Quelqu'un qui a purgé sa peine peut faire des études d'infirmier. Il n'y a pas de contre indication
a dit hier Martin Hirsh alors que l'on apprenait que Farid Benyettou, ancien "prédicateur" de la filière jihadiste des Buttes-Chaumont, finissait actuellement sa formation en soins infirmiers par un stage de 10 semaines aux urgences de la Pitié-Salpêtrière.
Mise à jour du 13 janvier 2015 - Farid Benyettou s'exprime sur iTÉLÉ
Alors que se tenait hier dimanche 11 janvier l'énorme mobilisation nationale et internationale suite aux effroyables attaques terroristes qu'a subit notre pays, une marche républicaine
à laquelle le monde de la santé dans son entier prenait part pour faire face à la barbarie et l'innommable, nous apprenions dans le même temps une information qui laisse la communauté soignante sans voix et qui suscite bien des interrogations (cf. encadré "Ce qu'en pense la communauté infirmière")
Révélé par Le Parisien, relayé par plusieurs autres médias, Farid Benyettou, l'ex-« imam » de la « filière des Buttes-Chaumont » qui a formé les frères Kouachi à l'idéologie radicale, est depuis le mois de décembre en stage de dernière année de formation en soins infirmiers dans le service des urgences de l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, l'un des principaux centres hospitaliers ayant accueilli les victimes de la fusillade de « Charlie Hebdo ».
Né le 10 mai 1981, Farid Benyettou était une figure du XIXe arrondissement et de la mosquée Adda'wa, où il n'hésitait pas à prêcher des paroles radicales aux fidèles. Ancien "imam" de la filière jihadiste des Buttes-Chaumont, en 2005, il était mis en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », avant d'être condamné - en compagnie de Chérif Kouachi - à six ans de prison en 2008 par le tribunal de Paris. A sa sortie, en 2011, alors qu'il a obtenu son baccalauréat en prison, il passe le concours infirmier et intègre l'Ifsi de la Pitié-Salpétrière.
Je ne comprends pas une telle reconversion. C'est complètement illogique de tenir des propos aussi violents sur les gens et vouloir ensuite les soigner.
Le communiqué de l'AP-HP paru dans la foulée, dit ceci : La situation de cet élève infirmier est régulière et elle est connue, depuis le début de sa scolarité, tant par la direction de l’école où il est scolarisé que des services de police. Les événements dramatiques de cette semaine nous ont conduit à prendre l’initiative, en liaison avec les autorités de police, de ne pas le maintenir dans le planning du service où il terminait son dernier stage, cette période n’étant pas indispensable à la validation de son stage, pour laquelle il sera soumis à l’évaluation de droit commun comme les autres élèves infirmiers. Une condamnation portée sur le casier judiciaire interdit d’être recruté sur un emploi public, mais sans interdire de passer le diplôme, qui peut être valorisé dans d’autres lieux d’exercice que les établissements publics.
De son côté, Martin Hirsch, directeur général de l'AP-HP, est allé un peu plus loin, précisant à l'AFP que Farid Benyettou n'a jamais été dans un service où sont arrivés les blessés
de Charlie Hebdo mercredi, rappelant également que quelqu'un qui a purgé sa peine peut faire des études d'infirmier. Il n'y a pas de contre indication
.
Qu'il se réinsère, c'est très bien. J'aimerais y croire. Mais des professions, il y en a plein. Et il faut mieux prévenir que guérir. Ils étaient tous des garçons communs, polis... Et pourtant... Je n'interdis pas tout, mais là, je trouve cela risqué.
Cette affirmation pose question : comment peut-on laisser entreprendre des études d'infirmier dans un établissement dépendant de la fonction publique hospitalière et, à l'issue, de la formation ne pas intégrer l'infirmier diplômé. Joint sur cette question, Karim Mameri, secrétaire général de l'Ordre national des infirmiers (ONI), s'interroge également. Au-delà de l'émoi que suscite dans la profession ces informations, en prenant un minimum de recul, en faisant preuve de la plus grande ouverture d'esprit et en ayant à l'esprit le mot "résilience", la position de l'AP-HP est assez paradoxale, on forme un futur infirmier avec un lourd passé d'idéologue jihadiste, on le maintient trois ans durant auprès de ses futurs collègues, mais surtout auprès des patients lors de ses stages, mais à l'issue de la formation, on lui refuse l'accès à la Fonction publique ? Une façon polie de lui dire ici non, mais ailleurs oui, ceci est particulièrement choquant de mon point de vue
. Dans Libération, un des collègues de formation de Farid Benyettou, qui a souhaité garder l’anonymat, raconte le personnage. On a commencé la formation le 6 février 2012, et on a su dès la première semaine qui il était : quelqu’un dans la promotion a tapé son nom sur Google, et un article du Monde de 2005 est sorti sur la filière du XIXe. Il faut dire qu’il est super-populaire et qu’il a été élu délégué de promo au semestre 5. Il ramène des bonbons et des malabars à tous les cours. Il est gentil. Il rigole.(...) D'après ce qu’il m’a dit, il est contre tuer des civils ; seulement des militaires. D’après une copine, il fait la formation pour ensuite aller en Syrie comme infirmier soigner des blessés, mais je ne sais pas si c’est vrai.
Nous nous arrêterons là...
Il a le droit à l'erreur, comme tout le monde. Erreur qu'il a payée en purgeant sa peine de prison. Qui sommes-nous pour juger ?
Nous savons tous que pour exercer le métier d'infirmier des qualités humanistes et éthiques sont requises. Alors posons clairement la question : un ancien mentor jihadiste, bien qu'il ait purgé sa peine, peut-il être infirmier ? Soignera-t-il de la même façon l'ensemble de la population, toutes religions confondues, d'autant si elle est vulnérable parce que malade ?
