En juin 2018, Victoria Kopecky, alors étudiante en soins infirmiers à l'Institut de Formation en Soins Infirmiers de Paris Saint-Joseph - promotion 2015-2018 - a soutenu avec succès son travail de fin d'études sur la thématique suivante : « L'infirmier de pré-hospitalier témoin des drames de la vie. Urgence, expérience et choc émotionnel » Elle souhaite aujourd’hui le partager avec la communauté d’Infirmiers.com et nous l'en remercions.
Voilà comment Victoria nous explique le choix de sa question de recherche. « Afin de réaliser ce mémoire de fin d'étude, j'appuie ma réflexion sur une situation vécue au cours de mon stage réalisé avec les infirmiers de la BSPP. Centre médical de la Brigade des Sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), 1ère garde de nuit en ambulance de réanimation (AR). Au cours de cette nuit, mon équipe, composée d'un médecin urgentiste sapeur-pompier, d'un infirmier de sapeur-pompier (ISP), de l'ambulancier et de moi-même, dormait, en attendant d'être réveillée par la sonnerie de départ. Il est 4h28, réveillés au milieu de notre sommeil, nous partons pour détresse respiratoire chez une femme de 88 ans. J'imagine alors une crise d'asthme aiguë grave.
En arrivant, l'équipe des sapeurs-pompiers secouristes (SP) affectée au véhicule d'assistance et secours à victime (VSAV) est déjà sur place. En passant le pas de la porte, l'ISP me lance d'un air simple: «Ah ben je pense qu'elle fait un arrêt ». En effet, l'équipe de premier secours était en train de réaliser les manoeuvres de réanimation cardio-pulmonaire (RCP). Je suis prise intérieurement de panique, si bien qu'en arrivant dans la pièce et voyant la victime allongée au sol, le regard droit, vide et toutes ces personnes autour concentrées dans leurs gestes de réanimation, je ressors rapidement en lançant d'une voix perdue à l’infirmier, que je ne savais pas quoi faire. C'était ma première prise en charge d'arrêt cardiorespiratoire (ACR).
Je connaissais le protocole de prise en charge de l'ACR, mais mon instinct m'avait poussé à fuir cette situation à laquelle je n'avais pas pu me préparer psychologiquement, pensant arriver sur une crise d'asthme. L'infirmier me dit qu'il fallait avant tout que je pose rapidement une voie veineuse périphérique. Je devais perfuser la patiente, allongée au sol, ses bras bougeant par le massage cardiaque que les SP étaient en train de réaliser. L'infirmier me regarde de loin en m'activant par des « Victoria, allez... Allez Victoria vite ». Je me dépêche davantage et pose ma perfusion avec succès. Il me tend une seringue d'Adrénaline®, en me disant de passer 1mg en intraveineuse directe puis de recommencer le geste dans quatre minutes. J'étais concentrée sur tous les gestes que je devais réaliser et était alors rentrée dans un réel effet tunnel, je ne voyais pas plus loin que le bout de mes mains.
C'était ma première prise en charge d'arrêt cardiorespiratoire (ACR).
Après trois injections d'Adrénaline®, l'infirmier voyant que je n'avais plus rien à faire, me propose de prendre le relais de la RCP en ajoutant : « bon tu as bien compris, là, ça fait déjà 25 minutes que la RCP a commencé, on ne va pas la récupérer malheureusement. C'est un peu pour t'entraîner là... ». Je lui réponds que oui et me prépare à prendre le relais des pompiers en train de masser. Je compte à voix haute, restant concentrée sur l'efficacité de mon massage, tout en écoutant le tempo de compressions lancé sur la machine. Au bout de quelques minutes, le médecin me demande d'arrêter le massage afin de vérifier le rythme cardiaque de la patiente sur le LP15 (Life pack 15, moniteur-défibrillateur portatif ayant des fonctions de surveillances hémodynamiques, d'électrocardiogramme, de défibrillateur, de cardioversion et d'électro entraînement cardiaque).
