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Etudiants infirmiers et Covid-19 : la France, mauvaise élève de la continuité pédagogique

Publié le 15/12/2020

En cette fin 2020, la pandémie de Covid-19 reprend du poil de la bête en Europe comme ailleurs dans le monde. L'occasion pour le Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l'espace francophone (SIDIIEF) de consacrer son "grand débat" du 10 décembre à l’adaptation, au leadership et à la résilience des étudiants infirmiers. Le même jour, les ESI français battaient le pavé avenue de Ségur pour réclamer des conditions d’apprentissage dignes de ce nom ; un tour de la francophonie très instructif, donc, qui met en lumière le retard préjudiciable pris par la France en matière d’anticipation et d’organisation dans la formation des futurs soignants.

"Nous voulons juste être formés correctement et dans de bonnes conditions ; être nous-mêmes en bonne santé mentale pour pouvoir prendre en soin les autes" (Mathilde Padilla, FNESI)

Pour son cinquième "grand débat", le SIDIIEF a passé au crible les mesures mises en place par la Suisse, le Liban, le Canada et la France au cours des vagues épidémiques de coronavirus pour préserver la formation des étudiants en soins infirmiers. Déroulé des cours, modalités d’apprentissage, qualité des enseignements, diplomation… Tout y est passé. Car la crise a été un révélateur des forces et des faiblesses des différents systèmes, a relevé Marie Grégoire, modératrice de la session en ligne. Le constat implacable qui en est issu montre que la stratégie française risque fort de se révéler inadaptée et durablement dommageable pour les futurs soignants, voire pour les patients.

En Suisse, les directeurs des enseignements ont pris leurs responsabilités et se sont battus dès le début de la crise pour que les choses ne se déroulent pas comme chez leurs voisins français

Une réquisition sans égal

85 % d’entre nous ont été mobilisés en France, s'est indignée Mathilde Padilla , représentante de la FNESI. Pour la fédération étudiante, cette réquisition sans égal parmi les pays participant au débat a indéniablement engendré une perte de temps de formation et des connaissances à acquérir, sans compter que le sésame 2021 pourrait bien être estampillé de "diplôme au rabais", comme le craignent bien des intéressés. Une absence totale de gouvernance, a jugé sans appel Jacques Chapuis, Directeur de l’Institut et Haute École de la Santé La Source de Lausanne. En Suisse, les directeurs des enseignements ont pris leurs responsabilités et se sont battus dès le début de la crise pour que les choses ne se déroulent pas comme chez leurs voisins français, a-t-il revendiqué. Pourtant, le pays a été particulièrement touché par l’épidémie ; la mobilisation des étudiants très forte (573 ont été appelés sur le terrain) et le nombre de personnes malades et de décès important, à l’hôpital comme en "établissements médico-sociaux" - l’équivalent de nos Ehpad. D'autres pays ont même tout mis en oeuvre à la fois pour préserver les apprentissages des étudiants et les mettre en position de force. Les ESI n'ont prêté main forte qu'après la fin de leurs études ; ce avant tout pour garantir leur cursus, puis les connecter directement au monde professionnel et faciliter le début de leur carrière, rapporte Annie Chevrier, Directrice des programmes d'éducation numérique de la Mc Gill School of Nursing au Québec. Mieux encore : de son côté, le Liban a opté pour le maintien à tout prix des enseignements, des stages et du statut d'étudiant. Voilà pourquoi la totalité des cours et des stages y a été maintenue, et la mobilisation étudiante y a été exclusivement académique.

Au même titre que le soutien aux étudiants s'est imposé, l'accompagnement des enseignants a été un enjeu essentiel et il faut aujourd'hui continuer à trouver les bonnes méthodes pour le faire

Technologie et adaptabilité, épine dorsale de la résilience

Dans un contexte très difficile qui a touché l'ensemble des pays concernés, adapter la réponse pédagogique à la situation a été indispensable. Pour y parvenir, différentes pistes, parmi lesquelles le déploiement de moyens numériques en hâte. Au Canada, nous étions déjà prêts, a affirmé Annie Chevrier. Il a donc fallu se préoccuper des étudiants et mettre en place des cours à distance, aussi bien pour la théorie que pour la simulation virtuelles. En Suisse, 100 % des cours ont été basculés vers le distanciel, et ce malgré la forte implication des étudiants de mars à juin dans le renfort des équipes déjà en exercice. Ce n'est pas tout : enseigner selon des modalités différentes a par ailleurs impliqué de former les enseignants eux-mêmes à transmettre différemment et à utiliser d'autres outils, méconnus ou sous-utilisés pour certains. Au même titre que le soutien aux étudiants s'est imposé, l'accompagnement des enseignants a été un enjeu majeur et il faut aujourd'hui continuer à trouver les bonnes méthodes pour le faire, a souligné Jacinthe Pépin, Présidente du Conseil consultatif sur la formation infirmière au sein du SIDIIEF. Le stress intense, lui aussi, a bousculé les pratiques : de nombreux étudiants se sont sentis déroutés, seuls, voire en danger. Nous n'avons pas hésité à faire des levées de fonds pour subvenir à certains besoins de scolarité, ni à proposer un soutien psychologique aux jeunes qui le nécessitaient, confie Rima Sassine-Kazan, Doyenne de la Faculté des sciences infirmières de Beyrouth. Même s'ils ne demandaient parfois rien de particulier, le simple fait d'être présent pour eux et de les écouter a largement contribué à les rassurer et à leur offrir les conditions nécessaires pour réussir. Idem outre-Atlantique, où des "town halls" (des "réunions d'information", NDLR) réguliers permettaient en toute transparence aux ESI d'évoquer leurs préoccupations et de trouver des réponses dans un contexte de proximité sécurisant. Une adaptabilité, véritable épine dorsale de la résilience.

Pour ce qui est des capacités à oser parler, argumenter, construire plaidoyer et mettre en oeuvre les éléments stratégiques qui permettent de se faire entendre, des progrès restent à faire

Vers le leadership politique

A l'accompagnement technologique et psychologique s'ajoutent tous les autres ; celui de la littératie en santé, mais aussi et surtout celui qui relève du leadership politique. Grâce à l'interdisciplinarité, le leadership clinique des étudiants en soins infirmiers est aujourd'hui excellent ; d'ailleurs, nous les formons très tôt à cela, s'est réjouie Rima Sassine-Kazan. Mais pour ce qui est des capacités à oser parler, argumenter, construire un plaidoyer et mettre en oeuvre les éléments stratégiques qui permettent de se faire entendre, des progrès restent à faire ; pour amener les futurs soignants à ce leadership politique, le mentorat est indispensable, y compris vis-à-vis des échelons décisionnels (doyens d'universités...). Une opinion largement partagée aujourd'hui à l'international et qui ouvre de nouvelles pistes de conception du métier. Aujourd'hui, les infirmiers sont bien formés, notamment à l'hôpital. Mais demain, nous devrons innover et réinventer la formation pour relever le défi d'une approche davantage populationnelle en lien avec les enjeux épidémiologiques, envisage Jacinthe Pépin. Des perspectives d'évolution que la France aura bien du mal à suivre si elle ne comble pas le retard déjà pris concernant les fondements-mêmes des compétences propres de la profession et des apprentissages nécessaires pour y accéder.

Anne Perette-FicajaDirectrice des rédactions paramédicalesanne.perette-ficaja@gpsante.fr @aperette


Source : infirmiers.com