Manon-Mgt ne se sente plus a sa place de soignante
. Alors comment la restaurer ? Si faire la bise n'est qu'un élément parmi d'autres, il a une importance pour elle. Si la plupart de ses interlocuteurs comprennent, ils lui conseillent de relativiser mais aussi de faire un travail sur elle-même et de prendre du recul. Il me parait nécessaire que vous compreniez pourquoi cela vous dérange, que vous vous interrogiez sur cette "distance qu'il devrait y avoir" selon vous, et qui n'est plus
, suggère Wylette. Pour Lenalan, c'est clair, on ne remet pas en cause les habitudes de tout le monde lors d'un stage de quelques semaines mais comprendre en quoi, pour vous, faire la bise abolit toute la distance "qui devrait être" est très intéressant pour la future pratique professionnelle
. Autrement dit, garder ses distances ne repose pas seulement sur le fait de toujours se cantonner à serrer la main ou non. Il serait préférable pour la jeune ESI de trouver d'autres moyens pour restaurer son image de professionnelle aux yeux du patient mais surtout à ses yeux à elle, car c'est bien là qu'est la question.
De la théorie à la pratique : la difficulté d'en parler quand on est ESI
Si faire la bise est monnaie courante dans son service, il vaut mieux qu'elle s'y plie pendant son stage car pour Lenalan, ce n'est sans raison si tous les usagers font la bise à tous les soignants, c'est bien eux qui ont mis ça en place, pourquoi?
. Le mieux pour Manon-Mgt ne serait-il pas d'en discuter directement avec les autres membres de SSIAD ? Ils pourraient répondre à ses interrogations et surtout l'aider à trouver d'autres manière d'imposer « sa » distance professionnelle afin de contourner le problème. Mais voilà la jeune femme n'ose pas évoquer le sujet, et d'après ses pairs, elle n'a peut être pas tort...
Caqui13 comprend très bien son problème mais lui livre un conseil de vieille
: tu ne vas pas rester ta vie là-bas, fais comme les autres. Je serais toi, je n'en parlerais même pas, ni à l'IFSI , ni au stage, parce que, in fine, c'est toi qui vas avoir des ennuis et être mal vue par le personnel
.
Là aussi, on remarque le vécu, elle raconte l'histoire d'un autre ESI qu'un collègue lui a rapporté. Un élève de sa promo avait vu un IDE sonder à main nue (pas stérile). Très choqué, il en avait parlé à l'IFSI.
Après vérification, l'ESI en question a été viré
car l'IDE a dit que c'était faux
. Conclusion de la professionnelle : malheureusement, quand on est étudiant il faut savoir se taire
! Sur des sujets aussi délicats que la distance face aux patients ou la stérilisation, n'est-il pas important d'en parler avec les plus expérimentés pour bien aborder les problématiques liées à la profession ? Il paraît difficile d'envisager d'exercer un métier avec de telles responsabilités, quand l'une des premières choses que l'on vous apprend est la crainte de ses supérieurs hiérarchiques. Qu'en pensez-vous ?
Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane0706
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