C'est alors que le médecin remarque que la patiente a repris un rythme sinusal. J'ai alors une sensation de joie en me disant que finalement nous avons peut-être récupéré cette dame. Cependant, je sens que l'ambiance change dans la pièce. Le médecin semble surpris de cette reprise de rythme, alors que nous étions à plus de 30 minutes de RCP, que les manoeuvres allaient être arrêtées et la patiente déclarée décédée. La fréquence cardiaque est d'environ 40 battements par minutes, la patiente est hypotendue à 7, un électrocardiogramme est réalisé. Elle est toujours ventilée au ballonnet par sa sonde d'intubation, mais le massage cardiaque est arrêté. L'infirmier, me demande alors de fermer les yeux de la victime maintenant qu'elle était récupérée, car sinon ils allaient se dessécher. Je m'exécute lentement n'ayant jamais réalisé ce geste auparavant. Je n'arrive pas à les fermer, on me dit alors de les maintenir par un bout de scotch. Je reste sceptique quelques instants puis réalise le geste. L'infirmier me demande ensuite d'aspirer la sonde d'intubation afin d'en retirer les mucosités, je m'exécute avec un peu d'hésitation.
Le médecin appelle le centre de régulation afin d'avoir des avis médicaux. Je ne comprends pas pourquoi l'atmosphère est si tendue dans la pièce, alors que la patiente a un rythme sinusal. Le médecin demande plusieurs fois d'arrêter l'oxygénation manuelle afin de vérifier si la victime respire d'elle-même, en vain. J'attends alors de longues minutes, debout, à côté de ce corps inerte. La fréquence cardiaque de la patiente ralentie, elle est désormais à environ 20 battements par minute selon mes souvenirs.
L'infirmier, me demande alors de fermer les yeux de la victime maintenant qu'elle était récupérée, car sinon ils allaient se dessécher. Je m'exécute lentement n'ayant jamais réalisé ce geste auparavant.
J'ai un instant d'absence et c'est alors que l'infirmier m'indique que je peux tout débrancher. Je ne comprends pas cette prise de décision si brutale et m'exécute. Il avait en réalité eu l'info du médecin sans que je m'en aperçoive. J'éteins le LP15, retire les patchs de défibrillation, déperfuse et retire la sonde d'intubation. Je remarque alors, étonnée, les grosses ecchymoses que la cardio-pompe avait faites sur son thorax.
Nous déplaçons la victime et l'installons dans son lit en position « personne qui dort » selon les directives de prise en charge (PEC) de victime décédée sur les lieux. Nous rangeons toutes les affaires et l'infirmier me demande alors si je vais bien, je lui réponds que oui, ne réalisant pas à ce moment-là, l'intervention que je venais de vivre. Le médecin reste avec le mari de la victime dans l'appartement, en attendant que le fils de ce monsieur arrive.
C'est en rentrant chez moi, au petit matin, que le souvenir de cette situation me dérangea. J'avais l'impression, que ce que j'avais vécu au cours de la nuit, n'était qu'un rêve. Je ne réalisais toujours pas ce que j'avais fait et cela fut très perturbant. Lorsque j'ai débriefé de cette intervention avec le médecin et l'infirmier, il me fut reproché gentiment de ne pas avoir prévenu l'infirmier de mon équipe que j'étais un peu choquée de l'intervention, pensant que je n'avais pas osé et ils ont souligné l’importance de la cohésion dans ce type de prise en charge. Suite à cette analyse, une question s'est révélée : en quoi le manque d'expérience favorise-t-il le risque de choc émotionnel pour l'infirmier lors d'une PEC d'urgence en pré-hospitalier ? »
Lire le TFE (PDF) - « L'infirmier de pré-hospitalier témoin des drames de la vie Urgence, expérience et choc émotionnel »
Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern
REFONTE DE LA FORMATION
L'idée d'un tronc commun en master hérisse les infirmiers spécialisés
ÉTUDES
D’infirmier à médecin : pourquoi et comment ils ont franchi le pas
VIE ÉTUDIANTE
FNESI'GAME : l'appli qui aide les étudiants infirmiers à réviser
PRÉVENTION
Des ateliers pour préserver la santé des étudiants en santé