Karim Mameri rappelle également que lors de l'inscription au Tableau de l'Ordre, le Conseil départemental décide de l'inscription en fonction de l'obtention du diplôme, de la moralité et de la probité du candidat.
Dans le cas précis, une nouvelle interrogation s'impose : si tout ceci n'était pas sorti dans les médias, si Farid Benyettou, diplômé (il devrait l'être en mars 2015...), ne s'inscrivait jamais à l'ONI, bien que suivi par les autorités judiciaires, qu'adviendrait-il ?
Marisol Touraine devrait répondre à ces légitimes interrogations très vite, c'est ce que lui a demandé, en urgence, l'ONI. Une réponse dans la journée est attendue.
Ce qu'en pense la communauté infirmière
Sur les réseaux sociaux, la communauté n'a pas manqué de réagir à cette information. Faut-il ou pas fournir un extrait de son casier judiciaire lors de l'entrée en Ifsi ? Tous les étudiants ne semblent pas logés à la même enseigne. Cédric D., étudiant à l'AP-HP, raconte avoir eu à fournir une photocopie de son casier. Christelle B. précise qu'à l'Ifsi de Montauban, le bulletin n°3 est demandé
. En revanche, rien n'a jamais été demandé pour mon entrée en Ifsi, ni pour l'AP-HM
, souligne Christelle G. Même constat pour Marine P. qui indique que fonction publique ou Ifsi, on ne m'a jamais rien demandé
. Meli M. elle reste perplexe : au vu de ces différentes interventions, il est incroyable de voir que les conditions d'entrée en Ifsi sont différentes alors que le concours d'entrée est commun, le déroulement de la formation est national est les règles régissant la profession sont les mêmes pour tous...
.
Au-delà de cette question, la communauté s'interroge sur la compatibilité du métier infirmier avec les antécédents judiciaires de Farid Benyettou. Là encore, la profession est divisée. Pour les uns, au vu de son passé, Farid ne devrait pas pouvoir exercer. Ainsi, Al A. souligne je ne comprends pas une telle reconversion. C'est complètement illogique de tenir des propos aussi violents sur les gens et vouloir ensuite les soigner
. De son côté, Isabelle M. admet qu'il se réinsère, c'est très bien. J'aimerais y croire. Mais des professions, il y en a plein. Et il faut mieux prévenir que guérir. Ils étaient tous des garçons communs, polis... Et pourtant... Il faut assumer les conséquences de ce que l'on a fait. Je n'interdis pas tout, mais là, je trouve cela risqué
. Elisabel G. affirme qu'il devrait être interdit d'exercice dans n'importe quel établissement sanitaire en France. Et interdit de se présenter au DE
. Quant à Cha C., elle se dit choquée. Ce mec est tout sauf un représentant des valeurs qu'un soignant doit défendre et véhiculer. Comment est-ce possible de le laisser intégrer cette formation en ayant connaissance de son passé ?
. D'autres considèrent que Farid a purgé sa peine et qu'il a droit à une seconde chance. Delphine M. estime peut-être a-t-il vraiment changé. Si on ne lui laisse pas une chance, il risque de se sentir à nouveau rejeté par la société et de retomber dans la radicalisation
. Pour Miguel F., chacun est libre de son destin. Il a certainement fait de grosses conneries, mais je ne vois pas pourquoi on le blâmerait de vouloir exercer une belle profession aujourd'hui. Tous les jours, on blâme les prisons d'où sortent des criminels pires qu'ils n'y étaient entrés. Pour une fois que c'est le contraire qui se passe... Personnellement, je lui souhaite de réussir et je salue sa capacité à s'être remis en question. Pour le reste il a purgé sa peine juridique... Jusqu'à preuve du contraire, il n'a directement tué personne, c'étaient sans doute des erreurs de jeunesse. Il en profite donc pour avoir une seconde chance dans la vie et faire des choses bien. Préféreriez-vous qu'il reste un criminel pour nous donner le privilège de détester encore ? Soignants, je vous rappelle qu'à chaque fois que vous sauvez quelqu'un dont vous ne connaissez rien de sa vie, vous lui donnez une seconde chance aussi... Et ce, je l'espère, sans regarder son casier judiciaire. Nous avons tous soigné des gens probablement horribles sans même le savoir. Donc personnellement je le redis encore : je ne vois pas quelle plus belle issue il pouvait donner à ses erreurs passées
. Mymy B. ajoute qu'il a le droit à l'erreur, comme tout le monde. Erreur qu'il a payée en purgeant sa peine de prison. Qui sommes-nous pour juger ? Pour intégrer l'école, il est passé devant un psy qui l'a jugé apte à exercer ce métier. En tant que soignants et futurs soignants, nous ne devons pas juger les personnes, ni sur leurs origines, ni sur leur passé
.
Note de la rédaction : Pour éviter tout débordement sur ce sujet plus que délicat, la rédaction d'Infirmiers.com a décidé de désactiver les commentaires. Merci de votre compréhension.
Bernadette FABREGAS Rédactrice en chef Infirmiers.com bernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern
Aurélie TRENTESSE Journaliste Infirmiers.com aurelie.trentesse@infirmiers.com @ATrentesse
REFONTE DE LA FORMATION
L'idée d'un tronc commun en master hérisse les infirmiers spécialisés
ÉTUDES
D’infirmier à médecin : pourquoi et comment ils ont franchi le pas
VIE ÉTUDIANTE
FNESI'GAME : l'appli qui aide les étudiants infirmiers à réviser
PRÉVENTION
Des ateliers pour préserver la santé des étudiants en santé